Sprinteuse et nouvelle maman
Sarah Atcho-Jaquier: «On m’a prise pour une inconsciente»

Maman épanouie d’un petit Jules depuis un mois, la célèbre athlète vaudoise s’est battue pour pratiquer son sport en parallèle de sa grossesse. Bien entourée par des spécialistes, elle dit son bonheur d’y être arrivée et de reprendre l’entraînement malgré les critiques.
Publié: 11:41 heures
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Sarah Atcho-Jaquier et son mari, Arno, ont accueilli un petit Jules.
Photo: julie de tribolet
Marc David
Marc David
L'Illustré

Notre dernière rencontre avec Sarah Atcho, lumineuse, c'était en 2017. Elle fourmillait de questionnements, habitait encore chez ses parents, venait de manquer la première année de ses études en relations internationales, passait la moitié de ses journées à la bibliothèque lausannoise du Palais de Rumine et s'entraînait l'après-midi. Elle avait déjà couru lors de Jeux olympiques mais rêvait d'être athlète à plein temps, pour voir. Là nous sommes en 2025, elle vient d'avoir 30 ans et reçoit dans un coquet appartement du Jorat (VD), observée par un petit bonhomme de 1 mois prénommé Jules qui occupe l'espace avec son bataillon de biberons, tandis que son mari, Arnaud, profite des cinq semaines de congé paternité accordées par la grande marque d'horlogerie qui l'emploie. Pourtant, au fond, rien n'a changé: grossesse et accouchement ou pas, Sarah Atcho, désormais Atcho-Jaquier, reste une athlète hantée par son sport, qui s'applique à tout faire pour demeurer une sportive d'élite, précise et certaine de ses choix, quoique extraordinairement joviale.

Sarah, est-ce que les mentalités sont prêtes pour une femme enceinte qui a continué à faire du sport, comme vous?
Une maman qui se remet au sport après l'accouchement, ça passe. J'ai eu beaucoup plus de peine avec le manque d'acceptation devant une femme enceinte qui s'entraîne.

Vous avez eu des remarques?
Des remarques, de toute façon. Il y avait de l'inquiétude jusqu'au sein de ma famille, chez mes parents, chez les parents d'Arnaud, même si cela partait d'une bonne intention. Ils remettaient tout en question, croyaient que mon bébé allait être en danger s'il se faisait secouer sur une piste. C'était frustrant parce que c'était ma première expérience. J'ai généralement eu l'impression qu'on me prenait pour une inconsciente prête à risquer sa grossesse pour la lubie de faire du sport. Or mon but était de devenir la preuve vivante qu'on peut être enceinte, pratiquer un sport et que tout se passe super bien, jusqu'à accoucher sans aucune complication.

Et vous, vous avez douté?
La clé, c'est que j'ai été entourée de femmes elles aussi convaincues que le sport était bénéfique. Soit ma gynéco, une spécialiste de l'activité physique et une coach de pilates experte dans tout ce qui touche au périnée. Elles m'ont suivie et m'ont dit: «Go, tu n'as pas une maladie!»

Vous avez dû vous justifier?
Oui, pour tout et n'importe quoi. Puis, au fur et à mesure que les gens comprenaient que je me portais bien, que je n'ai jamais eu de moments de découragement ou de dépression, ils ont accepté.

Vous dites que, sans le sport, vous perdez un peu de votre personnalité...
Je suis absolument gaga de mon bébé mais j'ai besoin du sport à côté. Je ne serais pas une bonne mère si je n'en faisais plus. Je veux garder cet aspect de ma vie, le chérir. Si je veux être bien pour cet enfant, il faut que je sois bien dans ma tête. Je ne me vois pas m'oublier.

Jusqu'à quand avez-vous fait des activités physiques?
Jusqu'au dernier jour. Le jour de l'accouchement, j'étais encore en train de golfer en Lavaux avec Arnaud.

Avez-vous dû prendre des précautions?
Dès le moment où la gynéco m'a dit qu'il fallait réduire, parce que mon col de l'utérus était trop effacé, j'ai certes continué le sport mais sans impact, avec de la musculation, des mouvements courts. J'ai arrêté de courir à partir de la 34e semaine. Cela ne m'a pas beaucoup coûté, je pouvais encore faire tellement d'autres choses.

Avez-vous eu de célèbres mamans sportives pour modèles, comme Allyson Felix, Nicola Spirig?
Elles m'ont servi d'exemples. M'ont permis d'imaginer ma carrière avec un enfant. Le seul aspect que je trouve dommage, c'est que la plupart de ces sportives n'ont pas partagé ce qu'elles vivaient. Je me suis dit: «Mince, nous sommes dans la même situation et je n'ai pas de référence…»

Vous, non?
J'ai beaucoup montré sur Instagram, j'ai essayé d'être la plus transparente, de tout raconter. Dont l'accouchement, le jour J. Personne n'en parle, alors qu'on n'oublie en réalité rien de tels instants. Je veux partager l'information, je ne comprends pas qu'on se taise dès que les portes de la salle d'accouchement se ferment.

Alors, racontez...
Tout a commencé au golf, avec Arnaud. J'ai super bien joué jusqu'au dernier coup, je pense que l'euphorie a déclenché les premières contractions. On est rentrés à la maison, on s'est couchés mais, vers 2 heures du matin, je l'ai réveillé: il fallait qu'on aille à la clinique. Là-bas, j'ai eu la chance d'avoir vite une péridurale, qui m'a permis de bouger. Ma plus grande peur, c'étaient les déchirures, qui peuvent mettre des mois à guérir. En fait, tout mon accouchement a été basé sur le fait de les éviter. On a testé plusieurs positions de poussée et j'ai dû choisir la plus risquée. Ma gynéco m'a beaucoup rassurée. Si je dois garder quelque chose, c'est la précision et le temps qu'elle a pris pour moi. Elle savait quel était mon projet, à quel point il était important pour moi de bien récupérer. Elle a pris un temps fou pour faire passer la tête de mon bébé, qui a mis une demi-heure à sortir… Tout s'est bien terminé.

On parle du changement important pour le corps des femmes…
C'est une réalité. Du jour au lendemain, on passe d'un gros ventre dur à un ventre tout mou. Je n'avais jamais connu cela, je m'y étais préparée. A la maternité, dès le lendemain, j'ai commencé des exercices dans le lit. L'important, c'est la respiration, reconnecter les abdos, le périnée. Les premiers jours, j'ai beaucoup marché autour de la clinique.

Où en êtes-vous, quatre semaines après?
Mes abdos et mon ventre sont étonnamment bien remis. J'ai cependant la sensation que mon bassin s'est un peu déplacé, je dois aller voir un ostéo. Ce sont les derniers ajustements.

Allez-vous être critiquée dès que vous allez recommencer à courir sur la piste?
Ce sera la partie la plus simple, car on ne voit pas que je suis maman. Par contre, je suis devenue ultra-protectrice. Je ne tolérerai aucun commentaire contre moi, mon mari ou mon bébé. Je vais sortir les griffes, ce que je ne faisais pas forcément auparavant…

Vous êtes un couple mixte. Est-ce une évidence?
A la base, j'ai toujours eu de la peine à me sentir acceptée alors que, pour mon mari, homme blanc dans un environnement occidental, c'est plus facile. Le fait d'être avec une femme noire rend sa vie plus compliquée, je m'en sens un peu coupable et cela me fait mal au cœur pour lui.

On vous le dit vraiment?
Une femme l'a quand même arrêté un jour, alors qu'il se parquait, pour lui dire qu'il était en train de ruiner la race en étant avec une Noire…

Le racisme, vous le sentez?
Il fait partie de mon quotidien. Je dois accepter que des gens ne sont pas forcément ouverts d'esprit, qu'ils auront toujours du mal à accepter les différences. Moi, mon objectif est de montrer qu'on peut être d'origine étrangère et une bonne personne. Mon père dit toujours que nous sommes obligés d'être meilleurs que tout le monde. Nos défauts sont moins facilement acceptés.

Comment procédez-vous?
J'essaie d'être la plus suisse possible, de me fondre dans la masse. Dans le village où nous venons de nous installer, par exemple, j'essaie de tout faire juste, je suis polie avec tout le monde. Même si je suis fatiguée ou que je n'ai pas envie de parler, je fais l'effort de dix minutes de conversation.

Le sport peut-il changer la société?
Clairement. Je pense qu'on véhicule de belles valeurs, qui mettent en avant les différences de culture, les femmes. Dans le sport, il existe tant de diversité de couleurs, d'origines, de morphologies. C'est ce qui nous permet d'être plus tolérants.

Vous êtes donc étonnée devant certaines remarques?
(rires) Oui, parfois j'oublie que je suis Noire, que je ne suis pas Blanche. Dans mon monde, ce n'est pas un défaut, on ne me le rappelle pas. Puis, dans la rue, cela arrive parfois. Cela dit, ces derniers temps, je l'ai moins senti. Les gens sont plus gentils avec une femme enceinte.

Etre maman vous rend-il plus révoltée devant l'état du monde?
Je l'étais déjà. Depuis ma grossesse, pourtant, je me suis mise dans une bulle. Je dois garder assez d'énergie pour me battre contre le manque de sommeil et ne pas être bouleversée par les injustices du monde.

Qu'allez-vous apprendre à votre petit garçon?
Mon objectif premier est qu'aucune femme ne soit jamais maltraitée par mon fils. J'ai la chance d'avoir de bons exemples avec son papa et le mien.

Avec la distance, comment regardez-vous votre carrière sportive?
Il y a eu les magnifiques années 2017-2018, puis j'ai connu des montagnes russes, des blessures, un exil. Quand je repense à cette période, incroyable en termes de performances, je ne suis pas sûre que j'étais très heureuse, dans le fond. Je préfère maintenant, avec des performances égales ou un peu moins bonnes.

Vous allez devoir retrouver l'habitude de vous battre?
Jusqu'à maintenant, je faisais du sport par plaisir. Là, je dois prouver que cela fonctionne. L'organisation au quotidien va être le premier challenge. Le but est de construire mes trois prochaines années de sorte à arriver à Los Angeles, en 2028, dans une super forme pour mes quatrièmes Jeux. Je vise le 200 mètres, le relais et peut-être le 400 mètres, un défi intéressant. J'ai envie d'avoir le champ ouvert entre 100 et 400 mètres.

Avec quel timing?
Je ne me mets pas de pression pour 2026 parce que j'ignore comment je vais réussir à me remettre. Je n'ai pas envie de me forcer et d'être frustrée. Les hormones, je ne peux pas les contrôler. Le sommeil va être le plus grand des problèmes parce que Arnaud travaille et qu'on doit trouver une routine qui nous permette de nous sentir bien. A Los Angeles, mon fils aura 3 ans. Ce serait génial qu'il vienne avec mes parents, mon mari, les siens. On le prend comme un projet familial.

Un mot sur votre collègue sprinteuse Mujinga Kambundji, en pleine grossesse elle aussi…
Dès que j'ai appris qu'elle était enceinte, j'ai sauté sur l'occasion pour la féliciter et échanger. Elle est plus discrète sur sa grossesse que moi, je dois aller à la pêche aux informations. Je partage tout ce que j'ai vécu avec elle.

Vous la voyez revenir au plus haut niveau?
Bien sûr, parce que c'est Mujinga. Elle n'aura pas besoin d'autant de temps que moi, elle a un corps magique. Elle sera de retour en deux temps, trois mouvements. Ce qui serait beau, c'est qu'on se retrouve dans le relais suisse et qu'il y ait deux mamans!

Un article de «L'illustré» n°35

Cet article a été publié initialement dans le n°35 de «L'illustré», paru en kiosque le 28 août 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°35 de «L'illustré», paru en kiosque le 28 août 2025.

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