Kreuzlingen, Thurgovie, le 30 novembre 1989. Silke Wienrich, 27 ans, est poignardée à mort dans son appartement. Elle laisse derrière elle Sascha, un enfant de 7 ans, qui voit alors sa vie basculer dans l'horreur.
Plus de 35 ans plus tard, le mystère reste entier. A ce jour, personne n’a jamais été condamné. Certes, un suspect a rapidement été désigné, en la personne de Mike A.*, 23 ans au moment des faits. Il a même avoué le meurtre de la jeune maman, avant de se rétracter.
Fait troublant: en août 2008, soit 20 ans plus tard, ce même homme a tué de manière particulièrement atroce Ladarat Chitphong, alias « Linda », une prostituée thaïlandaise de 30 ans. En 2010, le tribunal de district de Weinfelden (TG) a condamné Mika A à une peine 20 ans de prison assortis d'une mesure d'internement à vie, faisant de lui le premier – et jusqu'à présent le seul – prisonnier de Suisse à connaître une telle sentence.
Peu de souvenirs
Sascha Weder, aujourd’hui âgé de 42 ans, revient sur la nuit où il a perdu sa mère. Il le fait dans un podcast en cinq épisodes du magazine «Beobachter», dans lequel interviennent également l’enquêteur de l’époque, l’avocat du suspect et le juge qui a finalement condamné Mike A pour l'assassinat de Linda.
Aujourd'hui, Sascha Weder est toujours hanté par le meurtre atrocement brutal de sa mère. «N’importe qui avec une vie comme la mienne serait devenu un serial killer ou serait mort. Pourquoi pas moi? Pourquoi, au fond?», s'interroge-t-il. Celui qui habite désormais à Wintherthour explique n'avoir gardé que «peu de souvenirs» de sa maman. «Je l'ai perdue à un âge où l'on commence en fait à construire une relation.»
Sascha a dû deviner seul les circonstances terribles de la mort de sa mère. Aujourd’hui encore, les autorités rechignent à lui donner accès à l’ensemble des documents, et notamment aux photos de la scène de crime. Si bien qu'il se sent à la fois infantilisé et abandonné, un ressentiment qui nourrit chez lui une rancune tenace envers de nombreuses personnes.
Quatorze coups de poignard... et un acquittement
Selon les éléments de l'enquête, Silke Wienrich a passé la majeure partie de la journée du 29 novembre 1989 dans la salle de jeu où elle travaillait. Vers 23 heures, elle s’est rendue dans un club de Kreuzlingen pour y passer la soirée. C’est là qu’elle a croisé Mike A, selon les dires de plusieurs témoins. Ils seraient ensuite allés chez la jeune femme.
D'après les aveux formulés dans un premier temps par Mike, une dispute a alors éclaté et s'est conclue par le meurtre de Silke Wienrich et par l'incendie de son appartement. Mais quatre jours plus tard, le suspect a finalement retiré sa confession. A son avocat, il a expliqué avoir parlé sous la pression, dans l’unique but d’obtenir de meilleures conditions de détention. Même l’enquêteur de l’époque a reconnu par la suite que cette pression constituait une erreur.
Après l’incendie, le corps de Silke Wienrich a été retrouvé, en grande partie calciné. L’autopsie a révélé qu’il s’agissait bien d’un homicide et qu'elle avait été poignardée à 14 reprises. Un procès s’est tout de même tenu et s'est soldé par l'acquittement de Mike A au bénéfice du doute. Son avocat a notamment réussi à fragiliser les preuves circonstancielles et à semer le doute. Sascha Weder n’a, lui, jamais obtenu l’indemnisation de 75’000 francs réclamée par son avocat.
Outre l'homicide présumé de Silke Wienrich et l'assassinat de Linda, Mike A. a été impliqué deux autres affaires portant sur des faits de viol et de mise en danger de la vie d’autrui. Après avoir reconu des viols et des menaces sur au moins deux femmes, il a été condamné à 30 mois de prison fermes.
Quand la victime se mue en coupable
En 1989, année du drame, Sascha vivait dans un internat spécialisé, à Bernrain, à seulement 400 mètres de l’appartement de sa mère. Il ne la voyait que le week-end. Celle-ci lui a donné naissance eu à 20 ans. Célibataire, elle devait travailler durant la semaine et ne bénéficiait d’aucun réel soutien.
Plus tard, Sascha a été adopté. C'est là qu'il a pris le nom de Weder. Sa vie a d’abord semblé prendre un tournant positif. Mais à mesure qu’il a grandi, il a perdu pied. Il a abandonné plusieurs apprentissages, quitté le foyer de ses parents adoptifs à 18 ans, et a fini par basculer dans la délinquance, principalement via des vols et des violations de domicile.
Le point de non-retour a été atteint lorsqu’il a agressé sa propre voisine. Il l’a brièvement saisie en lui faisant une clé de bras. Il s’agissait d’une femme âgée, connue dans le quartier pour vendre de la drogue. Sascha Weder a été condamné pour ces actes. Aujourd'hui, il assume pleinement sa faute et la regrette: «C’était un acte irréfléchi. J’ai déclaré devant le tribunal que j’étais profondément désolé.»
Aujourd'hui, Sacha Weder souhaite une chose par dessus tout: que justice soit rendue à sa mère, et que son meurtre soit enfin élucidé dans ses moindres détails. Sur un plan personnel, il assure vouloir faire un séjour en clinique spécialisée, afin de pouvoir enfin affronter ce traumatisme qui le hante depuis l’enfance.
*Nom anonymisé