«Leur arrogance est indigne»
Un ex-étudiant dénonce les méthodes «douteuses» de l'école des avocats genevois

A Genève, l'école d’avocature (ECAV) est un passage obligé pour celles et ceux qui souhaitent obtenir leur brevet. Ce mercredi, un ancien étudiant dénonce un système autoritaire où toute remise en question est étouffée. Contactée, l'institution réfute ces accusations.
Publié: 05:13 heures
|
Dernière mise à jour: 08:29 heures
Partager
Écouter
1/4
L’Ecole d’avocature (ECAV) est une institution rattachée à la Faculté de droit de l'Université de Genève. (Image d'archive)
Photo: KEYSTONE
DIMITRI_FACE.jpg
Dimitri FaravelJournaliste Blick

En tant qu'avocat en herbe, comme tous les autres à Genève, Baptiste Gold a dû passer par l’Ecole d’avocature (ECAV). Une institution rattachée à la Faculté de droit de l'Université de Genève. Même s'il est venu au bout de sa formation en 2023, il garde une dent particulièrement acérée contre son ancienne école.

Le 11 avril 2025, le jeune homme, aujourd'hui juriste de profession, profite d'une occasion pour régler ses comptes. Ce jour-là, le Grand Conseil de Genève décide de classer la pétition qu'il a participé à lancer. Celle-ci demandait la création d’un master en professions judiciaires dans le canton.

L’Association pour les Professions Juridiques et Judiciaires (AP2J), dont Baptiste Gold est le président, publie alors un communiqué de presse cinglant. Ils accusent ouvertement l'ECAV d'avoir influencé cette décision afin de verrouiller le projet et de garder ainsi la mainmise sur la formation des jeunes avocats.

Conflit d'intérêts?

Car la décision politique s’appuie sur les déclarations du Conseil d’Etat, de l’Ordre des avocats et de... l’Ecole d'avocature. Ces derniers évoquent notamment un projet au coût budgétaire trop élevé et un potentiel renforcement de la théorie au détriment de la pratique pour les étudiants.

Instaurée en 2011, cette école est une institution du canton de Genève: tout étudiant qui souhaite accéder au stage d’avocat, et ainsi obtenir son brevet, doit passer par elle. Or, selon la loi fédérale sur les avocats (LLCA), le stage devrait être accessible dès l’obtention du Bachelor, sans aucune formation supplémentaire. La création d'un master en professions judiciaires aurait donc permis d’intégrer les cours de l’ECAV dans le cursus universitaire classique. Ce qui, selon l'ancien étudiant, est le pire cauchemar de cette école.

David contre Goliath

Ce n'est pas la première fois que l'ECAV essuie de violentes critiques sur son fonctionnement. Mais aujourd'hui, Baptiste Gold va plus loin. Avec l'appui de différents documents judiciaires, auxquels Blick a pu avoir accès, il dénonce tout ce qui, selon lui, ne fonctionne pas dans cette école: atteinte directe au droit à l’information, verrouillage du débat, manquements pédagogiques, tout y passe.

Ce qui ressort particulièrement, c'est «l'absence de transparence de l'école». «Jusqu'à la fin de notre cursus, nous ne savons pas où va notre argent, explique Baptiste Gold à Blick. Comparée à d'autres formations de l'Université de Genève, l'ECAV est chère: 3'500 francs au total pour une formation qui ne dure que six mois. Sans compter l'achat des livres qui sont recommandés pour les cours. Quand on demande à quoi servent ces dépenses, nous n'obtenons aucune réponse. Pire, nous sommes regardés de travers pour avoir été trop curieux.»

«
A chaque fois, c'est la même rengaine: nos interrogations sont balayées d'un revers de la main
Baptiste Gold, président de l'AP2J
»

En farfouillant dans les dossiers de l'ECAV, il s'est aussi rendu compte que l'institut engendre environ six fois plus de litiges que la Faculté de droit. Et 4,5 fois plus que la moyenne des autres facultés de l'Université de Genève. Depuis sa création, près de 100'000 francs ont été consacrés aux frais juridiques, notamment pour faire face aux différents recours déposés par les étudiants qui contestent la décision de leur échec définitif du cursus. Sur cette somme, 35% ont été financés par le Département de l'instruction publique (DIP).

En 2023, la Cour des comptes a même lancé une enquête pour «détournement de fonds». Aucun document antérieur à 2021 ne lui a été transmis par l'établissement, alors que c’est précisément cette année-là que les dépenses liées à une soixantaine d’intervenants externes, principalement des avocats, apparaissent pour la première fois au budget. «A chaque fois, c'est la même rengaine, déplore Baptiste Gold. Nos interrogations sont balayées d'un revers de la main. Leur arrogance est indigne de personnes censées nous accompagner dans notre formation.»

L'ECAV nie en bloc

Malgré plusieurs mois de combat acharné, l'objectif de Baptiste Gold n'a pas encore été atteint: ses recours déposés devant la Cour de justice pour mettre en lumière les dysfonctionnements de l'ECAV ont été rejetés. Il compte à présent porter l'affaire devant le Tribunal fédéral.

Du côté de l'école, Yvan Jeanneret, président du Conseil de direction, rejette toutes ses accusations. «Ce qu'il dit est faux! Depuis plus d'un an, Monsieur Baptiste Gold mène une sorte de croisade, en portant des attaques incessantes contre notre école.»

En ce qui concerne ses litiges, l'ECAV déclare qu'elle n'est pas responsable des démarches qu'entament leurs étudiants à son encontre. Et par rapport à l'enquête de la Cour des comptes, Yvan Jeanneret l'affirme: «Nous leur avons fourni tous les documents qu'ils nous ont demandés. Ils ont constaté que tout était en ordre et sont repartis!»

Le mot d'ordre? «Démerdez-vous!»

Baptiste Gold ne serait donc qu'un avocat raté qui cherche aujourd'hui à se présenter comme le grand adversaire d'une institution qui l'a «dégoûté du métier»? Sa frustration est pourtant loin d'être isolée. Contactés par Blick, plusieurs autres étudiants témoignent de ce climat autoritaire.

Après avoir décroché un Bachelor et un Master en droit, Lucien*, s'est inscrit à l'ECAV pour obtenir son brevet d'avocat. Il y étudie toujours à l'heure actuelle. En plus de soutenir les accusations de l’AP2J, il met en avant un autre problème. «On nous vend cette formation comme très axée sur la pratique, se démarquant ainsi du Bachelor, confie l'étudiant. Le jour de la rentrée, l'ECAV nous assure que sa mission est de nous préparer à ce que nous allons rencontrer plus tard sur le terrain. Mais c'est faux. Dans cette école, la théorie domine amplement la pratique. Seule une poignée de cours se démarquent.»

Et de poursuivre: «Même lorsque le dispositif s'y prêterait, les intervenants nous disent 'Impossible, vous êtes 330 étudiants, c'est beaucoup trop pour que nous puissions interagir.' L'un d'entre eux nous a même interdit de poser des questions. Le mot d'ordre était 'démerdez-vous!'»

Là aussi, la négociation avec le corps enseignant est impossible selon l'étudiant. Plus que de simples maladresses pédagogiques, c'est la mission première de l'école que Lucien remet en question. «Lorsqu'on sait qu'environ 60 étudiants se retrouvent chaque année en échec définitif, nous sommes aujourd'hui plusieurs à nous demander si l'objectif réel de l’ECAV ne serait pas, en fin de compte, de 'filtrer' les étudiants plutôt que de les accompagner vers la réussite, quitte à employer des méthodes douteuses.»

*Prénom modifié 

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la