Qui paiera l'addition?
La valeur locative était injuste… et sa fin pourrait l’être tout autant

Dimanche, le peuple suisse a enterré la valeur locative. Ce «oui» clair à l'abolition a de quoi surprendre, la Suisse étant avant tout un peuple de locataires. Comment expliquer ce résultat? Et que faut-il faire pour que les conséquences ne soient pas injustes? Analyse.
Publié: 05:56 heures
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Dernière mise à jour: il y a 55 minutes
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Les propriétaires immobiliers ne paieront plus la valeur locative à partir de 2029.
Photo: Sven Thomann
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Lucien Fluri

La justice fiscale, n’est-ce pas là un principe essentiel? Sur le fond, l’abolition de la valeur locative, votée le peuple suisse dimanche 28 septembre, est une mesure équitable. Pourquoi devrait-on payer un impôt sur un revenu fictif lié à son propre logement? Quatre tentatives avaient échoué par le passé. Et pour cause: dès qu’une source de recettes existe pour l’Etat, il est rare que celui-ci veuille s'en débarrasser

Avant le scrutin, rien ne présageait pourtant d'un tel résultat, et encore moins avec 57,7 % de «oui». En effet, plusieurs cantons craignaient de voir leurs caisses se vider davantage, à l'heure où la situation est déjà tendue pour bon nombre d'entre eux. De plus, la Suisse est un pays de locataires: ils représentent près des deux tiers de la population.

Or, ces derniers n’ont pas suivi les opposants à l'abolition, qui espéraient exploiter la hausse des loyers et la flambée des prix de l’immobilier pour l'emporter dans les urnes. Les locataires ont-ils, eux aussi, jugé cet impôt injuste? Ou bien nourrissent-ils l’espoir de devenir un jour propriétaires, que ce soit par achat ou héritage?

Une taxe disparaît, mais la question de l’équité devant l'impôt demeure. La fin de la valeur locative soulève ainsi de nouvelles interrogations. Trois points méritent une attention particulière:

1

Les caisses vont souffrir: qui en fera les frais?

L'abolition de la valeur locative devrait entraîner deux milliards de francs de pertes fiscales. Or, si les caisses publiques venaient à en souffrir trop fortement, qui paierait l'addition? L’ensemble des contribuables, y compris les locataires aux revenus modestes? Ou faudra-t-il aller chercher l’argent auprès des plus fortunés? La question pourrait bien animer le débat public ces prochaines années.

Et il convient d'y répondre avec responsabilité. Dans les faits, la valeur locative était un impôt inéquitable à bien des égards. Mais si cette réforme amenuise les caisses de l’Etat, il ne faudrait pas que la facture soit supportée par les classes moyennes et les locataires.

2

Rénover sa maison va-t-il devenir plus cher?

C’est l’un des points essentiels de la lutte contre les effets du changement climatique. Pourtant, l'abolition de la valeur locative marque de fait la fin des déductions fiscales pour les rénovations. Un changement qui risque de freiner les efforts en matière d’efficacité énergétique.

Une porte de sortie existe toutefois: les cantons pourront en théorie continuer à accorder des déductions pour les rénovations énergétiques jusqu’en 2050. Certains y réfléchissent déjà. Mais à nouveau, la question de la justice fiscale se pose: serait-il vraiment juste de permettre de telles déductions alors que l’impôt sur la valeur locative a été supprimé dans son ensemble? Pas vraiment. Tout dépendra de la manière dont la mesure sera appliquée. Et celle-ci risque bien de fortement varier d'un canton à l'autre.

2

Risque de travail au noir

Si les frais d’entretien ou de rénovation ne peuvent plus être déduits, plus besoin de conserver les factures. De ce fait, la tentation du travail au noir risque d’augmenter, notamment avec des artisans meilleur marché venus de l’étranger.

L'urgence désormais, c'est que les entreprises locales, qui paient leurs impôts en Suisse, n'en fassent pas les frais. La lutte contre le travail au noir devra donc être menée avec sérieux.

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