Scandale aux Eglises réformées
Le licenciement de deux journalistes romands secoue jusqu’au Conseil de l’Europe

Le licenciement des deux journalistes de ProtestInfo a quitté le cadre ecclésial romand pour devenir une affaire européenne. La Plateforme du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes a émis une alerte officielle.
Publié: 05:42 heures
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Dernière mise à jour: 06:50 heures
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A gauche de la photo, Anne-Sylvie Sprenger et Lucas Vuilleumier, journalistes licenciés de ProtestInfo.
Photo: DR
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Le renvoi de deux journalistes de l’agence ProtestInfo, début octobre, s’est transformé en crise majeure pour les Eglises réformées romandes. Après plusieurs semaines de polémique en Suisse, l’affaire prend désormais une dimension internationale.

La Plateforme du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes vient d’y consacrer une alerte officielle. Un geste rare, qui place cet épisode romand dans la catégorie des atteintes potentielles à la liberté de la presse.

Petite agence au cœur d’une tempête

ProtestInfo, agence spécialisée dans l’actualité religieuse et rattachée à Médias-Pro (l’organe médiatique des Eglises réformées romandes), s’est séparée en octobre de sa rédactrice en cheffe Anne-Sylvie Sprenger et du journaliste Lucas Vuilleumier.

Les instances ecclésiales parlent d’un désaccord éditorial, de tensions anciennes et d’une rupture de confiance. Les deux journalistes, eux, affirment avoir été écartés alors qu’ils travaillaient sur une enquête sensible. L'investigation interrogeait les liens persistants de l'Eglise réformée vaudoise avec un célèbre théologien soupçonné d'abus sexuels présumés, auquel Protestinfo avait déjà consacré une longue enquête dans les colonnes du «Temps» en juillet 2024.

Cette décision jugée brutale avait déjà provoqué une vague de critiques en Suisse romande ainsi que la rédaction d'une lettre ouverte, signée par plus de cent personnalités protestantes, dénonçant une atteinte à l’indépendance de la presse. Beat Grossenbacher, ancien rédacteur en chef de l’ATS et membre de la commission d’experts de Médias-Pro, a démissionné dans la foulée, choqué par la mise à l’écart. Et la présidente de cette même commission a également tourné les talons, évoquant dans «Christianisme Aujourd'hui» une confiance rompue avec la direction.

L’Europe exige des garanties

C'est aujourd'hui le Conseil de l'Europe qui s'y intéresse de près. Sa plateforme pour la sécurité des journalistes, qui regroupe également quinze organisations internationales de défense de la liberté de la presse, vient de publier une alerte de niveau 2 – son deuxième degré de gravité.

Elle demande la réintégration des deux journalistes, ainsi que la mise en place de garanties robustes préservant l’indépendance éditoriale de l’agence et son autonomie vis-à-vis des instances ecclésiales.

La Plateforme, gardienne de la liberté de la presse

Créée en 2015, la Plateforme du Conseil de l’Europe est aujourd’hui le seul dispositif européen conçu spécifiquement pour protéger la liberté des médias. Elle agit en publiant des alertes, en dialoguant avec les autorités et en formulant des recommandations destinées à résoudre à la fois les cas individuels et les problèmes systémiques qui affectent les journalistes.

À travers ce système de surveillance, la Plateforme ne sert pas qu'à protéger les acteurs de la presse. Elle met aussi les Etats face à leurs responsabilités lorsqu’un média subit des pressions.

Créée en 2015, la Plateforme du Conseil de l’Europe est aujourd’hui le seul dispositif européen conçu spécifiquement pour protéger la liberté des médias. Elle agit en publiant des alertes, en dialoguant avec les autorités et en formulant des recommandations destinées à résoudre à la fois les cas individuels et les problèmes systémiques qui affectent les journalistes.

À travers ce système de surveillance, la Plateforme ne sert pas qu'à protéger les acteurs de la presse. Elle met aussi les Etats face à leurs responsabilités lorsqu’un média subit des pressions.

Dans le cadre de ce mécanisme, le Conseil de l’Europe sollicite une réponse officielle des «autorités nationales» du pays concerné. Pour ProtestInfo, le délai est fixé au 14 février.

L’écho européen bouleverse le journaliste

Contacté, Lucas Vuilleumier se dit profondément touché que l'affaire ait trouvé un écho au niveau européen. «Il est très émouvant pour nous de voir que le sort de notre petite agence protestante romande a suscité l’attention et l’inquiétude des fédérations de journalistes partenaires de la Plateforme du Conseil de l’Europe», témoigne le journaliste.

Il estime que la liberté de l'information a été touchée en plein cœur dans cette affaire. «Notre hiérarchie affirme aujourd'hui publiquement que la crise survenue autour de l’enquête sur laquelle nous travaillions au moment où nous avons été remerciés n’a été que le déclencheur de notre licenciement, sans lien avec le sujet traité, rappelle-t-il. Mais le fait que notre situation soit signalée au niveau européen montre qu’elle soulève malgré tout, pour certaines personnes, de véritables questions de liberté de la presse.»

Les Eglises appelées à répondre

En Suisse, le dossier va revenir sur la table très vite. La prochaine assemblée plénière de la Conférence des Eglises réformées romandes (CER) aura lieu le 29 novembre.

Une interpellation y demandera au Conseil exécutif de répondre à une série de questions critiques concernant les licenciements. Les interrogations des signataires sont les suivantes:

  • Pourquoi avoir critiqué publiquement ProtestInfo, au risque d’entamer la confiance de l’Eglise et du public dans l’agence?
  • Comment justifier qu’un membre du conseil exécutif soit intervenu dans un travail rédactionnel en cours, notamment en ordonnant le gel de toute publication le 2 octobre, alors que la charte rédactionnelle garantit l’indépendance de la rédaction?
  • Une médiation a-t-elle été menée ou une instance de recours saisie avant la rupture des contrats? La commission d’experts a-t-elle été consultée?
  • Le conseil exécutif estime-t-il que la future charte institutionnelle devrait être confiée à un organe indépendant, pour garantir transparence et crédibilité?

Quand le courage des Eglises vacille

Lucas Vuilleumier soulignait dans l'émission «Forum», sur les ondes de la RTS, qu’il n’avait jamais eu le sentiment d’une quelconque censure avant cet épisode. Il affirmait au contraire que les Eglises avaient montré du courage en laissant l’agence enquêter librement. Un courage remis aujourd'hui en question par ces licenciements, qui posent la question du devenir même de ProtestInfo.

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