L'âge de 64 ans suspendu
Les retraités français croient avoir gagné, mais c'est faux

Une majorité des députés français ont voté ce 12 novembre la suspension de la réforme du système de retraites adoptée en 2023. L'âge de départ de 64 ans n'entrera pas en vigueur. Une victoire? Pas si sûr.
Publié: 19:32 heures
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255 députés français ont voté la suspension de la réforme des retraites. 146 ont voté contre.
Photo: IMAGO/Alexis Sciard
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est fait: la réforme du système de retraite adoptée avec tant de difficultés en avril 2023 est désormais suspendue en France. Suspendue, cela veut dire stoppée, mise en mode pause. Plus question donc de partir à l’âge légal de 64 ans, déjà inférieur à tous les pays européens. Retour à 62 ans et neuf mois, là où le curseur de la réforme (étalée jusqu’en 2030) se trouve en ce mois de novembre 2025. Au total, 255 députés français ont voté pour cette suspension, tandis que 146 ont voté contre. Les retraités vont donc crier victoire. Sauf que les faits ne donnent guère raison aux opposants à cette réforme.

Suspendre, ce n’est que repousser

Le vote par une majorité de députés, dont les socialistes et les macronistes (sauf quelques-uns dont Marc Ferracci, élu des Français de Suisse) de la suspension de la réforme ne va pas faire que des heureux. Sur le papier, les Françaises et les Français nés en 1964 et 1965 seront les premiers bénéficiaires de cette pause. Ils pourront en effet, s’ils disposent du volume de cotisations et de trimestres requis, partir à 62 ans et neuf mois. 

Mais attention: le vote d’aujourd’hui n’est que le début d’un processus. La suspension demeurera-t-elle dans le projet définitif de loi de finances de la Sécurité sociale, qui reviendra vers l’Assemblée nationale en décembre, après le vote du Sénat dominé par les conservateurs, bien décidés à voter contre? Et que se passera-t-il ensuite, jusqu’à l’élection présidentielle de mai 2027, dont la retraite sera un thème majeur? Le retour à 62 ans est, à bien des égards, factice et temporaire.

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Suspendre, c’est payer davantage

Les retraités sont aussi des contribuables. Mieux: ils sont souvent les plus solvables. Ces «boomers» sont donc à-peu-près certains de payer l’addition de la suspension de la réforme des retraites, sous une forme ou sous une autre. L’ironie de la situation est que le retour à 62 ans va surtout financièrement peser sur les épaules de ceux qui sont déjà à la retraite. On connaît les chiffres: pour financer un tel décalage dans le temps, l’Etat va devoir trouver environ 2,5 milliards d’euros d’ici à 2027. Pour rappel: la Cour des comptes vient de tirer le signal d’alarme devant l’ampleur du déficit de la Sécurité sociale française, qui atteint 23 milliards d’euros en 2025, en hausse de 7,7 milliards par rapport à 2024. Qui risque le plus de payer l’addition? Les retraités!

Suspendre, c’est paralyser le pays

Le pire des scénarios politiques pour la France, dans le contexte international actuel, serait que la réforme du système des retraites devienne un sujet central de la présidentielle 2027. Or, c’est bien parti pour! Il faut se souvenir qu’entre juin 2022 et avril 2023, date de la promulgation de la réforme des 64 ans, les manifestations furent nombreuses pour dire non au report de l’âge légal

Va-t-on vers une nouvelle mobilisation sociale, alors que cette réforme commençait à être digérée (même si une nette majorité de Français y sont opposés, selon les sondages)? Et que dire du projet initial du Rassemblement national de revenir à 60 ans, comme âge légal de départ? Plus on parle des retraites, moins on parle des problèmes de la jeunesse qui, elle aussi, exige de gros moyens financiers. La France avance le pied sur le frein.

Suspendre, ce n’est pas réformer

Il a suffi d’un article, le 45bis, dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (il y a deux projets de budget en France, l’un pour les dépenses de l’Etat, l’autre pour le volet social, y compris les retraites et l’assurance maladie), pour proposer la suspension. Sauf qu’après ce vote, personne n’y voit clair. Les socialistes ont obtenu une incontestable victoire. Mais Emmanuel Macron a juste parlé, lui, d’un «décalage». 

Pour l’heure, tout est gelé. Mais après? Va-t-on remettre à l’agenda un débat sur la création d’un système de retraite à points comme en Scandinavie? Ou proposer l’introduction d’une part de retraite par capitalisation (comme en Suisse)? Le vote des députés débouche sur un grand flou. Pas simple pour les directions des ressources humaines des entreprises…

Suspendre, c’est slalomer

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu doit satisfaire deux partis politiques s’il veut survivre, et éviter le vote d’une motion de censure qui l’obligerait à démissionner: le parti socialiste, et le parti Les Républicains (droite). Il faut impérativement que ces deux formations, qui comptent ensemble environ 120 députés, ne votent pas la censure. Ce qui rend alors impossible l’obtention d’une majorité absolue pour renverser le gouvernement comme le souhaitent Le RN et La France Insoumise (LFI). Résultat: un slalom budgétaire avec l’espoir d’arriver fin décembre à un projet de loi de finances adopté au Parlement. Lecornu doit donc faire aux uns et aux autres des concessions. Les 62 ans et neuf mois font partie de ce slalom.

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