Ils n’ont que son nom à la bouche. Ils scandent en boucle «Macron démission!» ou «Macron, ton CDD est terminé!». Le mouvement «Bloquons tout» avait initialement pour objectif de refuser l’austérité budgétaire proposée par le Premier ministre démissionnaire François Bayrou. Mais vu de la Place du Châtelet, à Paris, ces collectifs d’activistes soutenus par La France Insoumise (Gauche Radicale) et par les fédérations syndicales les plus dures, veulent surtout en finir avec le locataire de l’Elysée.
Pour eux, cette crise est d’abord la sienne. Jean-Jacques, la trentaine, enrage derrière sa bannière déployée face aux cars de police, sur les quais de Seine: «Si Macron part, le pays peut repartir à zéro. S’il reste, on va continuer de lui pourrir la vie.»
Macron démission?
Macron démission? Ce président a pourtant été démocratiquement réélu en mai 2022. Il est apprécié à l’étranger. Il a donné, en huit ans de présidence, un visage reconnu à la France. Sauf qu’ici, assis sur le bitume parisien, personne ne voit Emmanuel Macron comme «son président». Jean-Jacques, facteur dans une commune de banlieue, lui reproche au contraire de ne pas aimer les Français, de ne pas aimer son pays, et d’être incapable d’écouter le verdict des urnes ou des sondages.
«Il est persuadé que ceux qui l’entourent représentent la France, mais c’est faux. Le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu a beau avoir été élu local en Normandie, il est ministre depuis 2017. Ces macronistes vivent dans une bulle. Une bulle que François Bayrou, paradoxalement, a fait exploser avec ses promesses de coupes budgétaires et de suppression de deux jours fériés.»
Gilets jaunes, le retour
Paris n’est certainement pas la France. La Place du Châtelet n’a rien à voir avec les ronds-points où affluaient les «gilets jaunes» à travers le pays entier durant 2018-2019. Ils sont ici plusieurs centaines, encadrés par des militants vétérans de syndicats les plus durs: la CGT et Sud. Isabelle est étudiante en droit à Lille. Marc est livreur à vélo. Lucien, masque anticovid sur le nez, ne veut pas nous dire ce qu’il fait.
Aucun d’entre eux n’a suivi, même partiellement, la cérémonie de passation de pouvoirs, ce mercredi 10 septembre à midi, entre l’ex-premier ministre François Bayrou et son successeur, l’ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu. Personne, surtout, ne croit ce dernier lorsqu’il promet de «changer de méthode».
Contre l’oligarchie
«Bloquons tout» n’est pas un mouvement social. C’est un mot d’ordre diffusé sur les réseaux sociaux. Une mise en cause d’un système incarné aux yeux de la plupart des protestataires par Emmanuel Macron. Leur référence? Le vieux Sénateur américain Bernie Sanders et son combat contre l’oligarchie. «Ceux qui croient que cette crise est juste un problème parlementaire se trompent, me lâche Isabelle, l’étudiante lilloise. Macron a déréglé le pays. La France n’est pas une entreprise. L’Etat ne doit pas être rentable.»
Juste au-dessus d’elle, les affiches des derniers festivals parisiens de l’été toisent les manifestants. Les mots «dette publique», «déficit» ou «productivité» me sont aussitôt reprochés. «Macron vous a tous transformés en petits comptables s’énerve mon interlocutrice. Il propose quoi à ma génération, ce banquier-président?»
«Reset» présidentiel
Les chiffres que ces jeunes protestataires connaissent par cœur sont ceux des sondages. Selon les dernières enquêtes d’opinion, 65% des Français souhaitent qu’Emmanuel Macron démissionne, pour permettre un «reset» présidentiel. Comment croire, dans ces conditions, que le choix d’un chef de gouvernement recruté parmi ses collaborateurs les plus proches, peut leur paraître raisonnable, malgré les qualités de négociateur de Sébastien Lecornu?
«Macron est LE problème complète un grand gaillard reconnaissable à son gilet vert. Les cars de police montent la garde. Lui ne se démonte pas: «Tout le monde le dit au bistrot, dans la rue, dans nos facs, sur nos lieux de travail. Tous ceux qui prétendent le contraire ne veulent pas regarder la réalité en face. On reproche aux Français d’êtres accros à l’argent public, mais qui l’a distribué sans compter pendant le Covid, parce qu’il avait peur d’être battu en 2022? Macron!»
Guérilla sociale
«Bloquons tout!» n’est pas une fin en soi. Pour l’heure, sauf dans quelques points chauds, le blocage n’a même pas eu lieu ce 8 septembre. C’est d’abord un signal. Et c’est pour cela que le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon lui a apporté le soutien de La France Insoumise. Le signal d’une forme de guérilla sociale qui espère s’installer dans le pays, en misant sur les ressentiments. Ressentiment envers Macron bien sûr. Ressentiment envers les plus riches. Ressentiment envers la classe politique, cette «bande de privilégiés».
Juste devant moi, Roselyne brandit une pancarte flanquée du slogan «Le vent se lève». Elle promet la tempête si Macron insiste, comme il a promis de le faire en répétant qu’il ne démissionnera pas avant la fin de son mandat. François Bayrou, le Premier ministre renvoyé lundi 8 septembre par 364 députés sur 577, comparait la France à un navire à la coque trouée. Les jeunes manifestants de la Place du Châtelet, eux, sont assez d’accord. Sauf qu’ils n’ont pas l’intention de combler les voies d’eau. Pour eux, l’orchestre macroniste sur le pont du bateau France est déjà naufragé.