Ras-le-bol du milliardaire
Ils détestent Elon Musk, et Trump a décidé de les écouter

Tous les jours depuis l'accession à la présidence de Donald Trump, ils sont des milliers à manifester à Washington. A quelques pas de la Maison Blanche, ils réclament le départ de l'homme qui symbolise pour eux les pires abus de pouvoir: Elon Musk.
Publié: 02.05.2025 à 18:58 heures
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Dernière mise à jour: 02.05.2025 à 22:19 heures
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Sur les marches du Congrès, les manifestants scandent tous les jours des slogans hostiles à Donald Trump et à Elon Musk.
Photo: IMAGO/ZUMA Press Wire
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Richard WerlyJournaliste Blick

Je viens de voir ce que produit la détestation viscérale d’Elon Musk à Washington. Ils sont des centaines sur «Freedom Square», la place de la liberté qui fait l’angle entre la 14e rue et Pennsylvania Avenue. Et tous guettent le projet de budget rectificatif que Donald Trump doit adresser au Congrès ce 2 mai, avec environ 160 milliards de dollars de coupes supplémentaires dans les dépenses de l’administration fédérale. Soit l’équivalent des amputations déjà opérées, en cent jours, par Elon Musk et ses équipes.

La Maison Blanche est à deux pas. L’on en aperçoit le toit et les grilles, percées par les lumières colorées des voitures de police placées le long de la palissade. A l'intérieur, Elon Musk y a rencontré les journalistes jeudi 1er mai, reconnaissant qu'il est loin d'avoir atteint ses objectifs de coupes budgétaires, et qu'il a plusieurs fois dormi sur place, dans la «Lincoln Room» à l'invitation de Donald Trump. Musk: son seul nom soulève le cœur de Denise, John, Barbara, Alina et Demy. Je suis aux côtés de ces manifestants dont les slogans accusent l'homme le plus riche du monde. «Il est le pire des oligarques et c’est à lui qu’on demande de dépecer notre administration explique Barbara, enseignante à la retraite du Maryland, l’Etat voisin de la capitale fédérale. Trump doit s’en débarrasser. Et vite!»

Une armée anti-Elon Musk

Ils sont une armée anti-Elon Musk. On les a vu, à la faveur des protestations organisées pour les 100 jours de pouvoir de Trump, dans toutes les grandes villes des Etats-Unis. Une armée qui a trouvé dans le propriétaire de Tesla, Starlink et Starship, le coupable absolu des méfaits de l’Amérique version Trump. Denise, 62 ans, est originaire de Trinidad et Tobago, dans les Caraïbes. Infirmière, elle a travaillé dans des centres hospitaliers à Washington, Atlanta et Miami. Musk, un rêve américain?

«Non, c’est un pillard, un bandit qui attaque ce qui fait les Etats-Unis: notre diversité, notre capacité à intégrer, à donner une chance à tous, mais aussi à être bien gouverné. Musk et sa tronçonneuse, vous pensez que c’est digne de la première puissance mondiale?». Le visage du propriétaire du réseau social X se dessine sur sa banderole. Avec ce simple mot dessous: «Le plus grand voleur de la planète».

Le symbole de la réussite

Elon Musk, 53, symbolise pourtant la réussite. Une réussite américaine XXL. La preuve qu’un immigrant d’origine sud-africaine et de nationalité canadienne (obtenu par sa mère) arrivé aux Etats-Unis en 1992 avec son seul talent pour bagage, peut briser tous les plafonds de verre, jusqu’à rivaliser dans l’espace avec la NASA! Musk, c’est aussi depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche un spectacle permanent. Une casquette sur la tête, souvent aux couleurs de MAGA, lors des réunions ministérielles. Son jeune fils sur les épaules dans le Bureau ovale. Et ce bras tendu, plus que douteux, le soir de l’investiture du nouveau président des Etats-Unis dans l’enceinte du Capitol Arena, le stade situé à trois stations de métro de «Freedom Square».

Musk, c’est surtout depuis trois mois cette fameuse tronçonneuse. La promesse de couper 2000 milliards de dollars de dépenses fédérales, soit le tiers du budget annuel de l’Etat central américain. Avec un sigle que tous les manifestants hurlent comme une insulte ou parodient: DOGE, pour «Département de l’efficacité gouvernementale». A charge, pour le milliardaire, de dégraisser à la hussarde l’administration et de couper toutes les branches présumées «pourries ou inutiles» (pour reprendre ses expressions) de l’arbre fédéral. Il a d'abord promis 2000 milliards de coupes, puis 1000 milliards. Et maintenant, après 100 jours ? « Je pense qu'il est possible d'y parvenir, mais la route est longue et, vous savez, c'est vraiment difficile », a-t-il expliqué jeudi à la presse. « Il s'agit en quelque sorte de savoir jusqu'à quel point le cabinet et le Congrès sont prêts à souffrir pour appliquer nos recommandations. Parce que c'est possible, mais il faut faire face à de nombreuses plaintes ».

DOGE, quatre lettres honnies

Demy rigole quand je prononce ces quatre lettres honnies: D-O-G-E. Son mari travaillait à l’US Postal, la poste américaine qui, selon les historiens, a contribué à façonner cet immense pays. Il a reçu un simple email, qui a mis fin à sa carrière de fonctionnaire. Exit. «DOGE, c’est le bourreau qui guillotine l’administration, mais se trompe de cible. On coupe la tête à ceux qui servaient le pays et les usagers. Mon mari s’est vu proposer six mois de salaire d’indemnités s’il quittait immédiatement ses fonctions. Deux jours après, il a fait ses calculs. Il a préféré faire ses cartons».

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Au final, tout est résumé dans le projet de budget que la Maison Blanche s’apprête à transmettre au Sénat et à la Chambre des Représentants. «Trump propose de réduire les dépenses fédérales de 163 milliards de dollars, en ciblant les programmes relatifs à l’environnement, à l’énergie, à l’éducation et à l’aide internationale commente ce vendredi 2 mai le Wall Street Journal.

Budget «allégé»

Ce «budget allégé» vise à réduire ce que l’administration Trump considère comme des programmes «inutiles», à encourager le contrôle des États fédérés et à réduire le financement des énergies propres. Parmi les coupes proposées figurent la suppression des initiatives en matière de «justice environnementale», la fermeture de l’USAID et la réduction du financement des services sociaux».

Avec cette interrogation en prime: «Selon l’administration, cela représente une réduction de 22,6% par rapport aux dépenses prévues pour l’exercice 2025, qui se termine le 30 septembre. Mais ses calculs laissent perplexes».

Elon Musk est donc, logiquement, le bouc émissaire. Celui que tous les anti-Trump, mais aussi une partie de l’électorat présidentiel, préféreraient voir partir. Au point que le Chef de l’Etat, lui-même, vient à nouveau de lui entrouvrir la porte en le félicitant, mais en reconnaissant qu’il ferait mieux sans doute de revenir ses affaires. Le cours de Bourse du constructeur de voitures électriques Tesla est en chute libre. Les coupes budgétaires à la tronçonneuse opérées depuis 100 jours par le DOGE sont erratiques, au point que des réembauches ont dû avoir lieu dans des secteurs cruciaux comme la gestion des centrales nucléaires ou le contrôle aérien.

American way of Musk

John, 47 ans, est l’un des fonctionnaires licenciés. Il travaillait pour l’US Aid, l’agence américaine d’aide au développement. Il en contrôlait les fonds alloués aux pays d’Asie centrale. «Elon Musk pollue tout ce qu’il touche. Où est l’audit sérieux des dépenses justifiées ou non de l’US Aid? Musk se voit comme le «soft power» américain du futur. Pour lui, ses marques comme Starlink, Starship ou Tesla sont de bien meilleurs ambassadeurs que nos dons ou prêts pour sauver des vies et nourrir des populations entières. En clair: il veut faire de ce pays un Muskland. Il promeut «l’American way of Musk» en s’assurant que des milliards de dollars publics vont continuer d’alimenter ses projets industriels».

Musk sur le départ? Tout le monde en parle à Washington. Inévitable. Trop de «sorties de route» politiques pour le milliardaire, devenu encombrant pour Donald Trump. Et trop d’animosité, surtout, dans les couloirs feutrés de la Maison Blanche sur lesquels règne d’une main de fer Suzie Wiles, la directrice de l’administration présidentielle.

Engueulades dans le Bureau ovale

Musk s’est engueulé vertement avec les deux hommes forts du cabinet, le Secrétaire au Trésor Scott Bessent et le patron de la diplomatie Marco Rubio. Insultes. Reproches. «Les garçons seront toujours des garçons» a commenté la porte-parole Karoline Leavitt. Barbara l’enseignante s’énerve: «Moi, je n’ai jamais toléré dans mes classes que les élèves s’insultent de cette façon. Avec Musk, la première puissance mondiale est devenue une cour d’école alors que Trump donne des leçons au monde entier. Et vous voulez que nos partenaires aient confiance dans cette Amérique-là?»

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