Un deal très controversé
Le rachat de ce domaine skiable suisse pourrait virer au «hara-kiri financier»

Aux Grisons, les habitants de Flims, Laax et Falera se prononceront sur l'acquisition des infrastructures de remontées mécaniques du groupe Weisse Arena. Cet deal controversé soulève des questions de viabilité financière et révèlent les risques pris pas les communes.
Publié: 19:37 heures
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Les prochaines neiges ne tarderont pas à arriver. Station d'altitude Crap Sogn Gion.
Photo: LAAX / Weisse Arena Gruppe
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Beat Schmid

La semaine prochaine, un bras de fer éclatera dans les Grisons. Les habitants des trois communes touristiques de Flims, Laax et Falera se prononceront sur un accord à plusieurs millions. Ils devront décider s'ils reprennent l'ensemble des infrastructures de remontées mécaniques du groupe Weisse Arena. 28 télésièges et télécabines, des téléskis, d'innombrables canons à neige et plus d'une vingtaine de restaurants et bars de pistes sont en jeu. Le coût total s'élève à 94,5 millions de francs.

Il s'agit d'un accord rarement vu dans l'histoire du tourisme des sports d'hiver en Suisse. C'est pourquoi d'autres destinations d'hiver ont les yeux tourné vers les Grisons. Le «roi de la montagne» Reto Gurtner, président du conseil d'administration et gros actionnaire de la Weisse Arena, estime que «l'accord élaboré est équitable pour les deux parties, et même super pour les communes». 

Les élus municipaux ne le contredisent pas. Ils sont même unanimes: il s'agit d'une situation gagnant-gagnant pour tous. Cela permettrait d'éviter qu'un investisseur étranger ne reprenne les remontées mécaniques. Mais, dans les documents de vote, seuls les avantages sont énumérés: pas une seule ligne sur les inconvénients.

Pourtant, des aspects négatifs, il y en a. Ou, du moins, de grosses inquiétudes. Dans les colonnes du journal régional «Südostschweiz», les habitants mettent en garde contre des «dettes élevées» et des «risques inconnus». Ils parlent même d'un «harakiri financier et d'une mission suicide». La menace d'une vente à des «investisseurs étrangers inquiétants» relève du «pur alarmisme provincial».

«Un jour ou l'autre, le baril sera plein»

L'ancien président de la commune de Flims, Adrian Steiger, porte lui aussi un regard critique sur cette affaire: «La solvabilité des communes a ses limites. Les coûts d'entretien sont généralement sous-estimés, et les structures de haute technologie ont aujourd'hui une courte durée de vie avec des besoins d'amortissement importants. De plus, d'autres tâches sont en cours. Un jour ou l'autre, le baril sera plein et le marteau des taux d'intérêt frappera.» 

Adrian Steiger a été évincé de manière spectaculaire en 2020, par Martin Hug, alors à la tête de la Weisse Arena. Son successeur, le maire sortant de Flims, Christoph Schmidt, a siégé pendant 16 ans au conseil d'administration de l'empire touristique de Reto Gurtner.

Un entrepreneur de Lenzerheide émet des réserves concernant cette transaction de 94,5 millions de francs. Une commune, selon lui, est en premier lieu responsable de la formation, de l'aide sociale, de l'aménagement du territoire, des infrastructures et de la sécurité. L'entrepreneuriat touristique ne fait pas partie de ses responsabilités – et ne devrait pas l'être. 

L'entrepreneur a cité l'exemple de Coire, où les contribuables ont investi 15 millions de francs dans le «délabrement» du Brambrüeschbahn. Aujourd'hui, 40 millions de francs supplémentaires sont dus, sur la montagne emblématique de Coire, où la fréquentation est faible et où aucun investisseur ne risquerait de s'aventurer.

Pourquoi ne pas tout reprendre?

Même sur le papier, l'accord ne semble pas avantageux pour les contribuables. Pour 94,5 millions de francs, ils acquièrent essentiellement le matériel, les remontées mécaniques et les restaurants. Cependant, l'exploitation des installations et des bars reste au bénéfice de Weisse Arena. 

Un examen de la valorisation des actions du groupe le démontre encore plus clairement: il est actuellement valorisé à environ 140 millions de francs. Les communes pourraient donc tout aussi bien prendre le contrôle de l'ensemble du groupe avec l'argent qu'elles ont levé, même en versant une prime juteuse aux actionnaires.

Mais au lieu de cela, les communes ne reçoivent que des infrastructures à forte intensité de capital: un vaste parc de remontées mécaniques et d'installations, dont certaines sont vieillissantes et nécessitent une rénovation. A cela s'ajoutent des travaux pour étendre les systèmes d'enneigement artificiel. 

Et, les communes restent responsables du financement. C'est là que l'on ce qui peut s'apparenter à de la roublardise: les communes disposent d'une meilleure solvabilité que la Weisse Arena. Elles peuvent donc se procurer les crédits nécessaires à moindre coût, grâce aux taux d'intérêt plus bas pratiqués par les banques.

Les communes jouent à la banque

Les communes offrent en quelque sorte leur bonne solvabilité afin de financer de solides infrastructures pour la société d'exploitation. En d'autres termes, elles jouent le rôle de banque pour la Weisse Arena et ses gros actionnaires. Ces derniers se sont assurés à long terme, grâce à un contrat de bail de 30 ans. 

Au début, la situation pourrait être favorable aux communes, mais à chaque franc supplémentaire d'endettement, leur solvabilité se détériore. Tôt ou tard, le scénario contre lequel l'ancien président de la commune de Flims met en garde pourrait se produire. L'acquisition des installations à elle seule alourdira le fardeau de la dette: 50 millions sur les 94,5 millions devront être financés via des crédits.

En guise de compensation, les communes perçoivent un loyer. Le montant exact de ce paiement n'est pas clair. On sait seulement qu'il est révisable annuellement et qu'il est destiné à couvrir les intérêts de la dette ainsi que l'amortissement des remontées mécaniques.

Les communes ont donc renoncé à la rémunération basée sur le risque, pour une raison ou une autre. Mais ce qui est véritablement intriguant, c'est qu'aucun avis externe n'a apparemment été demandé. Les actionnaires de la Weisse Arena y ont également renoncé... ce qui indique que l'accord n'est, de loin, pas mauvais pour eux.

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