Ils sont encore plus mal notés que les journalistes! Traditionnellement, les Français expriment dans les sondages leur dégoût des médias. Chaque année, le baromètre de confiance médiatique publié par «La Croix» affiche un score terrible: entre 60 et 70% des personnes interrogées expriment leurs doutes sur la crédibilité des professionnels de l’information. Or voici qu’une catégorie est désormais encore plus impopulaire: les politiques.
Pire: ces derniers sont rejetés et vilipendés. La dissolution controversée de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, les chutes successives des gouvernements Barnier (décembre 2024) et Bayrou (septembre 2025), et les surenchères dans les tractations parlementaires ont fait virer le tableau au noir sombre. Les Français n’en peuvent plus.
«Le niveau d’inquiétude du pays face à la situation politique née de la dissolution de l’Assemblée nationale est très élevé, rejoignant celui qui était enregistré en pleine crise des Gilets jaunes (décembre 2018), note le politologue Bruno Cautrès, du Centre d’étude de la vie politique française de Sciences-Po (CEVIPOF). Rarement l’exercice du pouvoir n’aura été perçu aussi négativement. Les Français regardent et analysent l’univers de la politique comme un spectacle étrange, presque étranger à eux: la confusion, l’inquiétude et le sentiment de ne plus être écoutés par un monde politique qui s’est autonomisé caractérisent l’opinion publique. »
Signal d’alarme
En mars 2025, une première étude avait tiré le signal d’alarme. Huit mois plus tard, alors que le débat parlementaire sur le budget est enlisé et que le risque de non-vote d’un projet de loi de finances pour 2026 est réel, la politique fait peur. «Pour la première fois dans l’histoire récente des enquêtes d’opinion en France, la vie politique apparaît comme la préoccupation principale des Français. Elle est citée spontanément par 30% des répondants», juge le CEVIPOF.
En clair: les Français interrogés voient dans leurs autorités le premier problème du pays. Dur! «Cette thématique arrive devant l’inflation et le pouvoir d’achat qui préoccupent 27% des enquêtés, devant la justice et la criminalité évoquées par 24% d’entre eux, devant le budget et la dette nationale cités par 21%, et devant l’immigration mentionnée par 20%.»
Délier ces chiffres des personnes est impossible. La politique s’incarne dans des partis, des dirigeants et des élus. Pour rappel, Emmanuel Macron (en visite en Chine cette semaine) est désormais considéré comme un «mauvais président» par huit Français sur dix.
Sa cote de popularité, dans certains sondages, est tombée au-dessous de 15%. Il est aussi évident que Sébastien Lecornu, Premier ministre depuis le 9 septembre 2025 (son premier gouvernement n’aura duré que 14 heures), ne parvient pas à redresser la barre. 60% des Français, selon un récent sondage Ipsos pour BFMTV, ne lui font pas confiance. «La crise politique est la plus profonde jamais traversée par ce pays», reconnaît un autre politologue, Frédéric Dabi, auteur de «L’écharpe et les tempêtes: face aux maires, la défiance inattendue» (Ed. L’Aube).
Ras-le-bol inédit
Pourquoi cette colère et ce ras-le-bol inédit par son ampleur, à un an et demi de la prochaine élection présidentielle de mai 2027 et à trois mois des municipales de mars 2026? La réponse des experts de Sciences Po est sans appel: la légitimité des politiques s’est évaporée.
«Notre étude met en lumière une crise de légitimité qui s’exprime simultanément sur trois plans. Elle révèle d’abord une délégitimation personnelle du chef de l’Etat qui s’accompagne d’une violence symbolique exceptionnelle. Elle met ensuite en évidence une remise en cause institutionnelle qui interroge l’architecture ou le fonctionnement même des institutions, voire de la Vème République. Elle montre enfin un rejet global de la classe politique, perçue comme une élite déconnectée et prédatrice.»
Déconnectée, c’est-à-dire incapable de comprendre les préoccupations des gens. Prédatrice, c’est-à-dire obsédée par le profit financier et matériel qu’elle peut tirer de son pouvoir. La classe politique française est, purement et simplement, discréditée.
Le résultat? Une très forte poussée attendue, lors des prochaines échéances électorales, du «dégagisme». Dehors les sortants! Dehors les élus des partis dits «de gouvernement». Avec un grand vainqueur sur le papier: Jordan Bardella, le jeune président du Rassemblement national, qui mène une tournée promotionnelle pour son livre «Ce que veulent les Français» (Ed. Fayard).
«Jordan», comme tout le monde le surnomme, atteint 39% d’opinions favorables, son meilleur score depuis la création de l’enquête Cluster 17 pour le magazine «Le Point», avec 25% de «très fort soutien». Marine Le Pen suit à 38%, soutenue fortement par 22% des sondés. Conséquence, selon un récent sondage du «Figaro»: s’il est candidat, Jordan Bardella dominerait ses adversaires haut la main dans tous les scénarios au second tour de la présidentielle! Du jamais vu. A nuancer, toutefois, car la course pour l’Elysée est un redoutable marathon.
Basculement historique
«L’émergence de la thématique 'Vie politique et éthique gouvernementale' comme préoccupation première des Français révèle un basculement historique, poursuit le CEVIPOF. Traditionnellement dominées par les questions économiques et sociales, les inquiétudes citoyennes se focalisent désormais sur le dysfonctionnement du système politique lui-même.
Une priorisation qui suggère que la crise de gouvernance serait perçue comme la matrice de tous les autres problèmes nationaux.» En France, la classe politique n’est plus perçue comme porteuse de solutions, mais comme une caste qui empêche le pays d’avancer.