Je crois savoir ce que veulent les Français. Enfin, pas tous les Français: ceux à qui je parle, ceux avec qui j’échange, ceux que nous tous, correspondants de médias étrangers en France, rencontrons chaque jour au fil de nos reportages.
Ils veulent un pays solide, capable de renouer avec sa prospérité passée et sa longue tradition d’innovation dans tous les domaines. Ils aimeraient que les politiques s’entendent pour mieux gérer cette République dont ils déplorent le délitement. Ils sont davantage obsédés par le pouvoir d'achat et leurs services publics que par l'immigration. Ils redoutent l'insécurité. J’écris cela pour dire que je n’ai pas besoin – et je ne crois pas être le seul – du nouveau livre de Jordan Bardella (30) pour avoir une idée de ce que souhaitent ses compatriotes.
Un best-seller
Le jeune Président du Rassemblement national a pourtant cru nécessaire de reprendre son clavier (ou sa plume?) pour écrire un nouvel opus. Fort des très bonnes ventes de «Ce que je cherche», son autobiographie sortie il y a un an, le voici qui nous raconte «Ce que veulent les Français» (Ed. Fayard). Ah bon, parce qu’il le sait?
Je ne pose même pas ici la question qui fâche, pour savoir si Jordan Bardella a, ou non, écrit lui-même son livre ce livre de plus de 200 pages. Je m’interroge juste: est cela qu’on attend d’un politicien de trente ans? Une confession nationale? Franchement, je préfère – et de loin si j’en juge par les premières pages – lire les excellents ouvrages du sociologue Jérome Fourquet. Ou bien «L’étrange défaite» de l’historien Marc Bloch, qui entrera au Panthéon en juin 2026. Je suis sûr que vous aurez aussi bien que moi compléter la liste. Nous pourrions même, après, l’envoyer à «Jordan».
La Chine, en urgence!
Cher Monsieur Bardella, arrêtez d’écrire! Voyagez! Le Rassemblement national, même s'il vient pour la première fois de faire voter un texte à l'Assemblée nationale (sur l'abrogation de l'accord historique de 1968 avec l'Algérie), peut patienter quelques semaines et tolérer votre absence. Rendez-vous d’urgence en Chine où se joue une partie de l’avenir du monde. Faites escale à Singapour, la nouvelle Suisse de l’Asie du Sud-Est. Prenez le temps de découvrir ces mastodontes financiers que sont devenus Dubaï et le Qatar. Au fait, ôtez-moi d’un doute: je suis sûr que vous parlez bien anglais, comme la plupart des jeunes de votre génération passés par l’université?
Oui, voyagez. Sillonnez la Silicon Valley pour ressentir l’air de cette Californie que Donald Trump, de plus en plus considéré comme un modèle par votre camp politique, veut mettre au pas. Je vous recommanderai aussi, comme vient de le faire Marine Le Pen au Tchad cette année, un détour par l’Afrique. Vous pouvez choisir de rajouter la Russie, même si cela vous sera reproché (pas par moi, croyez-le bien).
Pour comprendre
Voyagez pour comprendre. Écoutez vos interlocuteurs. Oubliez un moment les couloirs des palais de la République dans lesquels vous avez grandi, depuis le RN vous a adopté, après votre adolescence militante à Saint Denis, au nord de Paris. Délaissez Bruxelles et Strasbourg, ces forteresses européennes souvent déconnectées des réalités.
J’aimerais ensuite lire le livre que vous tirerez de ces voyages. Un livre qui s’interrogera sur la place, le rôle, et les moyens de la France dans ce monde. Vous ramènerez aussi de ces périples quantité d’histoires à confronter avec celles des Français qui, eux aussi, voyagent et se frottent à l’épreuve du monde. Emmenez quand même avec vous votre dernier livre: Peut-être constaterez-vous que les Français, parfois, se trompent, exagèrent, déforment, oublient, se victimisent. Comme nous tous!