La chatte n'a plus mal au pied
A quel prix la Suisse a-t-elle obtenu la grâce de Trump?

En acceptant qu'il soit interdit de dégager un excédent commercial face aux Etats-Unis, la délégation de Guy Parmelin doit sacrifier la vision libérale de la Suisse et adopter la doctrine de l'administration Trump. Avec cette concession, rien ne pouvait aller bien mal.
Publié: 18:14 heures
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Dernière mise à jour: 18:40 heures
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Pour Guy Parmelin, adopter la vision de Trump était le seul moyen pour que «la chatte n'ait plus mal au pied».
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste Blick

«On a pu soigner les pieds du chat, mais il n'est pas encore guéri.» Par cette boutade, Guy Parmelin a clôturé la conférence de presse de ce vendredi 14 novembre sur l'accord des droits de douane. Alors que le psychodrame douanier prend fin ce vendredi, le ministre de l'Economie peut bel et bien dire qu'il a trouvé «où c'est que la chatte elle avait mal au pied», selon son expression du 7 août dernier. 

Mais à un prix élevé pour la Suisse, dont l'économie ne sort pas indemne de cette épreuve. Washington aura imposé son paradigme protectionniste, multiplié les pressions, et mis fin à une longue ère du libre-échange. Notre analyse du coût de cette séquence pour la Suisse, en quatre points.

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Des concessions par dizaines de milliards

C'est d'abord en bonne partie grâce à ce que Blick a appelé «la diplomatie de la Rolex» que les portes de Washington se sont rouvertes au Conseil fédéral, jusque-là en disgrâce. Des fleurons suisses du luxe, de la finance et des matières premières ont rencontré de Donald Trump, offert des cadeaux de grande valeur et promis de soigner ce marché de façon prioritaire. A l'arrivée, ces contraintes les lieront encore longtemps au marché américain, pour des raisons plus politiques qu'économiques. 

En parallèle, les pharmas suisses ont mené des négociations plus discrètes, mais décisives. Pour le secteur pharma, c'est au prix de projets d'investissements s'élevant à plus de 70 milliards de dollars pour les seules Roche et Novartis, et de la création de près de 20'000 emplois, qu'une taxation prohibitive aura été évitée. D'autant moins de ressources consacrées au marché suisse et aux emplois sur sol helvétique. Et un risque sérieux de délocalisations futures, hors de Bâle.

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Un franc suisse forcé à s'apprécier

Ensuite, les entreprises suisses ont dû encaisser, en même temps que trois mois et demi de droits de 39%, la hausse du franc suisse contre le dollar. Ce dernier s'est apprécié de 10% ces 12 derniers mois, en raison des pressions exercées par Washington. La Banque nationale suisse (BNS) s'est vue accusée, au printemps dernier encore, de manipuler le franc en le dévaluant. Cela a entraîné un renchérissement de 10% des produits helvétiques pour les acheteurs en dollars.

En théorie, la BNS a le droit d’intervenir sur les marchés pour affaiblir sa propre monnaie. Mais dans ce cas, la Suisse a dû s'engager auprès de Washington à cesser d'affaiblir le franc. Une convention de non-manipulation des monnaies a été conclue entre les deux pays en septembre. En réalité, la Réserve fédérale américaine (Fed) a mené des politiques très dévaluatrices du dollar depuis de longues années: l'effet dépréciatif sur le dollar des programmes d’achats massifs d’actifs (quantitative easing, ndlr: QE) a été maintes fois démontré. Et les exigences en matière monétaire sont, comme dans le commerce, unilatérales.

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Une adoption de la doctrine de Trump sur les excédents

Mais le véritable prix qu'a payé Berne pour arriver à un accord douanier à 15%, c'est aussi l'adoption, incontestée cette fois, du point de vue américain par la Suisse. Selon l'administration Trump, dégager des excédents commerciaux face aux Etats-Unis pose problème, et relève de pratiques nécessairement déloyales. Ce lexique foncièrement protectionniste était resté étranger à la Suisse, pays de tradition libérale. 

Une citation d'un haut responsable américain dans les médias ce 14 novembre le résume bien: «Les Etats-Unis importent plus de produits helvétiques qu'ils n'exportent vers la Suisse. Les Suisses sont très conscients de la nécessité de réduire les déséquilibres commerciaux. Ils ont proposé un plan pour remédier à cela», a déclaré cette source, suggérant que «remédier au problème» entraîne la réduction des droits frappant la Suisse.

En adoptant la nouvelle doctrine promue par Donald Trump, la Suisse rompt avec des décennies de libre-échange. Désormais, il n'est plus acceptable qu'un pays dégage un excédent commercial contre Etats-Unis. Ce n'est plus lié à la compétitivité des produits, comme le monde développé l'a toujours considéré jusque-là, mais à des «tricheries». Le pays en question doit donc rapidement faire en sorte de devenir moins compétitif afin de faire pencher la balance commerciale en faveur de Washington. 

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Basculement en régime ouvertement protectionniste

Depuis des décennies, les différentes administrations américaines ont milité pour le libre-échange et la baisse des barrières commerciales. Durant ces années, un excédent n'a jamais été autre chose que le résultat de l'offre et de la demande. 

Dans un discours de septembre 1985, le président républicain Ronald Reagan avait souligné que la politique commerciale américaine reposait sur «les marchés libres et ouverts — le libre-échange», et que «plus le commerce est libre, plus le progrès humain est fort».Jusque dans les années 1990, des pays comme la Chine étaient encore accusés de protectionnisme pour ne pas avoir joué le jeu du libre-échange. 

L'attachement occidental au libre-échange explique aussi pourquoi la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter avait rechigné à acquiescer à la présentation des faits par Donald Trump, qui considérait un excédent commercial comme du «vol». Cela contredisait tout ce qu'avaient promu les Etats-Unis. Et revenait, pour la Suisse, à faire une concession unilatérale. Désormais, pour Guy Parmelin, cette concession s'avère être le seul moyen pour que «la chatte n'ait plus mal au pied», même si elle mettra du temps à guérir complètement.

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