De longues queues s'étiraient devant les bureaux de vote avant même leur ouverture à 8h (14h suisses) pour ce scrutin qui doit décider si oui ou non les Chiliens veulent un important changement de société. Le vote s'achèvera à 18h (minuit en Suisse).
Le président de gauche Gabriel Boric a été parmi les premiers à aller voter, avec son père et son frère, dans la ville de Punta Arenas, à l'extrême sud du pays, face au Détroit de Magellan. «Au Chili, nous devons résoudre nos différences avec plus de démocratie, jamais avec moins. Je suis très fiers que nous soyons arrivés jusqu'ici», a-t-il twitté à cette occasion.
En finir avec la Constitution de Pinochet
Le vote de dimanche devrait soit finaliser, en cas de oui, soit suspendre, si le non l'emporte, le processus de nouvelle Constitution entamé après le violent soulèvement populaire de 2019 réclamant plus de justice sociale.
L'actuelle Constitution, rédigée sous la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), est toujours, malgré plusieurs réformes successives, considérée comme un frein à toute réforme sociale de fond.
Base néolibérale d'un modèle qui a permis des décennies de stabilité et de croissance économique, elle a aussi engendré une société profondément inégalitaire.
Peu d'optimisme dans les sondages
La proposition entend notamment que l'Etat puisse garantir aux citoyens chiliens le droit à l'éducation, à la santé publique, à une retraite ainsi qu'à un logement décent. Elle entend consacrer le droit à l'avortement, une question clivante dans le pays où l'IVG n'est autorisé que depuis 2017 en cas de viol ou de danger pour la mère ou l'enfant, ainsi que des droits environnementaux ou encore la reconnaissance des peuples autochtones.
Malgré la démonstration de force des partisans du «oui», qui ont réuni plus de 250'000 personnes jeudi soir à Santiago lors de la clôture de la campagne officielle - contre à peine 400 pour les soutiens du «non» -, les sondages prédisent, sans exception, la victoire du «je rejette» la proposition de nouvelle Constitution.
«Beaucoup de jeunes vont aller voter, surtout dans la capitale, et ces jeunes sont pour le changement. Mais cela ne signifie pas» que le vote d'approbation va l'emporter car il est donné perdant «dans le sud et le nord du pays», indique à l'AFP Marta Lagos, sociologue et fondatrice de l'institut de sondage Mori.
Ces deux régions connaissent de graves problèmes de violence et d'insécurité. Dans le sud, en raison de conflits autour de terres revendiquées par des groupes radicaux indigènes Mapuche et, dans le nord, en raison de l'afflux migratoire, des problèmes de pauvreté et de trafic d'êtres humains.
Les «millenials» pas sûrs de l'emporter
D'après Marta Lagos, les partisans du «non» forment un groupe «très hétérogène» avec une forte fibre «populiste» alimentée par la «peur» de se voir dépossédés. Au contraire, le camp du «oui» a été capable de comprendre comment «les nouveaux droits sociaux seront répartis», dit-elle.
«Il y a bien sûr toujours une possibilité que tous les sondages se trompent» et que le vote dans la capitale «puisse compenser celui dans le nord et le sud» du pays, mais «je pense que cette probabilité ne dépasse pas 5%» de chances, assure-t-elle.
La nouvelle Constitution porte certaines des valeurs «des millenials» (qui ont atteint leur majorité en 2000 ou après), mais «dimanche nous devrions assister à un vote conservateur», prédit la sociologue.
Des «feuilles de route» déjà élaborées
Un rejet de cette proposition de Constitution, élaborée pendant un an par une assemblée constituante élue en mai 2021 et composée de 154 membres, ne signifierait pas pour autant le gel de toutes les réformes. Des «feuilles de route» ont déjà été élaborées.
«Il y a un consensus sur le fait que la Constitution de 1980 n'est plus valable et que nous devrions passer à une autre» établissant de nouveaux «droits sociaux, politiques et économiques», a déclaré à l'AFP Cecilia Osorio, universitaire à l'Université du Chili.
Emanuel Gonzalez, un journaliste de 22 ans, qui dit avoir voté pour l'écriture une nouvelle Constitution lors du référendum d'octobre 2020, entend cette fois rejeter la proposition qui en a découlé.
«Ce n'est pas que je ne l'aime pas du tout. Je l'ai lue et je pense qu'il y a des choses qui peuvent être sauvées si un nouveau processus constituant est recréé», a-t-il dit.
Dix jours avant l'application si le oui l'emporte
Si le rejet l'emporte, le président Gabriel Boric a annoncé qu'il demanderait au Parlement de lancer un nouveau processus constitutionnel repartant de «zéro», avec l'élection d'une nouvelle assemblée constituante pour rédiger un nouveau texte.
Selon lui, le référendum de 2020, approuvé à 79%, a définitivement enterré la Constitution de l'ère Pinochet.
Si le oui l'emporte, la nouvelle Constitution entrera en vigueur dans dix jours.
Les partisans du président Boric veulent croire à un renversement de situation. «Les gens vont voter en masse et les sondages vont encore se tromper», se convainc le sénateur Juan Carlos Latorre, président du parti Révolution démocratique, membre de la coalition gouvernementale.
(ATS)