Du vin ou des flammes. Des vignobles entretenus ou des milliers d’hectares laissés en proie à une végétation propice aux incendies. L’énorme feu qui ravage le département français de l’Aude depuis plusieurs jours remet cette question centrale sur le devant de la scène, dans les régions méridionales.
L’arrachage des vignes, conséquence de la chute des ventes mondiales de vin (qui pourraient être aggravées par l’accord commercial récent entre les Etats-Unis et l’Union européenne), va-t-elle conduire à des sinistres récurrents, face auxquels les moyens aériens et humains finissent par s’épuiser?
Entre 16'000 et 20'000 hectares ont été ravagés par les flammes en moins d’une semaine dans l’Aude, un département viticole connu pour produire des vins de table, et connu aussi pour avoir abrité dans l’histoire de graves émeutes de vignerons, réprimées dans le sang à Narbonne en 1907 par celui qui deviendra le fameux «tigre» de la Première Guerre mondiale: Georges Clemenceau.
Or pour les vignerons de 2025, la raison de ce sinistre est connue. Son importance et sa propagation sont selon eux la conséquence directe de l’arrachage de 5000 hectares de vignes dans le cadre d’un plan du gouvernement pour diminuer la surproduction de vin.
Des vignes coupe flammes
Du vin ou des flammes? Pour défendre leur point de vue, les viticulteurs affirment que les vignes, lorsqu’elles sont entretenues, fonctionnent comme un coupe-feu naturel et ralentissent la progression des flammes. Le directeur du Syndicat des vignerons dans l’Aude a affirmé que, si cet arrachage méthodique se poursuit, «un jour, le feu ira de Carcassonne à la mer».
Les pompiers déployés reconnaissent que la disparition de la vigne a un impact: début juillet, après un feu qui avait déjà détruit plus de 2000 hectares près de Narbonne, une réunion d’urgence avait eu lieu à la chambre d’agriculture régionale. Laquelle s’était conclue par un communiqué révélateur: «Les friches agricoles, en constante progression du fait de la déprise rurale, sont devenues des foyers à haut risque. En Occitanie, leur prolifération est directement liée à l’abandon des terres par des agriculteurs découragés».
Les deux instances accusées par les vignerons de faciliter cette politique d’arrachage sont le gouvernement français et l’Union européenne. En France, l’Etat verse environ 4000 euros pour chaque hectare de vigne arraché aux vignerons volontaires. La Commission européenne a donné son feu vert à ce plan en novembre 2024, débloquant pour cela 120 millions d’euros. Ce dispositif a été surnommé «arrachage Ukraine» car il est financé par des fonds européens destinés au soutien des exploitations viticoles affectées par les conséquences de la guerre en Ukraine. Cette année, la France a donc été autorisée à arracher près de 30'000 hectares de vignes, dont 5000 hectares pour le seul département de l’Aude. Soit 7% du vignoble du département.
Friches viticoles
Résultat? «La plupart des viticulteurs les ont laissés en friche, explique Philippe Monziols. Car avec la sécheresse, rien ne pousse. Aucune autre culture n’est en capacité d’être exploitée.» Or, ces terrains en friche permettent aujourd’hui aux flammes de progresser rapidement. Un danger accru par le fait que certains viticulteurs, confrontés à des difficultés de production ou de vente, ont choisi d’arracher, eux aussi, leurs vignes, même sans prime. Le chiffre de 5000 hectares arrachés n’est donc qu’un minimum. Une nouvelle campagne d’arrachage est prévue cet automne, après la vendange de 2025.