Un point de vue qui fait froid dans le dos. Une opinion étayée, détaillée, écrite par une analyste spécialisée sur la Russie de l’institut américain Carnegie Endowment for International Peace et publiée mardi 19 juillet par le «New York Times». Dans ce texte, Tatiana Stanovaya n’y va pas par quatre chemins. Pour elle, Vladimir Poutine est persuadé qu’il va l’emporter. Pas seulement en Ukraine, sur le champ de bataille. Mais aussi en Europe, et au sein du camp occidental, car ses adversaires d’aujourd’hui seront, selon lui, bientôt balayés dans les urnes par des dirigeants bien mieux disposés, et prêts à céder à la Russie le littoral ukrainien de la mer Noire.
Analyse détaillée des discours de Poutine
Ce texte est un extrait d’une analyse détaillée des discours du président russe et de son entourage. Il prend à contre-pied tous ceux qui, à Washington et dans les capitales européennes, pronostiquent un affaissement du pouvoir en place au Kremlin, et voient dans les difficultés tactiques de l’armée russe dans le Donbass les prémices d’une longue guerre de position qui s’avérera intenable pour Moscou.
«Il est très clair que, depuis le mois de mai, le Kremlin est parvenu à la conclusion que sa stratégie va payer sur le long terme et mener à la victoire, prédit Tatiana Stanovaya dans le 'New York Times'. A la différence de ce qui s’est passé durant les premières semaines du conflit, Vladimir Poutine a maintenant un plan solide en trois dimensions.»
Pour Moscou, Kiev finira par capituler
Le contenu de ce plan? D’abord étendre au plus vite le contrôle politique russe sur l’est de l’Ukraine et priver ce pays de l’accès à la mer, ce qui inclut une possible offensive russe sur Odessa – ou plus probablement son étranglement militaire et économique – dans les prochaines semaines. «Le Kremlin est désormais persuadé que la scission du territoire ukrainien est de facto acceptée par les Occidentaux. Lesquels ne sont pas prêts à payer le prix militaire d’une contre-offensive capable de déloger l’armée russe.»
Deuxième conviction? Kiev va devoir capituler. Oui, vous avez bien lu. Selon cette analyste, Poutine est désormais convaincu que, pour assurer le contrôle du reste de son vaste territoire, le gouvernement ukrainien va devoir accepter un compromis politique et culturel avec la Russie «en abandonnant son projet national et en mutilant son identité».
Tatiana Stanovaya le reconnaît: «Cela peut paraître fantastique et incroyable, écrit-elle, mais il faut bien comprendre que Poutine estime que le temps joue en sa faveur. Il pense que d’ici deux ans, la population ukrainienne sera profondément démoralisée et que les autorités de Kiev auront beaucoup de mal à gérer le pays. Le Kremlin est convaincu que l’élite ukrainienne se divisera alors et qu’une opposition pacifiste fera cause commune pour faire dégager Zelensky. Moscou n’a pas besoin de prendre Kiev. La capitale tombera d’elle-même. Poutine en est convaincu».
Un nouvel ordre mondial
Troisième idée fixe du maître du Kremlin: la guerre en Ukraine est bel et bien en train de remodeler un nouvel ordre mondial. «Nous sommes amenés depuis le 24 février à penser que Poutine voit dans l’Occident une force hostile qui cherche à détruire la Russie, poursuit Tatiana Stanovaya. Or c’est faux. Pour Poutine, il y a de mauvais Occidentaux et de bons Occidentaux. Les mauvais sont ceux qui sont actuellement au pouvoir aux Etats-Unis et dans les pays européens. Les bons sont ceux qui, demain, accéderont aux rênes de ces pays et voudront en priorité rétablir des liens normaux avec la Russie. Il pense que le Hongrois Viktor Orbán, la française Marine Le Pen, et bien sûr Donald Trump, ont un avenir politique radieux. Il est convaincu que la crise énergétique, l’inflation et les tensions économiques vont amener ces 'bons' Occidentaux à détrôner les élites en place. Son rêve est d’avoir, par sa guerre en Ukraine, refaçonné l’Occident.»
Une surprise militaire serait inacceptable pour Moscou
L’experte du Carnegie Endowment for International Peace ne voit qu’une bonne nouvelle dans ce nouveau plan russe. «Le fait que le Kremlin croit à sa victoire et à ce plan a un mérite: diminuer le risque de surenchère nucléaire. Moscou pense qu’attendre suffira pour atteindre ces buts.» Mais attention, «plus Poutine et ses généraux sont convaincus qu’ils vont l’emporter, plus un retournement de situation sur le terrain, en Ukraine, sera inacceptable pour eux, conclut Tatiana Stanovaya. C’est à ce moment précis, lorsque son plan s’écroulera, que le président russe sera le plus dangereux.»