Désaccord parlementaire
La France démarre 2026 sans budget: une bonne nouvelle?

Une fin d'année sans budget de l'Etat: c'est le cas de la France où le projet de loi de finances n'a pas pu être voté. Rendez-vous début janvier, mais au fond, et si c'était mieux ainsi?
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Sébastien Lecornu dirige le gouvernement français depuis la mi octobre. Il n'a pas réussi à faire voter le budget de l'Etat pour 2026.
Photo: IMAGO/PsnewZ
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Richard WerlyJournaliste Blick

Et si c’était une bonne nouvelle pour la France? Officiellement, la seconde économie de la zone euro n’aura pas de budget pour démarrer l’année 2026. Son Parlement n’a pas approuvé le projet de loi de finances présenté par le Premier ministre Sébastien Lecornu, en poste depuis la mi-octobre. Vous avez bien lu: la France est sans budget. C’est pour cela qu’une «loi spéciale», destinée à permettre de continuer de payer l’administration et de faire fonctionner l’Etat, va être votée in extremis avant Noël. Elle reconduira les dépenses de 2025. Un point, c’est tout.

Pourquoi une bonne nouvelle alors que le pays vient encore une fois de franchir un nouveau record d’endettement, avec 3482 milliards d’euros de dette, soit 117% de son produit intérieur brut? Au moins pour deux raisons, il est vrai, pas faciles à comprendre.

La première est que, faute de budget, le gouvernement français ne peut pas débourser davantage, alors que la progression des seules dépenses de sécurité sociale (elles figurent dans un projet de loi séparé, qui, lui, a été voté le 16 décembre) sera encore de 1,6% en 2026. La seconde est que le feuilleton du budget n’est pas terminé. L’Assemblée nationale va reprendre ses travaux budgétaires au début janvier, et le projet de loi de finances de l’État pour 2026 pourrait finalement être voté…

Les trois leçons de 2025

La vraie question, à quelques jours de la fin de l’année 2025, est ce qu’il faut retenir de l’épisode entamé à la mi-octobre par la nomination de Sébastien Lecornu à la tête du gouvernement, après la chute de François Bayrou, ce Premier ministre qui, à juste titre, tirait le signal d’alarme sur l’endettement de la France et réclamait d’urgence 42 milliards d’euros d’économies budgétaires pour l’année prochaine.

Ce qu’il faut retenir donc? Trois leçons, pas si négatives, dans un contexte où, de toute façon, l’incapacité de la France à tenir ses comptes publics découle directement de la prochaine élection présidentielle, en mai 2027. Qui peut croire à une cure (indispensable) d’austérité à la veille de cette échéance, dans un pays qui compte environ six millions d’employés du secteur public et où l’État, sous une forme ou une autre, est omniprésent dans l’économie?

Première leçon: une coalition de facto s’est dessinée ces dernières semaines à l’Assemblée nationale. Elle va du Parti socialiste à la droite traditionnelle, incluant le camp présidentiel macroniste. Les partis qui la composent sont tous d’accord pour ne pas retourner aux urnes, au moins avant les élections municipales de mars 2026. Ils sont d’accord pour mettre le pays en mode pause en attendant la présidentielle.

Grave? Oui

Grave? Oui, sur le plan des réformes indispensables. Mais les Français sont, selon un sondage publié début décembre, à la fois paniqués par leurs problèmes politiques et demandeurs de calme institutionnel. «La crise de confiance envers le personnel politique s’opère sur trois niveaux», juge l’enquête de Sciences Po: la délégitimation personnelle du chef de l’État, le fonctionnement des institutions voire de la Ve République, et le rejet de la classe politique dirigée par une élite déconnectée et prédatrice. Mieux vaut, dans ces conditions, un pays condamné au surplace qu’une crise majeure.

Seconde leçon: la prise de conscience de l’impasse budgétaire. Elle n’est pas évidente, mais l’on voit mal comment la question de la dette et de la réforme des retraites (gelée dans l’actuel budget de la Sécurité sociale, voté à part) ne dominera pas la présidentielle de 2027. On pourrait résumer ainsi: pourquoi voter un budget puisque l’heure de vérité sonnera dans un an et demi? Là aussi, vu de Suisse, c’est grave. Mais la France termine les deux mandats présidentiels d’Emmanuel Macron sur les rotules, sans cap véritable. Elle va continuer de dépenser trop (le prix du calme social et politique), mais les Français savent que ce n’est plus tenable. Alors, n’est-il pas logique d’attendre la présidentielle pour trancher?

Le train ne déraille pas

Troisième leçon: l’absence de budget au début 2026 et la reprise des négociations parlementaires en janvier vont obliger chacun à prendre ses responsabilités. Telle est la stratégie du Premier ministre Sébastien Lecornu, qui refuse de faire adopter le projet de loi de finances par la procédure de vote bloquée de l’article 49.3 de la Constitution.

Il a promis de ne pas l’utiliser et il tient bon. Pourquoi? Parce qu’il a conclu un «deal» avec le Parti socialiste. Il a gelé la réforme emblématique des retraites d’avril 2023 (l’âge de départ prévu à 64 ans est revenu à 62 ans et neuf mois). Il s’est renié. Il exige donc que ses partenaires fassent un pas. C’est peu glorieux, mais le paysage politique français sera clarifié. La droite et la gauche radicale vont continuer de mener l’assaut. Le premier test de réalité sera le scrutin municipal et le destin de grandes villes qui pourraient changer de mains (Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg…).

On résume? La France est un pays qui n’a pas aujourd’hui la capacité politique pour faire des sacrifices alors qu’ils sont indispensables. Mais elle reste incontournable en Europe et ses comptes publics, gravement déficitaires, ne sont pas encore en déroute. Emmanuel Macron et son Premier ministre cherchent donc, avant tout, à gagner du temps.

L’absence de budget de l’État pour 2026 est la preuve que le train «France» ralentit toujours plus. Sans dérailler.

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