Un «délit de faciès»?
Un théâtre genevois dénonce une intervention violente de la police

A Genève, le Théâtre du Loup dénonce une intervention policière «disproportionnée», vendredi après une pièce. Une course-poursuite s'est terminée en violent accident, puis un comédien racisé a été pris à partie. Accusée de «délit de faciès», la police ne commente pas.
Publié: 12:00 heures
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Dernière mise à jour: 12:13 heures
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Dans la cour du Théâtre du Loup, à Genève, un accident de moto a déclenché une intervention de police dénoncée pour sa violence.
Photo: Capture d'écran / Google Maps
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Léo MichoudJournaliste Blick

Lors d’une intervention jugée violente et «disproportionnée», un comédien racisé aurait été pris pour le complice de deux jeunes poursuivis par la police. Voilà ce que dénonce le Théâtre du Loup à Genève, ce lundi 20 octobre dans une lettre ouverte adressée à la commandante de la police et à la Conseillère d’Etat en charge de la sécurité.

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Ce vendredi vers 22h, une pièce vient de se terminer au théâtre, situé à deux pas de la Parfumerie et de la Gravière – et non loin du nouvel hôtel de police. Une troupe de comédiens et quelques spectateurs débriefent le spectacle.

Dans la cour du théâtre, ils voient deux jeunes à moto s’écraser au sol en transperçant une chaîne métallique. «C’était très violent, raconte à Blick le metteur en scène de la pièce et témoin du choc. Ils hurlaient par terre, alors nous avons appelé une ambulance.»

Une arme pointée sur un témoin

C’est la police qui arrive la première. Deux agents – visiblement en pleine course-poursuite – auraient «plaqué les deux jeunes blessés au sol», selon le témoin. La communication du théâtre précise qu’un des policiers a «sorti son arme à feu et a exercé une forte pression physique sur un des deux blessés pour lui passer les menottes». Et ce, même si les jeunes hommes «ne semblaient en rien menaçants», affirme la direction du théâtre.

Trois personnes extérieures à l’intervention policière auraient été prises à partie par les agents. «Un comédien s’est approché pour signaler que leur état de santé ne nécessitait pas une telle violence, indique le metteur en scène. Mais le policier a pointé son arme dans sa direction.»

Le comédien a donc reculé et s’est mis, comme d’autres, à filmer la scène, jusqu’à ce que l’agent baisse son arme. «Deux policiers sont arrivés sur le lieu et ont voulu se saisir des téléphones portables des personnes en train de filmer», précise le théâtre, qui s’inquiète pour le droit de filmer dans l’espace public.

Un comédien racisé interpellé à tort

Peu après, l’attention des policiers a changé de cible. «Ils se sont précipités vers un des comédiens du spectacle, qui lui ne filmait pas», poursuit la direction du théâtre, qui tient à préciser qu'il s'agit d'une «personne racisée». Selon les témoignages recueillis, un agent a poursuivi le comédien – qui venait de mettre le pied à l’extérieur – jusque dans l'enceinte du théâtre.

«
Il m’a frappé au menton avec son avant-bras, puis m’a fait une clef de gorge pour me maîtriser. J’ai préféré éviter de résister
Le comédien racisé menotté par la police
»

Le comédien en question, qui préfère rester anonyme, témoigne. Conscient de la situation en cours, il dit être sorti fumer une cigarette et avoir voulu regarder l’heure sur son téléphone, avant de le remettre dans sa poche. «Un flic en civil m’a pointé du doigt en disant 'Toi, arrête!' et est venu vers moi, relate-t-il. J’ai reculé et me suis retrouvé dans le foyer de théâtre, où il m’a poursuivi. Il m’a frappé au menton avec son avant-bras, puis m’a fait une clef de gorge pour me maîtriser. J’ai préféré éviter de résister.»

Plusieurs personnes tentent alors d’expliquer qu’il n’a pas de lien avec les deux jeunes en mauvais état, mais rien n’y fait. Une spectatrice quinquagénaire a tenté de s’interposer en criant que le comédien était son beau-fils. Le théâtre déplore qu’elle ait été «saisie par les épaules» et «projetée à terre». Menotté, le comédien est emmené à l’extérieur, rejoignant celui mis en joue plus tôt. La police aurait bloqué le reste des personnes présentes à l’intérieur du théâtre, «menaçant de les gazer s’ils essayaient de sortir», déplore le théâtre.

«Délit de faciès»? La police ne commente pas

«Au bout d'au moins 20 minutes, les deux artistes ont réussi à négocier pour être libérés», relate le metteur en scène. «Ils ne m’ont pas cru quand j’ai dit que je faisais partie du théâtre, de la troupe. Jusqu’au moment où mon collègue blanc, plus respecté, a pris le temps de leur expliquer.» Faut-il y voir un acte raciste? «Nous étions une dizaine de personnes à regarder l’action et j’étais presque le seul racisé. Evidemment, c’est tombé sur moi», soupire le comédien.

«
On se demande comment cette personne a pu être assimilée à ces deux jeunes, à part s’il s’agit d’un grave délit de faciès
Le metteur en scène de la pièce
»

Le metteur en scène estime la police coupable de discrimination en prenant son comédien pour un complice: «On se demande comment cette personne a pu être assimilée à ces deux jeunes, à part s’il s’agit d’un grave délit de faciès.» Les deux jeunes accidentés à moto semblent avoir été emmenés en ambulance. L’institution culturelle, elle, demande des explications sur cette intervention qui a dégénéré.

Contactées, les forces de l’ordre cantonales indiquent lundi que «pour le moment, aucun commentaire ne sera formulé». Seule information? «Au vu de la teneur des faits tels que rapportés par la Direction du Théâtre du Loup, la Commandante de la Police a saisi l’Inspection générale des services». C'est donc la «police des polices» qui devra statuer sur ce cas.

«Sur le moment, ils étaient incapables d’admettre qu’ils avaient fait quelque chose de faux, qu’ils avaient mal évalué la situation», s’énerve le comédien menotté. Même si cette intervention a choqué son entourage, il ne s’étonne pas: «Cela m’arrive, quand je suis seul, de me faire contrôler 'au hasard'. Aujourd’hui, d’autres personnes ont pu y assister et me soutenir.» Le comédien évoque des procédures pénales «en discussion». «On se laisse le droit d’agir en justice», conclut-il.

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