De TikTok aux charts
Addison Rae, l’influenceuse devenue popstar

On lui prédit déjà une carrière à la Lana del Rey mais la chanteuse américaine Addison Rae, qui a sorti son premier album, vient d’un tout autre univers que celui de la pop: elle a d’abord grandi sur TikTok. Une preuve que le monde de la chanson est en train de changer?
Publié: 09:06 heures
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Addison Rae vient de sortir son premier album, nommé «Addison».
Photo: Getty Images for MTV
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«Le monde est mon huître. Chéri, viens toucher ma perle.» Sur le papier, on vous l’accorde, les paroles peuvent sembler d’un érotisme légèrement absurde. Pourtant, des milliers de personnes les chantent déjà. Elles sont extraites d’«Aquamarine», titre de la chanteuse américaine Addison Rae qui figure sur son premier album, sobrement intitulé «Addison».

Sorti au mois de juin, l’opus a accumulé 13,4 millions de streams sur la plateforme Spotify en 24 heures. Loin derrière une Beyoncé ou une Taylor Swift, qui peuvent tourner autour des 40 ou 50 millions, mais pas mal du tout pour une première. Qui plus est quand la chanteuse ne vient pas du sérail.

Un parcours unique

Car c’est là toute la particularité d’Addison Rae, pas encore tout à fait 25 ans. En 2019, lorsque le monde entier a fait connaissance avec elle, ce n’était pas pour sa musique mais… pour des vidéos TikTok. Alors que tous les artistes ont dû, ces dernières années, s’adapter aux réseaux sociaux et les prendre en compte dans leur stratégie d’image, Addison Rae a, elle, fait le chemin inverse.

Elle est passée de l’influence à l’art – et pas simplement un album autoproduit ignoré, non, madame est lancée sur orbite par Columbia Records et toute la presse américaine se pâme devant ce qui devrait être la musique de l’été. Une stratégie calculée au millimètre et pas si aisée à mettre en œuvre qu’on pourrait le croire.

«
Les gens autour de moi me disaient que ce n’était pas réaliste
Addison Rae
»

L’explosion sur TikTok

Car au départ, sur TikTok, la jeune femme fait comme tout le monde: elle danse sur les chansons des autres dans des vidéos au format vertical. Depuis son enfance, passée en Louisiane, l’Américaine adore ça. À l’âge de six ans, elle se met à la compétition de danse, traversant le pays avec ses parents pour s’y adonner. À l’université, elle rêve de scène et de télévision.

«Les gens autour de moi me disaient que ce n’était pas réaliste», raconte-t-elle au «Wall Street Journal» en 2020, alors qu’elle est déjà célèbre mais pas encore chanteuse. «Je répondais qu’un jour je passerai sur [la chaîne de télévision américaine] ESPN et que tout le monde me verrait.» Ce sera chose faite en marge d’un match de basket de la NBA.

Un coup de pouce de Mariah Carey

Tout change en juillet 2019, lorsque Addison Rae s’inscrit sur TikTok. Immédiatement, elle prend ça très au sérieux, en soignant ses vidéos qu’elle poste à un rythme effréné – jusqu’à huit par jour – sous les regards encourageants de sa mère, Sheri, elle-même sur le réseau social.
La gloire vient avec un coup de pouce virtuel: celui que Mariah Carey lâche sous une vidéo postée le 25 juillet. Addison Rae danse avec Sheri sur le titre «Obsessed» de la chanteuse. Les vues grimpent jusqu’à 6,4 millions. La magie d’Internet se charge du reste.

L’ère de l’influence

En octobre la même année, la jeune femme atteint le million de followers et devient officiellement une influenceuse. Ses premiers liens avec le monde de la musique se nouent à ce moment-là: les labels lui envoient 20 dollars via PayPal pour qu’elle choisisse tel ou tel son en fond de ses vidéos de danse. En novembre, elle arrête ses études à l’université de Louisiane de Bâton-Rouge pour en faire son métier.

Début décembre, c’est le déménagement vers Los Angeles. Ses vidéos virales sont reprises dans les late shows américains, des stars comme la mannequin Karlie Kloss lui demandent de leur apprendre des pas de danse et le chanteur Jason Derulo lui propose une collaboration sur TikTok.

«
Depuis le départ, je me disais que je ne voulais pas couper des chansons mais en écrire
Addison Rae
»

Addison Rae vit alors comme une influenceuse, intégrant The Hype House, une sorte d’incubateur à TikTokeurs. Les marques, notamment L’Oréal, lui proposent de juteux contrats. American Apparel en fait son égérie. Quelques mois plus tard, le confinement affole encore les compteurs de ses followers. En 2020, elle atteint les 45 millions, devenant la troisième personnalité la plus suivie sur TikTok. En 2024, avec 88 millions d’abonnés, elle est en quatrième place.

De marrante à gênante

Avait-elle déjà, à l’aube des années 2020, l’envie de passer à autre chose? Oui, affirme-t-elle aujourd’hui au «New York Times». «Depuis le départ, je me disais que je ne voulais pas couper des chansons mais en écrire. Je voulais être en connexion avec ce que j’allais chanter.»

Ce n’est pourtant pas la musique qui lui ouvre ses portes en premier mais les plateformes. Dans «He’s all that», un film produit et diffusé par Netflix en août 2021, elle incarne… une influenceuse, qui relooke un camarade un peu loser pour en faire le roi de sa promo. 

Le changement est brutal. Ce qui faisait sourire sur les réseaux sociaux devient soudain cringe, «gênant». Ses qualités d’actrice, qu’elle a pourtant travaillées avec un coach pendant huit semaines avant le tournage, sont largement remises en question et la jeune femme prend de pleine face une vague de haine virtuelle – à laquelle elle est tout de même relativement habituée, puisqu’il suffit d’être une femme qui se montre en vidéo pour récolter tous les jours des remarques désobligeantes sur son apparence physique.

Un premier départ manqué

En réalité, Addison Rae a bien tenté, la même année, de percer dans la musique. Un single, «Obsessed», sort au mois de mars. Mais là aussi, c’est la douche froide. La jeune femme a eu beau prendre des cours de chant, et s’offrir les services du producteur Benny Blanco – l’homme derrière le succès du dernier album de Selena Gomez, notamment, l’accueil est glacial.

Dans «Vogue», l’influenceuse regarde douloureusement dans le rétroviseur: «Je suis généralement assez dure avec moi-même. Je place la barre très haut et cela peut causer ma perte. Je voulais simplement que les gens sachent que j’aimais la musique, que je prenais ça au sérieux. J’ai sorti ‘Obsessed’ et les gens ne l’ont pas aimé autant que moi.»

«
Je me suis dis que je n’étais peut-être pas assez douée pour ça
Addison Rae
»

Entre indépendance et coups de pouce

Ces deux claques sont si violentes qu'Addison Rae songe à tout arrêter. «Je me suis dis que je n’étais peut-être pas assez douée pour ça», confie-t-elle à «Vogue». Qui aurait pu prédire que quatre ans plus tard, «Headphones On», l’un des singles de son premier album, serait dans les starting-blocks pour devenir le tube de l’été 2025? Que Lana del Rey, à laquelle on la compare beaucoup, se filmerait en train d’écouter ses chansons? Le chemin vers la reconnaissance a longtemps louvoyé entre adoubement et indépendance.

Lana Del Rey et Addison Rae se produisent sur la scène du stade de Wembley le 3 juillet 2025 à Londres.
Photo: Gareth Cattermole/Getty Images f

L’adoubement, c’est celui de Charli XCX. En 2024, la chanteuse américaine explose avec un album hyperpop qui consacre le «brat summer», tendance évanescente (on pourrait traduire ça par «l’été de la sale gosse») qui consiste globalement pour les femmes à ne plus faire d’efforts pour apparaître parfaite mais bien se contenter d’un débardeur blanc sans soutien-gorge et de grosses lunettes de soleil semblant cacher une gueule de bois perpétuelle. Addison Rae figure sur l’un des titres de l’album, «Von Dutch», et là voilà donc de plus en plus prise au sérieux.

L’apprentie chanteuse est aussi adoubée par un gros label, Columbia Records, qu’elle a convaincue en présentant un moodboard visuel plus que des sons. En revanche, elle impose ses productrices: Elvira Anderfjärd et Luka Kloser. Le résultat est désormais connu de tous: un album pop aux accents légèrement mélancoliques et qui connaît ses gammes, de Madonna à Britney en passant par Kylie Minogue. Toute la presse anglo-saxonne se pâme devant ce qui est considéré comme l’une des sorties musicales phares de l’année.

L’art du rebranding

Pour en arriver là, Addison Rae avait un avantage: là où les chanteurs «traditionnels», venus de la musique d’abord, doivent apprendre à se créer une image de marque sur les réseaux sociaux pour embarquer avec eux une communauté qui leur assure ensuite une fanbase, elle connaît déjà toutes les règles du jeu. Mais il lui a fallu justement changer complètement d’image. Un «rebranding» complet analysé dans plusieurs (longues) vidéos YouTube par des passionnés tant c’est un modèle du genre.

Passer de TikTokeuse à artiste nécessite d’abord… de cesser d’être une TikTokeuse. Dès 2021, Addison Rae arrête de poster plusieurs vidéos par jour sur le réseau social. La rareté crée la valeur et elle devient peu à peu une star «à l’ancienne»: pour la voir, il faut la paparazzer dans la rue. S’imposer dans les esprits passe aussi par la maîtrise de la mode.

En la matière, l’artiste s’en remet à Dara Allen, l’une des stylistes les plus pointues du moment. C’est elle qui est notamment derrière l’apparition de la chanteuse en sous-vêtements blancs et traîne de tulle à la cérémonie des MTV Music Awards l’an dernier.

Toujours écouter Internet

Comme le résume le «New York Times», Addison Rae marche désormais sur une ligne de crête «entre la lisibilité mainstream et la marge», tant pour sa musique que pour son style. Mais il ne serait pas tout à fait vrai d’affirmer que pour atteindre les sphères artistiques, la jeune femme a dû tourner le dos à Internet. Au contraire.

En 2022, la jeune femme se remet encore de l’échec de son premier single lorsque fuitent en ligne des morceaux qu’elle a commencé à enregistrer toute seule. «Sous le choc», comme elle le raconte à Vogue, Addison Rae s’attend à ce que sa carrière coule pour de bon.

«
J’ai réalisé que la seule façon d’échouer était de ne pas poursuivre
Addison Rae
»

C’est l’inverse qui se produit. Sur Twitter et Reddit, la jeune femme observe des fans demander justice pour le single «Obsessed», injustement mal accueilli, et réclamer une véritable sortie des chansons. «J’ai été très surprise de voir, après ce qui m’a semblé être un long moment, que des gens étaient aussi intéressés et voulaient me voir continuer. J’ai réalisé que la seule façon d’échouer était de ne pas poursuivre.»

Il en résulte un EP, sorti en 2023, annonciateur de son album, sur lequel figure une collaboration avec une certaine… Charli XCX. Si Addison Rae sait qu’être née sur Internet colle parfois une mauvaise réputation, elle est bien placée pour savoir que les artistes à succès sont ceux qui savent s’en servir. Ça tombe bien: cela a toujours été son métier.

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