Ceux qui rêvent d’infliger de nouvelles réductions budgétaires au service public de la radio et de la télévision en Suisse peuvent songer à l’inviter: depuis la création, par l’Assemblée nationale française, de la Commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public, le député Charles Alloncle tire à vue, lors des auditions, sur les responsables des chaînes de radio et de télévision visées.
Elu de l’Hérault, dans le sud de la France, ce trentenaire appartient au parti d’Eric Ciotti, l’ancien patron des «Républicains» (parti de la droite traditionnelle), rallié en 2024 au Rassemblement national (RN, droite national-populiste). Mais sa position de rapporteur de cette commission, présidée par Jérémie Patrier-Leitus, député centriste du Calvados, a fait de lui, ces dernières semaines, une sorte de «nettoyeur» des ondes, salué par la chaîne de télévision CNews, le média phare de la galaxie réactionnaire du milliardaire Vincent Bolloré.
Poids budgétaire très lourd
L’audiovisuel public, en France, pèse très lourd sur le plan budgétaire, avec ses 207'000 employés: 3,9 milliards d’euros de budget en 2025, financés directement par l’Etat depuis la suppression de la redevance en octobre 2022. Il est surtout accusé par la droite – et plus encore par sa composante national-populiste – d’être le bastion de la gauche et de la «bien-pensance».
«Le service public de l’audiovisuel est colonisé par l’extrême gauche», dénonçait encore en septembre 2025 Marine Le Pen, de nouveau candidate du RN à l’élection présidentielle de mai 2027, après le lancement d’une pétition pour son démantèlement. Des attaques qui ont monté en puissance avec l’affaire Legrand-Cohen, du nom de deux journalistes politiques qui, le 7 juillet 2025, ont été filmés à leur insu lors d’un café à Paris avec deux responsables du Parti socialiste. Le premier, Thomas Legrand, éditorialiste à «Libération» et collaborateur à France Inter, avait alors asséné: «Dati, on s’en occupe», en faisant référence à ses articles. Comme s’il menait campagne contre la candidate de la droite à la mairie de Paris, pour les municipales de mars 2026…
Polémique Legrand-Cohen
L’élément nouveau, au-delà de la polémique déclenchée par la diffusion, en septembre, par le mensuel d’extrême droite «L’Incorrect», d’une vidéo volée montrant les propos de Thomas Legrand (apparemment montés), est l’instauration, avec cette commission d’enquête de l’Assemblée, d’une sorte de tribunal parlementaire du service public. Les contrats, les temps de parole, les prises de position des principaux animateurs ou journalistes… tout est passé au crible dans un climat de tension qui a conduit «Le Monde» à regretter, dans un éditorial, «le piètre spectacle» de cette commission.
«La manière dont le rapporteur, Charles Alloncle, mène les auditions à l’Assemblée nationale donne une idée claire de l’avenir qu’il souhaite donner au service public de l’audiovisuel. De quoi s’interroger sur le sens de ces travaux parlementaires, qui participent à une offensive globale contre le pluralisme de l’information», écrit le quotidien de centre-gauche. Et d’ajouter: «Cette commission est en fait mise au service d’une attaque coordonnée contre un audiovisuel public qui ne compte plus ses ennemis. Le Rassemblement national ne fait ainsi pas mystère de sa volonté, s’il parvient un jour au pouvoir, de privatiser ce qu’il dénigre en le qualifiant de 'système verrouillé, militant, où l’hégémonie de la gauche est totale', selon le texte de la pétition lancée à cet effet le 24 septembre.»
Un écho en Suisse
En Suisse, où les électeurs se prononceront lors de la votation du 8 mars sur l’initiative «200 francs, ça suffit» visant à réduire (ou non) les moyens financiers du service public de l’audiovisuel, ce grand déballage français a de quoi alimenter les interrogations. A l’évidence, la volonté d’une partie des députés est d’utiliser la tribune parlementaire pour régler leurs comptes avec plusieurs médias influents.
Simultanément, les réponses des responsables de ces médias démontrent, même s’ils s’en défendent, que «l’entre-soi» a longtemps prévalu, que la manne financière publique a servi à alimenter les caisses de producteurs privés «amis», que les recasages problématiques du public vers le privé illustrent un aveuglement coupable face aux conflits d’intérêts. Ce que, précisément, le rapporteur Charles Alloncle veut mettre à plat: «Dans un moment où la défiance monte à l’égard des médias, où l’on demande à tout le monde de se serrer la ceinture, il est normal que les députés regardent comment est utilisé l’argent des Français», juge-t-il, estimant que l’audiovisuel public a jusqu’à présent été «trop sanctuarisé» et doit désormais «rendre des comptes».
Double malaise
Au bout du compte, alors que les auditions parlementaires vont se poursuivre au début de l’année 2026, un double sentiment de malaise s’impose. Oui, sur la base des auditions réalisées jusque-là (toutes sont publiques), la question d’une gestion hasardeuse du budget alloué à l’audiovisuel public français est posée. Et oui, toujours sur la base de ces auditions, le sentiment que ce service public n’a, longtemps, pas reflété parfaitement la diversité des opinions politiques peut sembler justifié.
Mais en parallèle, la volonté d’embuscade politique pose un réel problème. La plupart des questions du rapporteur sont biaisées. La chaîne CNEWS, première en audience parmi les chaînes d’information, tire à boulets rouges contre le service public (une plainte a été déposée par Radio France et France TV). Tout est fait pour polariser le débat et désigner des boucs émissaires, à commencer par la première radio du pays, France Inter.
Est-il normal, par ailleurs, de transformer en affaire d’État les propos maladroits de Thomas Legrand contre l’actuelle ministre de la Culture, poursuivie en justice pour «corruption et trafic d’influence» (procès attendu en 2026)? Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur les défis que la Cour des comptes relevait, dans son dernier rapport du 23 septembre 2025 sur France Télévisions: «Les évolutions indispensables se heurtent cependant à la rigidité des organisations du travail mises en place par l’accord collectif et à l’absence de polyvalence entre les métiers. A l’heure du «tout numérique», la capacité de l’audiovisuel public à proposer une offre intégrée puissante est un défi majeur […] et les progrès accomplis depuis 2020 ont été très lents»?
Référendum «à la Suisse»?
Avec, à la clef, pourquoi pas, un référendum «à la Suisse» sur l’avenir d’un service public aussi indispensable que contesté, à l’heure des attaques tous azimuts contre nos systèmes démocratiques? En mai 2025, 83% des Français interrogés par l’Institut Elabe se disaient favorables à l’organisation d’un référendum à entrées multiples. 59% des personnes interrogées citent la dépense, la dette, les impôts. Suivaient ex aequo les retraites et l’immigration (52%). 43% demandaient à être interrogés sur la fin de vie, 22% sur la réduction du nombre d’échelons territoriaux et 19% sur le scrutin proportionnel. Dans le bas du tableau, on trouve les rythmes scolaires et l’usage des écrans et réseaux sociaux pour les enfants (16%). L’audiovisuel public, lui, n’était pas cité, mais une récente enquête de l’Institut Ipsos montre que 69% des Français en ont «une bonne image».