Menacé de disparition, le contrôle des champignons reste plus que jamais indispensable. A Lausanne, plus de la moitié des spécimens présentés se révèlent impropres à la consommation. Rencontre avec Pierre-Alain Leresche, le contrôleur officiel au sein du Service des parcs et domaines, à la Direction logement, environnement et architecture de la Ville de Lausanne, qui connaît les bois et leurs hôtes comme sa poche.
«L'année a plutôt été bonne pour les champignons, mais avec le dérèglement climatique, les saisons se décalent. Après une belle poussée printanière, plus grand-chose jusqu'à début septembre», observe Pierre-Alain Leresche, tout en examinant les bolets bais amenés par un retraité dans les locaux du Chalet-à-Gobet.
«Pas un seul de bon»
Forestier-bûcheron de formation, Pierre-Alain Leresche exerce sa mission depuis près de vingt ans. Pour lui, le contrôle public des champignons n'est pas un «luxe», mais une mesure de protection vitale. «En moyenne, plus de la moitié des champignons qui me sont amenés sont non comestibles ou trop vieux», constate le responsable, tout en pesant et contrôlant le panier d'un Lausannois. Verdict: «Pas un seul de bon.»
Même les cueilleurs expérimentés ne sont pas à l'abri. L'un d'entre eux arrive avec sa récolte soigneusement triée dans des petits paniers compartimentés. Repérés par l'oeil expérimenté de Pierre-Alain Leresche, quelques spécimens finissent malgré tout au rebut.
Ne pas laisser traîner
«L'an dernier, sur 250 kilos contrôlés, 130 ont dû être jetés», relate le contrôleur. Et mieux vaut ne pas trop tarder avant de venir: «Une dame m'a amené 700 grammes de chanterelles cueillies quatre jours plus tôt... fichues!», note-t-il. Au Chalet-à-Gobet, le contrôle est gratuit et réservé aux particuliers. Entre 200 et 600 contrôles sont effectués chaque année, et, cette saison, déjà plus de 300, note Pierre-Alain Leresche.
Dans d'autres cantons, le service devient parfois payant, comme par exemple dans certaines communes fribourgeoises. Une mesure jugée contre-productive. «Si les cueilleurs doivent payer, ils ne viendront plus faire vérifier leur récolte».
Engouement pour la cueillette
Il faut dire que la cueillette des champignons connaît un engouement certain depuis le Covid. Notamment chez les urbains «qui ont redécouvert la nature. Pendant la pandémie, je jetais jusqu'à 25 kilos par jour», se souvient Pierre-Alain Leresche. «C'est devenu une mode et les réseaux sociaux n'arrangent rien», confie-t-il. «Deux ou trois photos postées en ligne, et tout le monde se précipite dans les bois.»
Contrôlant le panier d'un champignonneur de Chexbres, Pierre-Alain Leresche l'avertit gentiment: malgré les quelques champignons trop vieux ou véreux éliminés, la cueillette fait «plus de deux kilos, la limite journalière autorisée dans le canton de Vaud». Il risque donc une amende. Le responsable qui assure les permanences le lundi matin, le mardi après-midi et le mercredi matin, rappelle que le site de l'Association suisse des organes officiels de contrôle des champignons (Vapko) répertorie l'ensemble des contrôleurs et leurs horaires.
Tradition fragilisée
L'association fête d'ailleurs ses 100 ans ce week-end à Lyss (BE). Mais l'heure n'est pas qu'à la célébration: en vingt-cinq ans, près d'un tiers des postes de contrôle ont disparu en Suisse. Dans plusieurs cantons, l'obligation de contrôle a même été supprimée.
«La Suisse est le seul pays au monde à offrir ce service que beaucoup nous envient. Et pourtant, la Confédération est en train de l'abandonner, pour des raisons budgétaires, comme elle le fait avec le centre antipoison Tox Info (145)», s'inquiète Pierre-Alain Leresche. Une pétition demande désormais au Parlement le rétablissement obligatoire des bureaux de contrôle dans tous les cantons. Près de 3000 signatures ont déjà été recueillies.
Intoxications toujours nombreuses
Et de rappeler l'importance de ce contrôle: si 45 tonnes ont été contrôlées l'an dernier en Suisse, quelque 750 cas (personnes ou familles entières) d'intoxication ont été recensés.
«Les champignons, c'est traître et les erreurs peuvent être fatales. Un empoisonnement à l'amanite phalloïde est fatal et, si la personne peut être sauvée, c'est vite un million de francs de frais médicaux», rappelle Pierre-Alain Leresche, qui intervient aussi auprès des hôpitaux. Il tord au passage le cou à une idée reçue: «Contrairement à sa réputation, la célèbre amanite rouge à pois blancs n'est pas mortelle. Sa cousine blanche, l'amanite printanière, l'est en revanche».
Oublier les applications
Pierre-Alain Leresche rappelle qu'en Suisse, quelque 8000 espèces de champignons sont recensées. Parmi elles, 70 sont hautement toxiques et une dizaine mortelles. La liste officielle des comestibles validée par la Vapko en compte 150. Pour lui, on peut «oublier les applications mobiles censées reconnaître les espèces. Elles se trompent dans 80% des cas».
Lorsqu'un doute subsiste, le contrôleur goûte parfois un petit morceau, qu'il recrache immédiatement: «Deux champignons qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau peuvent avoir l'un un goût de champignon, l'autre de farine, à l'instar de certaines galères, explique-t-il. Et de conclure par les recommandations d'usage: «Ne pas consommer de champignons plus d'une fois par semaine, toujours bien cuits et surtout contrôlés».