Markus Kräutli, 55 ans, décrit une enfance merveilleuse. L’histoire de ce natif de Winterthour était pourtant mal partie. Sa mère biologique l’a abandonné. Il a alors entamé un long cheminement, rythmé par des changements de famille d’accueil toutes les deux semaines. L'enfant était alors profondément blessé: il portait des stigmates de sa petite enfance. Ce qui se voyait au premier regard. Il avait les dents gâtées, et il était traumatisé. Sa mère biologique aurait même essayé de le calmer une fois avec de l’alcool.
Mais dans les années 1970, à l’âge de deux ans, il est placé dans une famille avec cinq frères et sœurs et de nouveaux parents. «Ça a l’air bien, on peut facilement mettre un petit lit d’enfant dans cette chambre», s’est exclamé son tuteur au premier regard en traversant la maison familiale. Une très bonne intuition. A partir de ce moment-là, Markus devient un enfant placé et entame une phase cruciale de sa vie.
«Pour mes enfants, il est un frère, pour moi, il est un fils»
Il passe les années qui suivent dans le canton de Zurich, à Neftenbach. Et y coule des jours très heureux, précise-t-il, nostalgique. Son papa, aujourd’hui âgé de 85 ans, est d’origine italienne et s’appelle Antonio De Cesaris. Son épouse Brigitta est aujourd’hui décédée: elle les a quittés en 2019. Ces derniers l’ont accueilli chez eux à bras ouverts.
«Je ne me suis jamais considéré comme un enfant placé 'typique'», raconte-t-il à Blick. Il est simplement un enfant qui grandit dans une bonne famille. Il appelle naturellement ses parents d’accueil «mes parents» et s’est fait tatouer le nom de De Cesaris et sa date d’emménagement sur l’avant-bras. «Pour mes enfants, il est un frère, pour moi, il est un fils», chantonne avec fierté son père Antonio, couvant son Markus d’un regard aimant.
«Après cette annonce, j’en ai fini avec eux»
Markus Kräutli a-t-il eu des contacts avec sa mère biologique après son placement? Oui, répond-il sobrement. Sa maman a pris contact avec son fils à l’adolescence et lui a dit qu’elle voulait le rencontrer. «J’étais curieux, raconte-t-il. J’ai donc été la voir.» Mais dans les mois et les années qui ont suivi, c’est à nouveau la désillusion: il est le seul à tenter de maintenir ce lien.
Subsiste-t-il encore quelque chose entre eux aujourd’hui? Pas vraiment, décrit-il. «Il y a quelques années, j’ai été toquer à sa porte et j’ai critiqué son comportement, poursuit le fils. Je lui ai dit que j’étais toujours disponible pour un café, mais que c’était aussi à elle de me donner des nouvelles.» Et depuis, il n’a plus jamais entendu parler d’elle. Sa rencontre avec son père biologique? Elle s’est déroulée de manière tout aussi décevante. «Il m’a annoncé qu’il n’était pas sûr d’être mon père. Il aurait simplement payé pour moi pendant 18 ans.»
Comment Markus Kräutli le vit-il? Il hausse les épaules. Il ne ressent pas vraiment de tristesse face à leur attitude. «J’ai ma famille et j’en suis heureux. J’en ai aujourd’hui fini avec mes parents biologiques.» Un changement de nom officiel en De Cesaris n’a toutefois jamais été à l’ordre du jour. D’une part, parce que la mère biologique de Markus a toujours refusé l’adoption. D’autre part, pour des raisons financières et bureaucratiques. Mais, bien sûr, le cinquantenaire ne nie pas que le facteur émotionnel ait aussi joué un rôle. «Si ma mère biologique lit aujourd’hui ce texte, elle saura ce qu’elle rate», conclut-il en souriant sereinement.