«Mec, tu mesures combien? T’es immense.» Même à New York, même dans la ville où tout est démesuré, la stature filiforme de Yanic Konan Niederhäuser détonne et étonne. Durant les deux heures qu’a duré le shooting photo, le basketteur fribourgeois a été interrompu à de nombreuses reprises par des passants, largement moins timides qu’en Suisse. Ici, dès qu’on a envie de parler à quelqu’un, on le fait. «Cela fait quatre ans que je vis aux Etats-Unis, je suis habitué à cette mentalité», rigole-t-il entre deux clichés.
Jeune homme de 22 ans, très bien éduqué et agréable à côtoyer, le Fribourgeois était décontracté en ce 25 juin. Pourtant, cette journée avait le potentiel pour être de celles qui changent une vie. Au moment des photos, il était à peine 10 heures du matin, mais, en soirée, il savait qu’il y aurait bien plus de projecteurs braqués sur lui. Du moins il l’espérait. Cette année, le Fribourgeois a décidé de s’inscrire à la draft, traditionnelle cérémonie où les 60 meilleurs jeunes basketteurs du monde sont sélectionnés par les 30 équipes de NBA. «Quand je jouais sur le petit terrain à côté de chez moi à Fräschels, je m’imaginais un jour évoluer dans la plus grande ligue du monde.»
Des millions de petits gamins de son âge ont imité LeBron James et Stephen Curry sur un anneau mal accroché dans une cour de récréation au revêtement inégal. Mais rares sont ceux qui ont vraiment touché ce rêve du bout des doigts. Yanic, lui, a évidemment bénéficié d’un coup de pouce de la nature. Quasi tout peut s’apprendre, mais mesurer 2 m 15 n’en fait pas partie. Car oui, pour répondre à la question de nombreux badauds new-yorkais, l’ancien junior de Fribourg Olympic et d’Union Neuchâtel mesure environ 2 m 15, ou 7 pieds de l’autre côté de l’Atlantique.
«Konan, c’est mon nom de basketteur»
On ne peut donc pas dire que rien ne le prédestinait à être basketteur. C’est tout l’inverse. Tout le prédestinait. Mais cela ne garantissait rien du tout. Encore fallait-il travailler dur pour y parvenir. «Et bosser, c’est vraiment quelque chose qu’il fait mieux que beaucoup de monde», le félicite Sevag Keucheyan, son agent depuis cinq ans. Le représentant a aidé Yanic Konan Niederhäuser tout au long de son parcours qui l’a emmené de la Suisse aux Etats-Unis en passant par l’Allemagne. C’est donc en partie grâce à lui que les portes de la NBA se sont ouvertes. «C’est surtout sa maman, précise-t-il tout de suite. Elle sent très bien les gens. Elle a un bon feeling pour savoir si elle met son fils entre de bonnes mains.»
Son père, Dominique, est Fribourgeois et sa mère, Nadège, est Ivoirienne. Mais Yanic est né en Suisse. S’il va fréquemment en Afrique rendre visite à sa famille, il est fier de porter le maillot rouge à croix blanche. «C’est ici que je suis né et c’est ici que j’ai grandi, précise-t-il en français avec un accent alémanique. L’idée de jouer pour un autre pays ne m’a jamais traversé l’esprit.» Au fait, pourquoi ce double prénom? «Je tiens beaucoup au prénom Konan, qui m’a été donné par mon père, précise-t-il. Sur le terrain, je suis Konan le guerrier (rires). C’est mon nom de basketteur. C’est dans cet état d’esprit que j’essaie de jouer chacun de mes matchs. Depuis que je suis parti en Allemagne, j’ai toujours demandé de mettre «Konan» sur mes maillots. Je trouverais cool de pouvoir continuer.»
A mesure que les minutes du shooting photo passent, Yanic Konan Niederhäuser se libère doucement. Malgré la fournaise new-yorkaise et les 40°C ambiants, il joue volontiers avec l’appareil. Ce n’est pas forcément nouveau pour lui. Après avoir quitté la Suisse pour l’Allemagne, il est ensuite parti jouer durant quatre années à l’échelle universitaire, un niveau où l’exposition médiatique est déjà immense. D’abord dans une petite école pour se faire les dents. «C’était important pour moi, précise-t-il. J’ai pu m’adapter au style de jeu en Amérique du Nord. Et puis m’habituer aux médias aussi. Après chaque match, nous avions au moins 15 journalistes autour de nous.»
Un an pour apprendre et un an pour changer de statut. Tel pourrait être le leitmotiv de Yanic Konan Niederhäuser. Après deux saisons dans l’Illinois, il a rejoint le programme de Penn State, une université particulièrement réputée. Après une année initiale de transition, il a explosé lors de la dernière. Ses qualités athlétiques et sa présence physique ont fait le reste. Son agent, Sevag Keucheyan, ne peut qu’admirer le parcours de son joueur. «Il a énormément bossé, précise-t-il. Son objectif a toujours été d’arriver en NBA. Mais c’est à Penn State qu’il a rencontré un entraîneur qui a changé sa carrière. Brent Scott, l’assistant, l’a transformé en machine.» Alors que les distractions peuvent être nombreuses sur un campus universitaire, «YKN», lui, n’a jamais détourné le regard.
C’est avec les yeux rivés sur son objectif qu’il a entamé le processus le menant à la draft. Un parcours du combattant qui l’a fait passer plus d’un mois à vagabonder de ville en ville pour prouver sa valeur aux différentes équipes de NBA. Inlassablement, le Fribourgeois a donné son maximum avec un rêve: voir son nom être appelé mercredi dernier parmi les 30 meilleures recrues du monde. «Mais je veux surtout être dans un endroit qui veut de moi et où je pourrai me développer», précise-t-il en cherchant un coin d’ombre à l’angle de la 6e Avenue et de la 54e, à deux pas de son hôtel.
C’est finalement en 30e et donc dernière position du premier tour qu’il a été appelé. Un accomplissement inespéré. «Tout s’est passé comme dans un rêve, précise Sevag Keucheyan. On a vraiment vécu quelque chose de fou.»
Adam Silver, le puissant homme fort de la NBA, a prononcé les mots magiques: «Avec le 30e choix, les Los Angeles Clippers sélectionnent, en provenance de Fräschels et de l’Université de Penn State, Yanic Konan Niederhäuser.» Il rejoint donc Thabo Sefolosha, Clint Capela et Kyshawn George parmi les Suisses ayant été draftés en NBA. Le dernier nommé, binational, va toutefois représenter le Canada.
Tout au long de la soirée, le géant est resté calme, fidèle à lui-même. Il savait que son heure viendrait. «Petit, il disait que son métier serait joueur de basket», a confié sa maman, Nadège. Et le large sourire qui l’a accompagné jusque sur scène était surtout une libération. Celle de pouvoir enfin se dire qu’il se rapproche vraiment de son rêve d’évoluer un jour en NBA. «Mais je n’ai encore rien fait, tempère-t-il. Je dois commencer à travailler maintenant pour prouver que je mérite cette chance.» A-t-il douté? Un peu. «J’avais les jambes qui tremblaient», rigole-t-il.
Une famille unie
Mais avant de repartir au boulot, il a pris le temps de passer un moment rare avec sa famille. Une accolade très touchante avec son père, Dominique, près d’une heure après la draft. «Comme j’étais dans une loge, j’ai à peine eu le temps de faire un câlin à ma maman avant de partir sur scène, se souvient-il. Ensuite, tout s’est enchaîné avec les interviews, la conférence de presse.» Et un appel de Steve Ballmer, ancien PDG de Microsoft et grand patron des Los Angeles Clippers. Dans son costard bleu nuit – «Un hommage à l’Université de Penn State» –, il fait les cent pas avec le téléphone agrafé à l’oreille. «Grüezi Yanic, Grüezi! C’est génial de t’avoir dans notre équipe», lui a lancé le richissime homme d’affaires. Gêné, Yanic Konan Niederhäuser sourit et remercie humblement son nouveau patron.
Ce moment en famille qui a suivi était donc d’autant plus précieux. Ses grands-parents Elisabeth et Christian étaient également présents pour l’occasion. Au total, ils sont une quinzaine à avoir fait le déplacement de New York pour suivre leur «petit» Yanic devenir un joueur de NBA. Dans leurs yeux embués, il y a une fierté immense. «Pour nous, cela reste notre petit Yanic», rigole Elisabeth avant de passer devant les photographes de la NBA pour immortaliser ce moment unique vécu en famille. Une scène qui n’est pas sans rappeler les interminables séances photos de mariage. Mais en mieux. «Les amis du drafté», «Les grands-parents du drafté», «Les parents du drafté». «Mais c’est plus important qu’un mariage», rigole Sevag Keucheyan, lui aussi très ému, avant d’aller serrer celui qui fait deux têtes de plus que lui – et que tout le monde – dans ses bras.