Le Conseil national devra répondre à une question brûlante lors de la prochaine session d'été: la Confédération doit-elle pouvoir abroger les salaires minimums des cantons? Pour les associations patronales et les partis de droite, la réponse est oui, à condition toutefois que les partenaires sociaux s’accordent sur une baisse des salaires dans le cadre d’une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire générale.
Le débat s'annonce d'autant plus houleux qu'une nouvelle question sensible commence à faire son chemin à Berne: un salaire à temps plein doit-il suffire pour vivre dignement, sans que l’Etat ait à intervenir via l'aide sociale ou les prestations complémentaires?
«L'aide sociale doit intervenir»
Absolument pas, estime Roland Müller, directeur de l’Union patronale suisse. «On ne peut pas demander aux employeurs ou à l’économie d’assurer la couverture des besoins vitaux. Il y a une limite», a-t-il déclaré lors d’une audition devant la commission de l’économie du Conseil national à la fin du mois de mars dernier. «L'aide sociale doit pouvoir prendre le relais», a-t-il ajouté, selon des documents consultés par Blick.
Pour Roland Müller, il faut prendre en considération la capacité économique des employeurs. «C’est une problématique presque existentielle», a-t-il martelé. Et de préciser, un peu plus tard dans les échanges: «Garantir un revenu vital n’est pas le rôle des employeurs.» Selon lui, ces derniers contribuent déjà à la sécurité sociale, notamment par le biais de l’impôt sur les entreprises.
Le coup de gueule d'une élue socialiste
Face à ces déclarations chocs, les réactions à gauche ne se sont pas fait attendre. «Les bénéfices vont dans les poches des privés, les coûts sont supportés par l'Etat», s'est insurgée Jacqueline Badran, conseillère nationale socialiste (PS). Pour l'élue Zurichoise, les propos de Roland Müller visent uniquement à faire passer les employeurs pour des «seigneurs bienveillants».
«Si je ne peux pas payer des salaires qui permettent de vivre, soit je suis une mauvaise entrepreneuse, soit j'exploite sournoisement mes employés. Vous ne pouvez sérieusement approuver ni l'une ni l'autre de ces options», a-t-elle répondu au directeur de l'Union patronale. Pour l'élue, qui est également à la tête d'une entreprise active dans le milieu de l'informatique, les salaires minimums permettent précisément d'éliminer «les moutons noirs, c'est-à-dire les exploiteurs ou les mauvaises entreprises».
Genève et Neuchâtel sont inquiets
Les cantons touchés par la potentielle mesure à venir ne cachent pas leur inquiétude. En l'état, cinq cantons – Genève, Neuchâtel Jura, Tessin et Bâle-Ville – appliquent un salaire minimum, qui va de 20 francs dans le canton du Tessin à 24,50 francs dans le canton de Genève.
Et l'état, seuls Neuchâtel et Genève prévoient de faire primer le salaire minimum sur les CCT les plus faibles. Dans ces deux cantons, le salaire est considéré comme un instrument de politique sociale visant à lutter contre la pauvreté et à protéger les «working poor». Lors de l’audition, le syndicaliste Luca Cirigliano a rappelé que «les cantons de Neuchâtel et de Genève ont été confrontés à des chiffres massifs de travailleurs à plein temps qui se retrouvaient malgré tout à l’aide sociale.
Une tendance «inacceptable», a martelé le syndicaliste, qui a également prévenu que toute modification de cette réglementation pourrait engendrer jusqu'à 300 francs de baisse de salaire. «Les services sociaux des cantons de Genève et de Neuchâtel devraient se préparer à un afflux sans précédent de demandeurs d'aide.»
Roland Müller persiste et signe
Sollicité par Blick, le directeur de l'Union patronale maintient ses propos. «Bien sûr, l'objectif est que l'on puisse vivre de son salaire, cela ne fait aucun doute.». Mais la réalité économique est plus complexe, insiste-t-il: certaines branches ne peuvent tout simplement pas se permettre de payer davantage leurs employés, faute de rendement suffisant.
Roland Müller l'assure: «Des salaires minimums trop élevés peuvent entraîner la disparition de certains emplois. Un tel scénario n’aiderait personne.» Selon lui, mieux vaut rester dans le marché du travail que de se retrouver au chômage. Il tient également à rassurer: «Aucun employeur ne paie sciemment trop bas pour gonfler ses bonus.»
Pour Roland Müller, l’enjeu central du débat actuel se situe ailleurs: «Il s’agit de préserver le partenariat social.» Si les employeurs et les syndicats s’accordent sur un salaire minimum dans une CCT, celui-ci doit, selon lui, prévaloir sur les décisions cantonales. «Dans les conventions collectives, on négocie aussi les conditions de travail, la formation continue ou les vacances», rappelle-t-il. «Si les cantons modifient unilatéralement les salaires minimums, c’est tout l’équilibre du système qui est menacé.»