Marine Le Pen tournera-t-elle la page ouverte le 13 avril 1946 par Marthe Richard? Cette année-là, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Marthe Richer, dite Marthe Richard, remporte l’un des combats de sa vie tumultueuse. Ancienne prostituée elle-même, devenue aviatrice, espionne pour la Résistance, puis députée de Paris, cette combattante féministe parvient à faire voter la loi qui porte son nom sur l’interdiction des maisons closes.
Les bordels, qui avaient proliféré sous l’Occupation allemande de la France, mettront des années à fermer. Or voici qu’ils pourraient renaître, si une proposition législative du Rassemblement national se concrétise.
Pour l’heure, la patronne du parti national-populiste, toujours candidate à la présidentielle de mai 2027 (mais dans l’attente de son procès en appel pour détournement de fonds publics, qui ouvrira à la mi-janvier 2026 et statuera sur sa peine d’inéligibilité pour cinq ans), n’a pas fait connaître son avis. Marine Le Pen, née en 1968, est toutefois connue pour avoir épousé les codes et les combats de son époque, contre la vieille garde du parti d’extrême droite créé par son père.
Elle a ainsi défendu le mariage homosexuel. Elle avait, lors de ses précédentes candidatures infructueuses à la présidentielle (2012, 2017 et 2022), demandé à chaque fois des notes sur la légalisation du cannabis, qu’elle continue de combattre. Et la prostitution? Jusque-là, peu d’expressions publiques de la part de celle qui compte, si elle ne peut pas se présenter à l’Elysée, sur son dauphin désigné: Jordan Bardella.
Légalisation possible?
Ce dernier pourrait-il, lui, être convaincu par la proposition de légalisation de la prostitution qu’entendent déposer plusieurs députés de son parti, dont son responsable des questions économiques, Jean-Philippe Tanguy? Possible. Ce dernier a surpris, en plein débat sur le budget de la Sécurité sociale qui doit être adopté (ou rejeté) ce mardi 9 décembre, avec son initiative législative.
Il souhaite déposer une proposition de loi pour créer des lieux «en mode coopératif», tenus par les travailleuses du sexe elles-mêmes et dans lesquels celles-ci seraient «leurs propres patronnes». «Les prostituées seraient impératrices en leur royaume», a-t-il ajouté. Des termes aussitôt dénoncés par les associations d’aide aux prostituées, comme le Mouvement du Nid.
Peu de sondages permettent de se faire une idée de l’opinion des Français sur ce sujet, alors que la prostitution est légale dans des pays voisins comme l’Allemagne, la Suisse ou la Belgique. Une étude récente a toutefois été réalisée en novembre 2025 par l’institut IPSOS pour la fondation Scelles sur l’éducation sexuelle. Selon ses résultats, la prostitution est clairement identifiée comme une violence (76%) et un obstacle à l’égalité (68%).
Pas moins de 83% des Français pensent également que la prostitution a des conséquences graves sur la santé et le bien-être des personnes. Plus problématique pour la proposition législative du Rassemblement national, qui doit encore se concrétiser: 92% des personnes interrogées disent que la loi de 2016, visant «à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées», est «une bonne chose», voire «une très bonne chose» pour 55% d’entre eux.
Les clients à l’amende
Que dit cette loi promulguée, symboliquement, le 13 avril 2016, soit exactement 70 ans après la loi de Marthe Richard? Que le recours à la prostitution constitue une infraction et que les personnes en situation de prostitution sont considérées comme des victimes du système prostitutionnel.
Qu’il convient de renforcer les moyens d’enquête et de poursuite contre la traite des êtres humains et le proxénétisme, de mettre en place une prévention plus importante des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution, et, surtout, de responsabiliser les clients.
La loi de 2016 instaure une interdiction d’achat d’acte sexuel. L’infraction de recours à la prostitution est punie d’une contravention de 1500 à 3750 euros. Une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels est également prévue. Environ un millier de clients auraient été, depuis, verbalisés chaque année.
Marine Le Pen à l’écoute
Marine Le Pen avait, à l’époque, déploré ce projet de loi. La cheffe du Rassemblement national s’était opposée à la pénalisation des clients de la prostitution, préférant défendre une mobilisation policière contre les «réseaux mafieux étrangers de prostitution».
La pénalisation des clients, selon elle, «risquait d’apporter un surcroît de danger» pour les personnes prostituées. «Il y a, on le sait, des femmes, et pas seulement des femmes, qui font (cette activité) de manière volontaire», avait-elle fait valoir. Ce qui pourrait l’amener à défendre cette nouvelle proposition de loi.
Services sexuels numériques
La réalité de la prostitution, en France, rime de plus en plus avec services sexuels numériques. La prostitution des mineurs, encadrés par des proxénètes qui passent des annonces sur internet, est une réalité croissante. Sur l’année 2024, le ministère de l’Intérieur affirme avoir enregistré 1579 victimes de proxénétisme ou de recours délictuel à la prostitution parmi les 12 486 personnes victimes d’exploitation sexuelle. 94% des victimes sont des femmes, dont 42% mineures. Dans 9 cas sur 10, les clients sont des hommes.
Mais c’est un autre chiffre qu’il faut retenir: 30 à 40 000 personnes seraient actuellement en situation de prostitution en France. Des chiffres «certainement sous-évalués en raison de l’augmentation de la prostitution logée qui, facilitée par les nouvelles technologies, invisibilise une partie des victimes».