C’est un communiqué de presse qui aurait pu passer inaperçu. Le 26 juin, on apprenait qu’Aline Rampazzo Jaquier, secrétaire générale du Département de l’agriculture, de la durabilité, du climat et du numérique (DADN) aux mains de Valérie Dittli, quittait son poste pour rejoindre le Département de la santé et de l’action sociale. Un simple transfert? Pas vraiment. Ce départ vient s’ajouter à une hémorragie silencieuse qui frappe l’entourage de la conseillère d’Etat, dans le sillage des nombreuses «affaires» rendues publiques depuis son arrivée au gouvernement.
Que se passe-t-il au sommet du DADN, anciennement Département des finances et de l’agriculture (DFA)? Depuis son entrée en fonction le 1er juillet 2022, Valérie Dittli a vu son état-major initial se réduire comme peau de chagrin. Premier à larguer les amarres: le secrétaire général Frédéric Charpié, qui a quitté le navire en février 2023, six mois à peine après l’entrée en fonction de la ministre. «Il a décidé de poursuivre sa carrière d’avocat au barreau vaudois», précisait sobrement le communiqué officiel. Aline Rampazzo Jaquier lui succède, mais jette finalement l’éponge deux ans plus tard après une absence prolongée. Selon nos informations, deux autres proches collaboratrices de la ministre auraient été dernièrement en congé maladie.
Et la liste continue. En 2025, deux départs frappent le département: celui du délégué à la communication, Olivier Dessimoz, après 24 ans de service et plusieurs absences pour maladie, palliées à l’externe par l’ancienne secrétaire générale du PDC Suisse et communicante Béatrice Wertli. Et celui d’un autre collaborateur du Secrétariat général, dont le poste a tout simplement été supprimé dans le cadre de la refonte du département.
Pour compléter ce tableau déjà chargé: la collaboratrice personnelle de Valérie Dittli, Pauline Monod, a également plié bagage en début d’année pour «poursuivre sa carrière dans le domaine juridique», après une longue absence l’an dernier.
Des députés inquiets
Si les turnovers au sein des secrétariats généraux sont souvent importants, particulièrement après l’arrivée d’un ou d’une nouvelle ministre, c’est «la multiplication des arrêts maladie qui interpelle ici», assure une députée PLR. Au Grand Conseil, où une délégation des commissions enquête actuellement sur les dysfonctionnements relevés par le rapport de l’expert indépendant Jean Studer dans le cadre de «l’affaire Dittli», plusieurs élus ne cachent pas leur préoccupation pour les collaborateurs du Secrétariat général du DADN.
«La situation est très inquiétante, ne serait-ce que sur la base des éléments publics actuels», relève la socialiste Oriane Sarrasin, qui préside la Commission de gestion (COGES). L’élue rappelle qu’au moment de rendre son enquête publique en mars, Jean Studer avait précisé que la santé de certain(e)s collaboratrices et collaborateurs était gravement altérée, au Secrétariat général (SG) comme à la direction générale de la fiscalité. L’expert avait ajouté que six employés du DADN étaient alors en arrêt maladie. Outre la «protection des institutions vaudoises», le Conseil d’Etat avait motivé sa réaction radicale (transmission de l’affaire au Ministère public et remaniement du département) par la nécessité de «mettre un terme à la souffrance vécue par les collaborateurs» de Valérie Dittli.
L’arsenal juridique brandi
Trois mois et trois départs plus tard, la situation semble toujours tendue. La rédaction de Blick a ainsi reçu un courrier présenté comme un «cri du cœur» listant toutes les personnes ayant quitté le Secrétariat général depuis l’an dernier et signé par «un collaborateur/une collaboratrice en détresse». Mais alors qu’une enquête pénale est en cours pour violation du secret de fonction en raison des fuites liées au «rapport Studer», les membres et ex-membres du SG contactés par Blick refusent de s’exprimer ouvertement. Au total, nous avons tout de même échangé avec une vingtaine de personnes côtoyant ou ayant côtoyé la ministre professionnellement ou politiquement.
Leur constat commun? Un climat anxiogène régnerait dans un département entièrement remanié et mis sous pression par les différentes enquêtes passées et en cours, ainsi que par les «affaires» successives sorties dans les médias, qui empoisonnent les relations de travail. Mais aussi par l’attitude et le management de Valérie Dittli, selon certains témoignages.
Plusieurs personnes ayant fréquenté la ministre relèvent ainsi sa propension à brandir l’arsenal juridique en menaçant de plainte celles et ceux qui remettent son autorité en question. A cela s’ajouterait une forme de violence dans sa manière de s’adresser à certains de ses interlocuteurs. Une journaliste de Blick en a fait l’expérience. Après une interview qui a déplu à Valérie Dittli, la rédaction en chef a reçu un courriel dans lequel la Docteure en droit se «réserv [ait] le droit d’engager une poursuite judiciaire.»
Une tendance à l’autoritarisme?
Cette tendance à l’autoritarisme et cette soif de contrôle sont décrites par certains membres de sa propre formation politique, où de fortes tensions sont apparues lors de la dernière assemblée générale, ce qui a débouché sur un report de l’élection à la présidence. Selon le quotidien «Le Temps», la ministre aurait «crié, ordonné au caissier de se taire et reproché au comité de présidence de ne pas l’avoir bien soutenue». Une attitude que confirment à Blick plusieurs personnes présentes dans la salle ce soir-là, dont l’ancien candidat à la présidence du Centre Vaud, Gabriel Mühlebach: «Je ne peux pas faire semblant que je n’ai rien vu. Malheureusement, je dois confirmer ce qui a été écrit dans le Temps», déplore-t-il.
D’autres regrettent cependant qu’un style directif et engagé suscite autant de réactions outrées. «Personnellement, je ne me suis sentie agressée à aucun moment lors de l’assemblée générale», assure la vice-présidente, Jaqueline Bottlang-Pittet. Selon certain(e)s, cet incident illustre pourtant une dérive dans le comportement de Valérie Dittli. «Quand je l’ai rencontrée, c’était une personne humaine», raconte une personne membre du parti. «Mais depuis qu’elle a été élue au Conseil d’Etat, je ne la reconnais plus. Peut-être que l’acharnement des médias à son encontre a joué un rôle dans cette évolution.»
Cette «première erreur politique en public», selon un observateur, marque-t-elle la fin du soutien du parti à sa ministre? «Avant, on buvait ses paroles, témoigne un membre. Mais l’accumulation des affaires en a épuisé plus d’un.» Notamment le vigneron-encaveur Ludovic Paschoud, qui a quitté son poste en 2025, après seulement une année à la présidence. «C’était difficile et très pesant d’être pris au milieu de cette tourmente, reconnaît-il. Je suis profondément attristé par l’attitude de certains protagonistes ainsi que par la tournure des événements.»
Dans son entourage politique et professionnel, certains accusent aussi Valérie Dittli d’écarter méthodiquement ceux qui ne partagent pas ses vues. «Comme elle s’est débarrassée des 'vieux' de son parti», souffle une source au département. Rappelons qu’en 2021, peu après avoir pris la présidence de la section cantonale, Valérie Dittli avait écarté deux figures historiques, Claude Béglé et Jacques Neyrinck, alors en conflit. Cela lui avait permis d’exercer une grande influence sur sa formation politique. Selon certains membres du Centre, la ministre qu’elle est aujourd’hui continuerait de tirer les ficelles dans l’ombre, au point d’avoir réussi à faire élire à la présidence son favori, Mario-Charles Pertusio.
Une ministre seule contre tous
Au fil des échanges se dessine l’image d’une conseillère d’Etat qui s’est enfoncée dans une posture défensive, en raison notamment de la configuration solitaire dans laquelle elle évolue. «Au Conseil d’Etat, elle est seule contre tous. Et devant le Grand Conseil, elle n’a pas de groupe, résume Jaqueline Bottlang-Pittet. Elle n’est jamais assurée d’avoir du soutien.»
La vice-présidente relève également que l’attitude de certain(e)s envers la ministre d’origine alémanique peut être problématique: «Lorsqu’une personne est jeune et inexpérimentée, elle ne peut pas avoir d’autorité naturelle. Certains propos dont elle est victime, un homme de 55 ans n’aurait pas à les subir. En même temps, je peux me mettre à la place des collaborateurs de son Secrétariat général qui sont employés depuis quinze ou vingt ans et qui doivent subitement rendre des comptes à une jeunette. Cela ne doit pas être facile pour eux.»
Des départs qui interrogent
Sauf que «l’hémorragie» parmi ses proches ne touche pas que des fidèles de son prédécesseur ayant mal vécu l’arrivée de la nouvelle venue, loin s’en faut. Après avoir travaillé de nombreuses années au sein de l’Office des affaires extérieures, Aline Rampazzo Jacquier avait rejoint le département comme secrétaire générale adjointe en 2022, puis elle avait été promue secrétaire générale au départ de Frédéric Charpié, en 2023.
Au cœur du rapport rendu par Jean Studer figurait un e-mail où la cheffe de département demandait l’annulation des taxations de certains riches contribuables bénéficiant du bouclier fiscal (plafonnement des impôts directs). Une démarche qualifiée d’illégale par l’expert. Lors de la présentation du rapport à la presse, puis en interview, Valérie Dittli a répété à plusieurs reprises que le courriel, qui était selon elle une demande de faisabilité et non un ordre, avait été envoyé par sa secrétaire générale.
Selon des sources concordantes, Aline Rampazzo Jacquier ne serait pas revenue travailler depuis. «Lorsqu’on lit dans le communiqué que le départ de la secrétaire générale a été acté 'd’un commun accord', on comprend qu’il est sans doute lié à une situation potentiellement conflictuelle», relève le député socialiste Romain Pilloud.
Occupée à éteindre les incendies
Une personne ayant travaillé avec Aline Rampazzo Jacquier la décrit comme «une vraie serviteure de l’Etat, qui a tenté d’entourer et de conseiller la ministre dans sa tâche». Mais selon plusieurs sources, la conseillère d’Etat se serait coupée même de certains de ses plus proches collaborateurs depuis la médiatisation de différentes affaires, à commencer par la polémique autour de sa domiciliation fiscale en 2023. A ce sujet, une expertise externe indépendante avait conclu que la Valérie Dittli avait agi dans le respect des règles. Mais «depuis, elle s’est enfoncée dans une forme de paranoïa», relève une personne proche du SG.
Co-rapporteur de la sous-commission des finances en charge du Département des finances et de l’agriculture, devenu département de l’agriculture, de la durabilité, du climat et du numérique, le socialiste Alexandre Démétriades s’est rendu au Secrétariat général du DADN en mai dernier, dans le cadre de l’élaboration du rapport annuel de la commission. «J’ai été très étonné de trouver en face de moi, pour évoquer les comptes 2024, une comptable ainsi que la secrétaire générale adjointe, qui n’était pas responsable de ces enjeux l’année précédente. En tant que municipal (ndlr: il siège à Nyon) et dans un contexte aussi sensible, jamais je n’aurais laissé des collaboratrices seules face à la commission des finances. La Conseillère d’Etat aurait dû être là.»
Sans doute est-elle alors occupée à éteindre les incendies et à pallier les absences de ses collaborateurs. Une situation d’autant plus ingérable et épuisante que la ministre a perdu sa collaboratrice personnelle initiale, Pauline Monod, remplacée en février par Stéphanie Mooser.
Pas les codes ni les réseaux
Pauline Monod, décrite comme une personne «intègre et avec des valeurs», aurait été «très éprouvée par ces trois années auprès de la ministre. Elle souhaite vraiment tourner la page et aller de l’avant», confie un proche de la jeune femme.
Amie d’études de Valérie Dittli, jeune, centriste, elle avait été nommée collaboratrice personnelle à la surprise générale. «C’était une erreur de la part de la ministre», commente un fin connaisseur du terreau vaudois. «Elle aurait dû aller chercher un tôlier de la politique vaudoise et non un profil similaire au sein. Les deux n’avaient ni les réseaux, ni les codes, ni les bons numéros de téléphone… Elles n’ont pas vu, ni su anticiper les attaques.»
Pour le député UDC Cédric Weissert, le problème touche l’ensemble du Secrétariat général: «Valérie Dittli est arrivée au Conseil d’Etat avec un petit parti et des personnes qui ne venaient pas d’un grand appareil. Peut-être que ses collaborateurs n’avaient pas anticipé la charge de travail, le stress, la pression. Ce n’est pas un métier comme un autre», estime-t-il. Il pointe également une équipe recrutée dans l’urgence, sans figures rompues aux rouages politiques: «Elle a voulu amener du sang neuf, mais il manquait peut-être à ses côtés quelqu’un de plus expérimenté. »
Manque d’expérience managériale
Outre les jeux de chaises musicales, plusieurs députés relèvent le manque d’expérience politique de la ministre, qui avait tenté de se faire élire comme conseillère communale et municipale à Lausanne, sans succès, avant d’être catapultée au Conseil d’Etat. Lorsqu’elle est devenue la grande argentière du Canton de Vaud à 29 ans, Valérie Dittli n’avait pas non plus d’expérience en management. Une lacune qu’elle partage avec certains de ses collègues du gouvernement, mais qui se surajoute dans son cas à un contexte déjà difficile. «Il n’existe aucune formation en management pour les conseillers d’Etat», déplore Rebecca Joly, cheffe de groupe des écologistes au Grand Conseil. Une information confirmée par le Bureau d’information et de communication du canton de Vaud, qui précise que les ministres peuvent suivre des formations s’ils le souhaitent.
Rebecca Joly poursuit: «Peu importe le profil ou l’expérience professionnelle, quand on est élu, on est jeté dans le grand bain. Or, il faut savoir gérer une équipe, développer une vision stratégique. Ce sont des compétences qui s’apprennent.» Une source proche de la ministre déplore ainsi que Valérie Dittli «n’ait pas su faire preuve d’humilité et reconnaître qu’elle avait besoin d’être épaulée, en allant chercher conseil auprès de personnes plus expérimentées.»
Confrontée aux questions de Blick sur les départs et absences de ses collaborateurs, la conseillère d’Etat nous a répondu par écrit, par l’intermédiaire du délégué à la communication, évoquant des situations individuelles qu’elle ne peut commenter «par respect de la vie privée». Elle reconnaît toutefois que la réorganisation des départements et les exigences du Secrétariat général ont généré des difficultés. Selon la ministre, des mesures ont été prises pour informer les équipes et accompagner la transition, notamment par des séances régulières avec le Secrétariat général et la mise à disposition de soutiens internes, comme l’Espace écoute et médiation ou les services de la Direction générale des ressources humaines.
«Amateurisme» au sein du Conseil d’Etat
Pour certains observateurs, le problème ne s’arrête toutefois pas au DADN. Un connaisseur de la politique vaudoise dresse ainsi un constat général sans concession: «Je suis abasourdi par l’amateurisme qui règne parfois au sein du Conseil d’Etat, notamment dans la façon dont les ministres managent leurs équipes. Je suis sidéré par leur difficulté à se réinventer, à faire preuve de courage et à envisager d’autres manières de faire.»
Un diagnostic que partage un député UDC, plus lapidaire encore: «Ce qui se passe au Conseil d’Etat est un pur gâchis. Il va falloir redresser la barre rapidement et retrouver un minimum d’apaisement. À ce rythme, c’est la crédibilité même de l’exécutif qui est en jeu.»
Après avoir répondu de manière très générale à une première salve de questions concernant le turnover au sein de son Secrétariat général, Valérie Dittli a eu vent des contacts que nous avons pris pour interroger ses relations avec son entourage professionnel et politique. Confrontée à une nouvelle série de questions dans la foulée, elle nous a fait parvenir la prise de position suivante:
L’objectif de mon engagement est d’agir pour l’intérêt général avec pragmatisme, faire avancer les dossiers importants pour notre canton de manière efficiente, et le faire dans un esprit d’écoute et de responsabilité.
J’assume une certaine exigence dans le travail, car je suis convaincue que c’est ce que nos concitoyennes et concitoyens attendent de nous. Je suis entourée de personnes très compétentes au sein de mon secrétariat général, ainsi que dans les offices et directions de mon département, avec lesquelles le dialogue et la diversité d’opinions sont toujours encouragés.
Je suis une femme de la terre: quand on plante une graine, il faut faire confiance et laisser le temps faire son œuvre. Il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller la déterrer pour vérifier qu’elle pousse – c’est aussi ma vision du management: cultiver la confiance et l’autonomie pour obtenir le meilleur de chacun.
Je continuerai donc à avancer, à me remettre en question quand il le faut, mais sans jamais perdre de vue l’essentiel: servir au mieux les intérêts de la population et préparer l’avenir.
Après avoir répondu de manière très générale à une première salve de questions concernant le turnover au sein de son Secrétariat général, Valérie Dittli a eu vent des contacts que nous avons pris pour interroger ses relations avec son entourage professionnel et politique. Confrontée à une nouvelle série de questions dans la foulée, elle nous a fait parvenir la prise de position suivante:
L’objectif de mon engagement est d’agir pour l’intérêt général avec pragmatisme, faire avancer les dossiers importants pour notre canton de manière efficiente, et le faire dans un esprit d’écoute et de responsabilité.
J’assume une certaine exigence dans le travail, car je suis convaincue que c’est ce que nos concitoyennes et concitoyens attendent de nous. Je suis entourée de personnes très compétentes au sein de mon secrétariat général, ainsi que dans les offices et directions de mon département, avec lesquelles le dialogue et la diversité d’opinions sont toujours encouragés.
Je suis une femme de la terre: quand on plante une graine, il faut faire confiance et laisser le temps faire son œuvre. Il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller la déterrer pour vérifier qu’elle pousse – c’est aussi ma vision du management: cultiver la confiance et l’autonomie pour obtenir le meilleur de chacun.
Je continuerai donc à avancer, à me remettre en question quand il le faut, mais sans jamais perdre de vue l’essentiel: servir au mieux les intérêts de la population et préparer l’avenir.