La toile «Rue Saint-Honoré, dans l'après-midi. Effet de pluie», peinte en 1897 par Camille Pissarro, se trouve, comme d'autres oeuvres de l'impressionniste, au coeur d'une longue bataille judiciaire aux ramifications internationales.
Ce tableau, qui montre des calèches et des piétons s'affairer à un carrefour parisien, appartenait en 1937 à une juive allemande, Lilly Cassirer Neubauer, qui avait été contrainte de le céder à un responsable nazi en échange de documents lui permettant de quitter l'Allemagne
Elle avait alors perdu la trace du tableau, vendu aux enchères à Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1958, elle avait accepté une compensation financière, attribuée par un tribunal allemand, sans renoncer à ses droits.
Acheté par un héritier d'un empire industriel allemand
Ce n'est qu'en 2000 qu'un de ses descendants localise l'oeuvre: Claude Cassirer apprend que le tableau, qu'il a vu enfant dans le salon de sa grand-mère, est exposé à Madrid, au musée Thyssen-Bornemisza.
Le gouvernement espagnol l'a racheté sept ans plus tôt au baron Hans-Heinrich Thyssen Bornemisza, héritier de l'empire industriel de la famille Thyssen et grand collectionneur d'art, qui l'avait lui-même acheté aux Etats-Unis dans les années 1970 sans connaître son histoire.
Claude Cassirer demande donc au gouvernement espagnol de restituer l'oeuvre, mais essuie un refus.
Installé en Californie, il dépose plainte en 2005 devant un tribunal fédéral américain. Il est depuis décédé et ses enfants ont pris le relais.
Le dossier s'étire alors sur les deux continents, avec des décisions de la justice espagnole et de la justice américaine défavorables aux héritiers.
L'audience qui s'est tenue mardi à la Cour suprême représente leur dernier espoir.
Question de primauté du droit
Les débats se sont focalisés sur une question juridique: est-ce le droit espagnol – selon lequel un propriétaire n'est pas obligé de rendre un bien spolié s'il ignorait son origine au moment de l'achat – ou le droit californien – qui ne prend pas en compte la bonne foi du propriétaire – qui s'applique dans ce dossier?
Les juges, qui lors de l'audience se sont focalisés sur des points très techniques ne mentionnant même pas l'oeuvre en cause, rendront leur décision dans quelques mois.
Entre 1933 et 1945, les nazis ont volé, pillé, saisi ou détruit 600.000 oeuvres d'art en Europe, selon un rapport du Congrès américain. Malgré des efforts de restitution, les conflits sont fréquents entre anciens et nouveaux propriétaires, et les tribunaux des deux côtés de l'Atlantique sont régulièrement amenés à intervenir.
Outre la toile «Rue Saint-Honoré», d'autres tableaux de Pissaro ont fait l'objet d'intenses querelles juridiques, dont «la Cueillette des Pois» – au sujet duquel s'opposent un couple de collectionneurs américains et une famille juive française –, ou «La Bergère rentrant ses moutons» – une héritière ayant finalement renoncé à ses droits au profit de l'Université de l'Oklahoma.
L'oeuvre de Camille Pissarro fait actuellement l'objet d'une exposition au Kunstmuseum de Bâle.
(AFP)