En ce vendredi matin étourdissant de soleil, Cédric Bovey est arrivé à scooter, comme d’habitude. C’est le deuxième jour de la fête et on chercherait en vain un bodyguard à la vaudoise aux trousses du président de la Fête fédérale, au grand sourire. Il a de quoi être réjoui et un peu fier devant les 65'000 athlètes qui pratiquent leur sport pendant dix jours au cœur de Lausanne «au milieu de plein de gens, avec des bâtiments historiques, de l’architecture autour.
Un site comme Beaulieu, c’est problématique et gigantesque.» Tout se passe ainsi dans une dimension bon enfant, sans sécurité envahissante. Bus et métros sont emplis de sportifs et les Lausannois prennent des leçons de géographie en lisant le nom des localités sur les trainings. C’est où, Eschlikon? Cela existe, Monte Carasso?
«La gym me sert tous les jours»
Entre deux visites de sites, le boss s’assied sur une marche d’escalier. La veille, après les officialités du début, il a disputé un concours avec une de ses deux filles, ravi de transmettre. Aujourd’hui, il ira partout, de Dorigny à la Pontaise, résoudra 100 problèmes d’intendance et de tuyauterie plus ou moins capitaux, en observant en premier si les bénévoles vont bien. On le reconnaîtra. Ex-président de la Société vaudoise de gymnastique, chef du Service cantonal de l’éducation physique et du sport, il connaît du monde.
Dans la gym, le côté famille va loin: la salle des Bergières, remplie d’agrès, est gérée par sa société de Vevey-Ancienne et ses propres parents... «La gym m’a forgé en tant que personne, dit-il, tellement ces sociétés sont polysportives. On ne fait pas que des engins, on organise des camps, on touche à des aspects de formation. Cela me sert tous les jours. Ce qui est beau dans la gym, c’est de concourir certes en individuel et d’améliorer ses performances, mais aussi de faire partie d’un groupe. Cette fête n’est pas que de la gym: c’est de la cohésion nationale. Des petits Thurgoviens découvrent Lausanne. Qui sait, cela servira peut-être un jour quand on voudra faire passer l’anglais avant le français dans les classes...»
C’est la Fête fédérale de gym, 77e du nom, rendez-vous monumental des entités gymniques. Si le président est à scooter, un gymnaste aurait presque pu arriver en formule 1 jusque sur la place des Pionnières, où il vient de donner une exhibition avec son club. Genevois d’Onex, Valentin Lüthi est ingénieur dans les laboratoires de l’écurie Sauber. Membre de la société de Wetzikon (ZH) depuis deux ou trois ans, il constate combien «les clubs de gym sont forts en Suisse alémanique. Dans la partie plus active, les agrès, nous devons être une quarantaine. Ces fêtes tous les six ans sont nos Jeux olympiques. Comme le concours se passe en trois parties, avec une moyenne des notes, il faut une belle unité entre nous.»
A quelques mètres, Marta Fernandes est appuyée contre une des arches du Grand-Pont; les paillettes de sa robe brillent dans la lumière. Ses copines la poussent à répondre aux questions, l’assistante en pharmacie s’y prête gaiement. Elles sont 36, elles viennent d’Avenches (VD) et ont lancé le premier spectacle parce que «les organisateurs aimaient bien notre énergie». Depuis deux ou trois mois, elles répètent au moins trois fois par semaine. «Nous avons eu des imprévus, des blessées, tout cela nous a rapprochées. On a plein de tranches d’âge, des jeunes encore à l’école qui n’ont jamais fait de productions, c’est énorme pour elles. Nous, les plus âgées, on essaie de les rassurer, de leur apprendre. Une telle expérience va nous aider aussi pour tous nos projets futurs.»
L’aboutissement de mois d’entraînement, c’est aussi une réalité pour Colette Sauge, de Bex (VD). Après une longue interruption pour se consacrer à ses enfants de 2 et 4 ans, elle est là non seulement en tant que gymnaste, mais aussi comme coach pour une trentaine de participants et comme juge. Elle concourt avec sa société le jeudi, juge le samedi, remet cela en individuel le dimanche. Goûte à chaque instant: «Le principal est d’être contente de moi, parce que c’est ma dernière saison. Avec les enfants et quelques soucis de dos, il est l’heure de tirer ma révérence. Ici, par rapport à un concours normal, il y a beaucoup de petites choses à changer, des réglages partout, j’adore.»
A deux pas, Saana Vallotton se dépêche. Professeure au gymnase de Chamblandes, à Pully (VD), elle retourne en vitesse au collège à midi après ses productions du matin, avant de s’entraîner le même soir et de concourir le dimanche. «C’est hyper-bizarre, mais drôle. Mes collègues ont été d’accord de décaler mes conseils de classe pour que je sois à l’heure», sourit-elle. Ses deux coéquipiers venus de Vevey et de Blonay (VD), Ophélie Cornu et Niklas Kappeler, sortent tout juste d’une prestation à deux: «Une minute trente, dit ce dernier, c’est à la fois très rapide et très long. Une fois que tu es dedans, tu as l’impression que tu commences et c’est déjà la fin. C’est intense.» Tous trois se sont préparés toute l’année à ce moment, à raison d’environ deux heures quatre fois par semaine. Ils n’ont rien oublié de ce qu’ils devaient faire, ils rayonnent.
Des Christelle Luisier miniatures
Pour que tout roule, les volontaires sont des milliers. Rôtissant doucement sur la place de la Navigation, férue de gym depuis toujours jusqu’à pratiquer encore quatre fois par semaine, Nicole Schmid est l’une d’elles. «Comme nous nous le disions entre collègues, nous nous sentons redevables, nous voulons redonner ce que nous avons reçu lors des autres fêtes. La gym, c’est se retrouver en groupe avec les copines et les personnes qui croient aux mêmes valeurs, avec la même envie de bouger, le même partage.»
Alors elle est là avec les autres, huit heures par jour, à distribuer les distinctions aux 30% des participants qui les ont méritées. «On essaie de leur faire une petite fête», glisse-t-elle. N’empêche, tout n’est pas rose: au régime pomme-sandwich depuis quelques jours, elle annonce solennellement que, «dès demain, on va varier»...
La voilà, cette Fête fédérale, diverse, bigarrée, emplie d’histoires. Jusqu’aux écolières tout en rouge de Chézard-Saint-Martin (NE), autant de Christelle Luisier en miniature, conseillère d’Etat pas peu satisfaite d’avoir été pupillette à l’âge de 5 ans. Les filles prennent le bus en groupe, joyeuses. «Grâce au congé d’aujourd’hui, j’ai pu éviter mes pires profs...» se félicite l’une d’elles.
Cet article a été publié initialement dans le n°25 de «L'illustré», paru en kiosque le 19 juin 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°25 de «L'illustré», paru en kiosque le 19 juin 2025.