Kristof Vandekerckhove se tient au bord de son jardin à Venthône, un village valaisan surplombant les vignes. Son regard se perd dans les rangées de ceps voisins. Les derniers traitements phytosanitaires remontent à plus de dix jours, affirme-t-il, pourtant une odeur chimique flotte encore dans l’air. Ophtalmologue et ancien chercheur dans l’industrie pharmaceutique, il se dit personnellement affecté par l’usage intensif de ces produits. Ce qui l’inquiète surtout, c’est que «les enfants respirent jour après jour un dangereux cocktail de pesticides».
La colère ne l’a pas quitté. Le 3 juin à Sion, les conseillers d’Etat Christophe Darbellay et Mathias Reynard ont présenté les résultats de l’étude Parval, menée pour évaluer l’exposition des enfants valaisans aux pesticides. Une communication officielle qui l’a profondément choqué. Selon Kristof Vandekerckhove, «le Conseil d’Etat a minimisé les résultats. Ils minimisent l’ampleur du problème».
Des résultats «pas alarmants»
Kristof Vandekerckhove soupçonne les autorités de vouloir protéger à tout prix la filière viticole. En Valais, premier canton viticole du pays, le sujet est particulièrement sensible. Beaucoup de familles vivent de la vigne, mais ici, les cultures sont souvent très proches des habitations, comme à Venthône ou dans les communes étudiées: Chamoson, Salquenen et Saxon. C’est dans ce contexte que le canton a mandaté le Swiss Tropical and Public Health Institute pour mener l’enquête.
Lors de la présentation des résultats, le conseiller d’Etat Mathias Reynard a voulu rassurer, en assurant que ces derniers n'étaient «pas alarmants». «Bien sûr, ce n’est pas parfait, mais nous le savions déjà. Tous les enfants sont en contact avec des pesticides, mais nous avons aussi des résultats positifs sur leur santé.» L'élu socialiste faisait ici référence aux tests de fonction pulmonaire, qui ne révélaient pas d’anomalies. Pourtant, l’étude a bien montré qu’un mélange moyen de 14 pesticides différents avait été détecté chez 206 enfants, dont six produits interdits.
Taux de glyphosate plus élevé, mais non testé
Kristof Vandekerckhove ne comprend pas qu'on cherche à banaliser ces données. Médecin et chercheur, il mène lui-même des mesures dans son jardin, en s'appuyant sur une station de détection installée en hauteur. «Les données sont alarmantes», affirme-t-il. «Avant même le 15 avril, donc avant le début officiel de la saison de pulvérisation, les niveaux de glyphosate étaient jusqu’à 500 fois plus élevés que dans une étude suisse de 2019 réalisée en pleine période viticole.»
Il précise utiliser la même méthode de mesure que celle de l'étude. «Les deux conseillers d'Etat ont mis l'accent sur l'absence d'effets graves sur la santé et ont détourné l'attention de l'exposition alarmante aux pesticides. Qualifier de 'rassurante' une exposition aussi massive et durable est scientifiquement, éthiquement et politiquement inacceptable.»
Selon lui, une étude de six mois est bien trop courte pour évaluer les effets sur la santé. «Il faudrait des observations sur 10 à 20 ans», insiste-t-il. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourrait déceler d’éventuelles conséquences telles que troubles du développement, TDAH, maladies respiratoires, cancers, problèmes de fertilité ou diabète. Des pathologies pour lesquelles les pesticides sont régulièrement mis en cause. Il souligne aussi que certains produits hautement toxiques comme le Folpet ou le glyphosate n’ont même pas été testés, pour des raisons budgétaires, alors qu’ils sont pourtant largement utilisés en Valais.
L'étude admet des résultats «peu fiables»
L’étude s’est concentrée sur des tests de spirométrie, principalement utiles pour diagnostiquer l’asthme. D’après Kristof Vandekerckhove, cette méthode n’est pas appropriée pour évaluer les dommages respiratoires à long terme. Le rapport lui-même mentionne que les résultats sont peu fiables, car le test est difficile à réaliser pour de jeunes enfants. Aucun autre examen médical n’a été mené. Il en conclut que «l’étude ne permet pas de tirer de conclusions sur la santé des enfants».
Kristof Vandekerckhove souffre lui-même de problèmes respiratoires. Son taux d’oxygène sanguin est souvent anormalement bas, et une expertise médicale pointe l’exposition aux pesticides comme cause probable. «Je vais devoir quitter la région», confie-t-il.
Le Conseil d'Etat valaisan se défend
Dans une prise de position écrite, Mathias Reynard assure que «tous les résultats ont été communiqués avec une transparence totale». Il rappelle que l’objectif de l’étude n’était pas d’évaluer les effets à moyen ou long terme sur la santé, ni d’analyser les liens avec d’autres pathologies que celles des voies respiratoires. Il estime que ces aspects nécessitent des études bien plus larges et sur une période prolongée, raison pour laquelle le canton soutient le projet d’étude nationale sur la santé, coordonné par l’Office fédéral de la santé publique.
Deux pesticides semblent toutefois associés à une légère baisse de certains paramètres respiratoires. «C'est pourquoi le canton du Valais a décidé d'agir et de prévoir la mise en place d'un plan d'action visant à réduire l'exposition aux pesticides», écrit Mathias Reynard. Mais Kristof Vandekerckhove reste sceptique. «Ce qui compte, c’est de voir si les mesures annoncées vont réellement au-delà de simples déclarations d’intention, d’autant que les règles existantes ne sont manifestement déjà pas appliquées de manière rigoureuse.»