Le risque est réel
Qui peut éviter la guerre nucléaire entre l'Inde et le Pakistan?

L'escalade de frappes en cours entre l'Inde et le Pakistan doit être prise très au sérieux. Les deux pays disposent d'un arsenal nucléaire et leurs gouvernements sont pris au piège dans une surenchère nationaliste.
Publié: 07.05.2025 à 07:05 heures
|
Dernière mise à jour: 07.05.2025 à 08:16 heures
1/4
Narendra Modi, le Premier ministre nationaliste indien, entend réparer l'affront de l'attaque terroriste au Cachemire.
Photo: keystone-sda.ch
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

S’interposer entre l’Inde et le Pakistan? Impossible de trouver aujourd’hui une puissance capable de s’y risquer alors que les deux pays se rapprochent de la guerre ouverte.

La Chine voisine est vue par New Delhi comme une adversaire, au point que le Pakistan lui a cédé le port de Gwadar sur l’Océan Indien. Les Etats-Unis, soutien traditionnel d’Islamabad, sont dans une phase isolationniste qui les rend presque indifférents au sort du sous-continent. 

La Russie est dans l’orbite chinoise, comme le prouve la visite en grande pompe de Xi Jinping à Moscou, où il doit rencontrer Vladimir Poutine en marge des commémorations du cinquantième anniversaire de la reddition nazie du 9 mai 1945. Quant à l’Union européenne, sa capacité de persuasion est très insuffisante pour stopper l’escalade.

Responsabilité ultime

En clair: l’Inde et le Pakistan se retrouvent face à leur responsabilité ultime de puissance nucléaire. Jusqu’où laisser monter la tension, après l’attaque terroriste contre des touristes indiens au Cachemire le 22 avril 2025, puis après la décision du Premier ministre indien Narendra Modi de déclencher dans la nuit de mardi à mercredi l’opération Sindoor, en frappant des cibles pakistanaises? 

Pour mémoire, les deux pays voisins disposent chacun d’environ 180 têtes nucléaires. Ce qui n’était pas le cas lors de leurs trois précédentes guerres, en 1947 lors de la partition à la suite de l’indépendance, en 1965 au sujet du Cachemire (déjà) et en 1971 lors de l’indépendance du Pakistan oriental, devenu l’actuel Bangladesh.

Espoirs de désescalade

Trois raisons peuvent toutefois pousser les autorités de New Delhi et d’Islamabad à calmer le jeu, alors que l’artillerie tonne de part et d’autre de la frontière indo-pakistanaise.

La première est l’absence de victoire possible pour l’un comme pour l’autre. C’est la grande différence avec les trois guerres de 1947, 1965 et 1971. L’Inde dispose de la bombe atomique depuis 1974. Le Pakistan a maîtrisé cette arme de destruction massive quinze ans plus tard, à la fin des années 80. Depuis, l’équilibre de la terreur prévaut dans ce sous-continent indien. 

«L’Inde et le Pakistan ne sont pas étrangers aux crises. Depuis qu’ils ont tous deux testé leurs armes nucléaires, ils sont tombés dans des moments de crise grave au moins une demi-douzaine de fois, mais les quelque deux milliards d’habitants de la région s’en sont jusque-là tirés sans dommage majeur», jugeait récemment l’ancien conseiller à la sécurité nationale du Pakistan Moeed Yusuf.

La crise économique comme levier

La deuxième raison est économique. Le Pakistan est enlisé dans une crise grave depuis des années, et sa population s’en prend de plus en plus aux réfugiés afghans, forcés de quitter en masse le pays. L’Inde, à l’inverse, est vue comme une future puissance de premier plan, à condition de moderniser ses infrastructures. Une guerre conventionnelle qui s’installerait dans la durée serait très dommageable pour les deux gouvernements en place.

Les mouvements de population importants seraient très compliqués à gérer. Le retour à la guerre froide au pied de l’Himalaya est une meilleure solution car elle permet à New Delhi et à Islamabad d’avoir chacun l’ennemi idéal, pour justifier la rhétorique nationaliste de leurs leaders.

Fracture religieuse

La troisième raison est religieuse et elle concerne avant tout l’Inde, dont le Premier ministre Narendra Modi prône depuis son accession au pouvoir en 2014 une politique nationaliste hindoue. La Fédération Indienne compte 175 millions de musulmans, soit 15% de sa population. 

Une guerre contre le Pakistan aboutirait sur des fractures religieuses de grande ampleur dans plusieurs régions du pays. L’Inde a connu trois présidents musulmans depuis son indépendance. Mais ces chefs d'Etat ont très peu de pouvoir. L’actuelle présidente Drupadi Murmu est en revanche une fidèle du BJP, le parti de Modi.

Escalade incontrôlée

Difficile, toutefois, d’écarter une escalade incontrôlée. New Delhi et Islamabad ont refusé, pendant longtemps, d’installer une ligne de communication directe entre les deux capitales pour empêcher tout chantage nucléaire. Preuve de l’inquiétude récurrente dans les milieux militaires, une étude publiée en 2019 prédisait de manière sinistre un conflit nucléaire entre l’Inde et le Pakistan, déclenché par une attaque terroriste meurtrière. 

Cette étude, publiée par Routledge, envisageait le pire: 50 à 125 millions de morts immédiates, des grandes villes indiennes et pakistanaises complètement détruites ou rendues inhabitables et l’effondrement des infrastructures dans les deux pays.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la