La publication, mercredi 12 novembre, de 20'000 pages de documents liés au dossier Epstein par la Chambre des représentants a fait l’effet d’une déflagration à Washington. Ces archives contiennent des centaines d’échanges entre le délinquant sexuel, mort en 2019, et des personnalités politiques, diplomatiques ou médiatiques de tout premier plan.
Depuis leur diffusion, tous les regards se tournent vers Donald Trump, qui a toujours minimisé ses liens avec Jeffrey Epstein. Son nom apparaît pourtant dans plusieurs courriels. Le camp Trump dénonce un coup monté par les démocrates. Mais les documents révèlent bien plus qu’un simple bras de fer politique: ils mettent au jour un réseau tentaculaire de contacts et d’influences. Tour d’horizon des révélations les plus explosives.
Les pistes russes
Plusieurs échanges montrent Jeffrey Epstein tentant de se positionner comme intermédiaire auprès de la diplomatie russe. Avant le sommet Trump-Poutine de 2018, il écrit à l’ancien secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, pour lui suggérer de dire à Vladimir Poutine que son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, pourrait «s’appuyer sur lui» pour mieux comprendre la psychologie de Donald Trump.
L'ancien financier affirme également avoir conseillé Vitaly Churkin, l'ancien ambassadeur russe auprès de l’ONU, décédé en 2017. Dans un message, il décrit l'actuel président américain comme un interlocuteur «simple à gérer», tant qu’il a «l’impression de gagner quelque chose». Il assure même avoir aidé Vitaly Churkin à «comprendre» Trump après plusieurs conversations.
Trump «savait pour les filles»
C’est l’un des passages les plus explosifs des documents publiés. Dans un e-mail de 2019, quelques mois avant sa mort, Jeffrey Epstein écrit: «Bien sûr qu’il savait pour les filles, puisqu’il a demandé à Ghislaine d’arrêter.» Dans un autre message, il affirme que Donald Trump a passé «plusieurs heures» avec une victime du financier au domicile de ce dernier. Les républicains identifient la jeune femme comme Virginia Giuffre.
Un coup dur pour Donald Trump et la Maison Blanche qui ont nié à plusieurs reprises que le président américain avait connaissance des agissements criminels d’Epstein. Une ligne maintenue mercredi encore alors que Donald Trump accuse l'opposition de promouvoir une «supercherie». «Ces emails ne prouvent rien si ce n'est que le président Trump n'a absolument rien fait de mal», a assuré sa porte-parole, Karoline Leavitt, pendant une conférence de presse.
La photo de l'ex-prince Andrew et sa victime présumée
L'ancien prince, récemment déchu de ses titres, Andrew Mountbatten-Windsor a toujours nié avoir rencontré Virginia Giuffre, qui l'accusait d'agressions sexuelles répétées. Il avait également affirmé qu'une photo tristement célèbre où l'ancien duc bras autour de la jeune fille – qui avait 17 ans à l'époque –, était truquée.
Et bien coup de théâtre, dans un email daté de 2011, Jeffrey Epstein écrit: «Oui, elle a été prise en photo avec Andrew, comme beaucoup de mes employés», confirmant l'authenticité de la photo.
Plusieurs courriels montrent également l'ex-prince Andrew tentant de contenir les retombées de l’affaire Epstein. Dans un message, il insiste pour que toutes les prises de position publiques précisent explicitement qu’il «n’est PAS impliqué». Il indique également qu'il «n'en peut plus» des accusations. D’autres échanges révèlent qu’Epstein et la publiciste Peggy Siegal cherchaient à mobiliser des relais médiatiques pour décrédibiliser Virginia Giuffre, en contestant son âge, son rôle et son récit. Celle-ci s'est suicidé le 25 avril 2025 à l'âge de 41 ans.
Un levier sur Trump?
Les nouveaux e-mails ne démontrent pas l’existence d’un chantage direct de Jeffrey Epstein et de sa compagne Ghislaine Maxwell envers Donald Trump. Mais leur contenu suggère que le couple considéraient certaines informations le concernant comme potentiellement utiles. En 2011, alors que l’affaire Epstein-Andrew éclate publiquement, il écrit à Maxwell qu’il trouve surprenant que le nom de Trump n’apparaisse jamais, évoquant le fait qu'il a passé des heures avec Virginia Giuffre chez lui, sans que cela ne soit mentionné dans les enquêtes.
En 2015, dans un échange avec le journaliste Michael Wolff, Jeffrey Epstein cherche à anticiper les questions sur sa relation avec Trump pendant la campagne présidentielle. Michael Wolff lui conseille de laisser Trump «se piéger lui-même» si celui-ci niait avoir été dans son avion ou dans sa maison, ajoutant que cela serait «un atout précieux en termes de relations publiques et un avantage politique considérable». L’idée d’un levier possible apparaît donc en filigrane, sans qu’il y ait preuve d’une utilisation effective.
Des figures américaines influentes
Les nouveaux fichiers révèlent aussi l’étendue des contacts d’Epstein avec des figures influentes du monde politique, culturel et médiatique. En 2018, l’homme d’affaires échange avec Steve Bannon, ancien stratège de Donald Trump. Il lui propose d’organiser des rencontres en tête-à-tête avec «plusieurs dirigeants de pays étrangers» à condition que Bannon accepte de passer «huit à dix jours en Europe». Jeffrey Epstein insiste sur le fait que l’influence internationale ne peut pas se gérer «à distance» sur le Vieux Continent: «Si vous voulez jouer ici, vous devrez y consacrer du temps. Jouer à distance en Europe, ça ne marche pas.»
Dans un autre registre, les e-mails mentionnent également le cinéaste Woody Allen et son épouse Soon-Yi Previn. Epstein leur transmet un article lié à l’entourage de la campagne Trump, et Soon-Yi Previn répond que «Woody» estime que cette information «ne signifie rien». L’échange ne révèle pas de lien particulier avec l’affaire Epstein elle-même, mais il montre qu’Epstein entretenait des contacts réguliers avec des personnalités de premier plan, et qu’il partageait avec elles des informations politiques ou stratégiques liées à la présidentielle américaine.
L'Arabie Saoudite aurait moqué Trump
Les échanges dévoilés montrent aussi que Jeffrey Epstein correspondait régulièrement avec Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor américain et figure influente de l’élite politique. Dans l’un de ces e-mails, Larry Summers raconte à Epstein un voyage de 2017 en Arabie saoudite et livre son ressenti sur les discussions tenues avec des responsables saoudiens. Il affirme que, selon eux, «Donald est un clown, de plus en plus dangereux en matière de politique étrangère».
Au-delà de l’anecdote, cet échange illustre la nature des conversations que Jeffrey Epstein entretenait avec des personnalités de haut niveau: des confidences brutes, parfois dépréciatives, sur la perception internationale de la présidence Trump. Il permet aussi de mesurer la proximité du délinquant sexuel avec des décideurs capables de lui transmettre des impressions directes venues de l’intérieur des cercles diplomatiques du Golfe.