Quand la langue dérape
«En mode», cette expression qui agace

«Du coup», «au final», «je dis ça, je dis rien»… Notre chroniqueuse se penche sur les expressions insupportables qui s’imposent dans le langage actuel. Coup d’envoi cette semaine avec «en mode».
Publié: 20.11.2021 à 17:11 heures
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Dernière mise à jour: 22.11.2021 à 09:34 heures
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Alessia Barbezat

«Cette semaine, je suis en mode pépère», «je vais récurer la salle de bains en mode machine de guerre», «elle est allée au rendez-vous en mode séduction», «il a passé le dimanche sur le canapé en mode gueule de bois», «je lui ai balancé ses 4 vérités en mode vénère» ou encore «on part à Dubaï en mode mojitos sur le sable chaud et doigts de pieds en éventail». On ne peut plus y échapper, le «en mode» est parmi nous et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Au point d’être devenu un tic de langage utilisé à tort et à travers, qui s’agrippe à la langue française comme un vieux mégot collé à la semelle de sa Converse.

Comment en est-on arrivés là?

À l’origine, le terme «mode», dérivé du latin modus, s’employait au féminin et indiquait «la façon dont se fait telle ou telle chose». On retrouve l’expression dans le jargon musical, avec le recours aux indications mélodiques, «en mode majeur» et «en mode mineur». Jusque-là, tout allait bien. Les choses se corsent avec l’extension de la formule au langage technique et informatique et son utilisation au masculin avec l’apparition du «mode sans échec», du «mode veille», du «mode avion» ou du mode «pilote automatique». Le coup de grâce est porté par le rappeur français Rohff en 2005, avec la sortie de son tube «En mode». Extrait de son album Au-delà de mes limites, vendu à plus de 300’000 exemplaires, le titre se construit autour d’une anaphore. Le rappeur de Vitry-sur-Seine s’y dépeint successivement «en mode gros son», «en mode 4X4» ou «en mode victoire». Les mecs sont perçus «en mode cow-boy» ou moins flatteur, «en mode branlette». Et les matons? «En mode bâtard.» De quoi faire exploser la popularité de l’expression et de l’inscrire durablement nos conversations quotidiennes.

Pourtant, son utilisation est incorrecte. Selon l’Office québécois de la langue française, l’expression «en mode» est en réalité un anglicisme, qui lui-même est utilisé de façon erronée dans le monde anglophone (to be in holiday mode, in study mode, ou in crisis mode). Il doute «que cet emprunt soit vraiment nécessaire, malgré l’image éloquente qu’il suggère, celle d’une personne fonctionnant comme une machine».

Car c’est là où le bât blesse. L’omniprésence d’expressions mécanistes appliquées à l’humain est révélatrice de notre époque tournée vers la performance et la productivité. On ne compte plus les formules toutes faites comme «je suis à plat», «j’ai besoin de déconnecter» ou «il a pété un câble». Comme si les êtres humains devaient se calquer sur le rythme des machines, d’un ordinateur en mode veille ou encore d’un smartphone en mode silencieux.

En bref, on s’allume, on se met en veille et on s’éteint. Et pour la nuance, on repassera.

(En collaboration avec Large Network)

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