Le mot d'ordre de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est actuellement d'économiser partout et tout le temps. «Il existe pourtant d'autres possibilités d'équilibrer le budget, explique l'économiste Cédric Tille dans un entretien avec Blick. Le Département fédéral des finances (DFF) fait des calculs beaucoup trop pessimistes.» Dans une étude réalisée pour l'association faîtière des œuvres d'entraide Alliance Sud, le professeur d'économie à l'IHEID de Genève arrive à la conclusion suivante: «Pour stabiliser le poids de la dette, il n'est pas du tout nécessaire de faire autant d'économies.»
Cédric Tille fait des calculs différents de ceux des économistes de Karine Keller-Sutter. Il ne se base pas sur le déficit absolu de la Suisse, mais sur le rapport entre la dette et le produit intérieur brut (PIB). Il s'agit pour lui du réel besoin de refinancement de la dette publique. C'est pourquoi il table sur une tendance ininterrompue à la baisse des taux d'intérêt.
Penser à l'américaine
L'économiste fonde également son argumentaire sur les coûts d'opportunité. «Le simple fait de supposer que la marge de manœuvre financière se réduira à l'avenir nous prive de possibilités.» En clair, la Suisse devrait penser un peu plus à l'américaine, épargner moins et dépenser plus. «Le pays peut le supporter», affirme Cédric Tille. «Pratiquement chaque année, la Suisse montre que sa situation économique s'est améliorée par rapport aux calculs initiaux. C'est pourquoi nous devrions à présent calculer différemment.»
Cédric Tille pose également la question suivante: «Quel est le niveau d'endettement souhaité par le frein à l'endettement?» Actuellement, l'objectif n'est pas clair, selon lui. «En tant que personne privée, on ne veut pas avoir de dettes. Mais en tant qu'Etat, il est judicieux de s'endetter.»
Il écrit qu'une légère augmentation du ratio dette publique/PIB permettrait d'accroître de manière significative les possibilités d'action du budget fédéral. «Sans focalisation sur l'épargne, il y aurait plus de marge de manœuvre, affirme Cédric Tille. Que ce soit pour l'aide au développement, les avions de combat ou pour une baisse des impôts, c'est aux politiques d'en décider. D'un point de vue économique, il est en tout cas possible de faire plus.»
L'Ukraine versus le Sud global
Alliance Sud représente les œuvres d'entraide suisses actives dans le Sud global. Celles-ci craignent que le Conseil fédéral veuille détourner de l'argent du budget de l'aide au développement vers l'Ukraine pour des raisons d'économie. L'Ukraine et les pays en développement seraient ainsi montés les uns contre les autres. «Cela se fait au détriment des personnes dans les pays en développement qui souffrent déjà des conséquences dramatiques de la guerre et de la crise alimentaire», déclare Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud.
La semaine prochaine, le Parlement débattra du financement de la reconstruction en Ukraine. Pour Alliance Sud, une chose est sûre: «La Suisse dispose d'une marge de manœuvre financière qui permet d'allouer plus d'argent à l'Ukraine tout en développant l'aide au développement dans les pays pauvres, explique Andreas Missbach. Les deux sont nécessaires de toute urgence – et servent aussi la sécurité de la Suisse.»
Contacté par Blick, le Département fédéral des finances rappelle que «les éléments du frein à l'endettement sont ancrés dans la Constitution fédérale. Par conséquent, le Conseil fédéral et le Parlement sont liés par le frein à l'endettement.»