Christophe Clivaz, élu vert au Conseil national
Face aux menaces d'éboulements, «on ne pourra pas sauver tous les villages alpins»

Pour le conseiller national valaisan Christophe Clivaz (Les Verts-e-s), le changement climatique impose des choix difficiles. Brienz (GR), Kandersteg (BE) et d’autres localités menacées pourraient forcer la Suisse à décider où elle investit encore – et où elle renonce.
Publié: 18:10 heures
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Dernière mise à jour: 18:40 heures
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Pour l'élu vert, si on ne limite pas nos émissions de gaz à effet de serre, certaines vallées deviendront inhabitables dans quelques décennies.
Photo: KEYSTONE/Peter Klaunzer
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Fonte du permafrost, éboulements, routes fragilisées… après la catastrophe de Blatten (VS), les dangers naturels se multiplient dans les Alpes. A Brienz (GR), 25 ménages envisagent de quitter volontairement la commune, menacée par un éboulement majeur et évacuée en novembre dernier. Au-dessus de Kandersteg (BE), c'est la zone du «Spitze Stei» qui menace de s'effondrer. Dans cet entretien, Christophe Clivaz, conseiller national vert valaisan, explique pourquoi la Suisse doit briser un tabou et jouer cartes sur table pour repenser l'avenir des villages alpins.

Christophe Clivaz, après Blatten, les menaces qui planent sur des villages comme Brienz ou Kandersteg semblent se multiplier. L’adaptation de nos territoires est-elle à la hauteur?
On dispose d’un certain nombre d’études et de travaux sérieux sur les dangers naturels. Mais il est vrai que l’accélération du changement climatique rend ces phénomènes plus fréquents, plus soudains, plus coûteux aussi. Cela oblige à changer de regard, notamment sur l’aménagement du territoire. Il ne suffit plus d’éviter de construire là où les risques sont déjà connus: il faut aussi anticiper les zones qui vont devenir dangereuses dans les années à venir. La fonte du permafrost, par exemple, va affecter de nombreuses régions de montagne jusque-là considérées comme stables.

Faut-il en conclure que certains villages ne seront plus habitables à long terme?
C’est une question très difficile, mais on ne pourra pas y échapper. Il y a d’abord un enjeu humain – pouvoir continuer à vivre en montagne – mais aussi un enjeu économique. Les coûts d’adaptation, de sécurisation des infrastructures ou de reconstruction vont aller en augmentant. Et cela ne concerne pas que les habitations: il faut aussi penser aux routes, aux lignes ferroviaires, aux accès. Tout cela représente des investissements considérables. Et à un moment donné, il faudra se demander: est-ce que l’on a les moyens – et la volonté collective – de continuer à tout entretenir partout, à n’importe quel prix? Et surtout, comment fait-on pour limiter les émissions de gaz à effet de serre? Une partie de ces événements ne serait sans doute pas survenue avec un climat comme celui du XIXᵉ siècle en Suisse, avec trois degrés de moins. 

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Si un village ne compte que 30 habitants à l’année, faut-il continuer à rénover la route qui y mène?
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Que fait-on alors? On renonce à sauver ces villages?
Je ne dirais pas ça aussi brutalement. Mais oui, il faudra se poser la question, au cas par cas. Ce n’est pas la montagne qui ne veut plus des humains, c’est nous qui n’arrivons pas à faire le nécessaire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Et si l’on continue ainsi, oui, certaines vallées ou villages deviendront inhabitables dans quelques décennies. C’est un sujet très sensible, mais il faudra bien, à un moment donné, le mettre sur la table.

Sans éluder la question des coûts…
Effectivement. Il faut cesser de faire comme si de rien n’était. Si un village ne compte que 30 habitants à l’année, faut-il continuer à rénover la route qui y mène chaque année à grands frais? Certaines administrations cantonales, d’ailleurs, ont déjà commencé à renoncer à l’entretien de certains tronçons routiers trop coûteux notamment à cause de chutes de pierres. Mon discours n’est pas de dire: «Il faut abandonner la vie dans les montagne», comme a pu l’avancer le think thank Avenir suisse. Il est important pour notre cohésion et identité nationale de maintenir cette vie en montagne même si cela engendre des coûts très élevés.

Faut-il cartographier les zones à quitter, comme on cartographie les zones à bâtir?
Ce serait utile, sans doute. Même si ce type d’exercice de désengagement reste tabou. Le canton du Valais avait un peu anticipé en commandant une étude à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Celle-ci a identifié 89 parois rocheuses potentiellement instables dans le canton. Des zones qui menacent non seulement des habitations, mais aussi plusieurs barrages. Il faut des critères objectifs, une analyse fine des risques. Et ensuite, poser les données sur la table, et décider: est-ce qu’on continue d’investir? Ou est-ce qu’on anticipe un retrait?

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Il ne s’agit pas de décréter l’abandon d’un village sans dialogue ni perspectives
»

En Suisse, on parle beaucoup d’adaptation, mais peu de prévention…
C’est vrai. Pas qu’en Suisse, d’ailleurs. On a fini par prendre acte du changement climatique, et on mise tout sur l’adaptation. Mais on a perdu en ambition sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le rejet de la loi sur le CO2 a coupé les ailes à une politique vraiment efficace. La loi climat, qui fixe un objectif de zéro émission nette en 2050, est louable. Mais à ce rythme, avec les mesures actuelles, on ne l’atteindra pas. Et derrière tout cela, il y a un vrai débat de société. Peut-on continuer à prendre l’avion pour aller à l’autre bout du monde chaque été et produire des tonnes de CO2? Il faut comprendre que tout ça a un coût climatique. Le cumul de ces facteurs, c’est aussi ce qui entraîne l’effondrement de nos montagnes. 

Vous comprenez les gens qui s’accrochent à leur village, même au prix du danger?
Bien sûr. Je suis montagnard aussi, dans l’âme. Je comprends cet attachement fort à un lieu de vie, un territoire, des traditions. Ce n’est pas irrationnel, c’est humain. C’est aussi pour cela que l’Etat doit proposer de véritables mesures d’accompagnement. Il ne s’agit pas de décréter l’abandon d’un village sans dialogue ni perspectives.

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