La falaise: c’est le mot qu’avait employé l’ancien premier ministre François Bayrou pour désigner la situation économique et financière de la France. Sans économies budgétaires conséquentes, pas de doute, le pays se condamne à sauter dans le vide avait-il prédit, en recommandant 44 milliards d’euros de coupes dans le budget 2026, qui devra être présenté au Parlement début octobre. Echec sur toute la ligne. Bayrou a dû démissionner après un vote de défiance massif des députés lundi 8 septembre. Son successeur nommé dans la foulée, Sébastien Lecornu (39) se retrouve donc à son tour au bord de la falaise.
Cette falaise, trois mots la symbolisent. Le premier est la dette publique, qui atteint 3415 milliards d’euros, soit 120% du Produit intérieur brut, dans un pays où l’économie est à plat, avec moins de 1% de croissance prévue pour 2025 et un déficit public annoncé à 5,4% du PIB. Cette année, la France devra payer 50 milliards pour les intérêts de cette dette. En 2026, il s’agira de 60 milliards, soit l’équivalent du budget de la Défense, seul poste en augmentation compte tenu de la guerre en Ukraine et de la menace russe.
La crédibilité, enjeu majeur
Le second mot en forme d’écueil sur le chemin pavé d’embûches du nouveau premier ministre, dépourvu de majorité à l’Assemblée nationale (384 députés sur 577 ont voté contre son prédécesseur François Bayrou) est «crédibilité». La France doit démontrer à ses partenaires européens, à commencer par l’Allemagne, qu’elle n’est pas en train de dérailler sur le plan financier. La Commission européenne a pointé du doigt la nécessité de faire, en 2026, au moins 25 milliards d’euros d’économies budgétaires.
Or qui dit crédibilité dit arrêt de l’hémorragie des dépenses publiques, dans un contexte de vieillissement de la population. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron a fait adopter, en 2023, une réforme controversée du système de retraites par répartition, repoussant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, ce qui reste inférieur à tous les pays européens. Or voilà que pour séduire les socialistes qui réclament l’abandon de cette réforme, Sébastien Lecornu, pourtant très proche de Macron, s’est dit prêt à en discuter!
La parole de la France en question
Bis repetita donc, après le «conclave sur les retraites; de François Bayrou qui a échoué? On croit rêver. Faute de réforme, le système de retraites accusera bientôt un déficit estimé entre 15 et 20 milliards d’euros. Comment les investisseurs étrangers et les bailleurs de fonds internationaux de la France peuvent-ils, dans ces conditions, croire à la parole de l’Etat français et à sa volonté de remettre le pays sur les rails?
Troisième mot qui incarne cette «falaise»: les impôts. En France, une proposition plane sur le débat public: celle de l’économiste de gauche Gabriel Zucman, partisans d’une contribution accrue des patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Ils devraient acquitter un impôt de 2% sur ce patrimoine. Zucman affirme que cela rapportera 15 milliards d’euros, tandis que d’autres économistes estiment le gain trois fois inférieur.
Nouvel impôt sur la fortune
Reste le symbole: un nouvel impôt sur la fortune (réclamé par la gauche) pour remplacer celui qu’Emmanuel Macron avait abandonné en 2018. Et ce, alors que plus de la moitié des foyers français ne paient pas d’impôt sur le revenu, et que 10% des foyers les plus aisés en paient environ 76% ! En échange, quel donnant-donnant? Quelle réforme pour freiner et arrêter les dépenses d’un État toujours plus obèse? Comment convaincre les riches de mettre au pot alors que la population française, dans son ensemble, épargne 19% de son revenu, un record absolu. 6000 milliards d’euros, hors immobilier, dorment dans les bas de laine des Français. Soit deux fois la dette publique!
Pur apparatchik politique, sans aucun passage professionnel dans le privé, Sébastien Lecornu se retrouve au bord d’une falaise dont il n’a jamais, personnellement – au sein d’une entreprise – mesuré le danger. Ce premier ministre a commencé sa carrière à 19 ans comme assistant parlementaire. Il a été élu à 27 ans maire de Vernon (Normandie). Il rêve, dit-on, de devenir président du Sénat. Il admire Emmanuel Macron, dont il a été sans interruption ministre depuis 2017. Il a dirigé depuis trois ans les armées, dont le budget n’a cessé d’augmenter.
Pas de parachute
On ne lui connaît pas de passion pour l’économie, pour les chiffres, pour la réalité de la mondialisation financière. Il n’a pas autour de lui un réseau d’économistes. Il a complètement adhéré jusque-là aux choix d’Emmanuel Macron, ce président qui a simultanément mis en avant l’attractivité industrielle de la France, et creusé la dette de plus de mille milliards d’euros sous sa présidence. La falaise? Lecornu est bel et bien au bord. Mais au vu de son parcours, on peut penser qu’il est équipé d’un parachute. Alors que la France, elle, n’en dispose pas.