C’est son moment: Lionel Dugerdil est devenu, depuis le 26 mai, le candidat de l’UDC au Conseil d’Etat genevois. Et, par alliance, celui du PLR aussi. Pour le producteur et animateur Pascal Décaillet, «il y a quelque chose de l’ordre d’un grand tournant avec cette candidature: cette droite n’a jamais été représentée au Conseil d’Etat».
Le journaliste de Léman Bleu, qui a vu passer tous les politiques du canton sur son plateau depuis des décennies, y voit «une chance historique pour la droite d’avoir, à côté des libéraux déjà nombreux, une droite non libérale et plus protectionniste.» Lionel Dugerdil défend en effet la production indigène suisse, qui décline (vins, lait, pommes de terre...) au profit des importations en provenance de l'UE.
Céline Amaudruz pas intéressée
Mais où est Céline Amaudruz, initialement citée parmi les papables? On murmure que la vice-présidente de l’UDC suisse n’était pas intéressée: la conseillère nationale, qui vient d’avoir un deuxième enfant avec son époux, l’UDC Michael Andersen, viserait en effet le Conseil fédéral. La banquière, qui est managing director chez Reyl & Cie, incarne l’aile plus libérale de l’UDC, un courant jugé en adéquation avec ses ambitions bernoises.
De son côté, Lionel Dugerdil incarne une vision plus populaire et agrarienne, qui a l’avantage d’être très ancrée dans le canton. La voie est donc libre pour le viticulteur de 43 ans, qui briguera le 28 septembre, face au Vert Nicolas Walder, le siège laissé vide le 7 mai par Antonio Hodgers.
Un paysan bio
L’espoir de Lionel Dugerdil: rallier la droite derrière lui, et ratisser des voix au Centre, un parti qui en principe le juge trop à droite. «Je pense que je suis capable de rallier pas mal de gens au Centre, notamment ce Centre agrarien, agricole, et les députés soutiennent largement ma candidature», dit-il à Pascal Décaillet sur le plateau de Léman Bleu ce 27 mai.
Face à Lionel Dugerdil, le Vert Nicolas Walder va mobiliser une gauche unifiée. «Il faut souligner que Dugerdil est un paysan bio, note Guy Mettan, député UDC à Genève, ce n’est pas un anti-écolo forcené, ni un pollueur, ce qui constituera une bonne carte pour lui dans ce duel.» Le Genevois qui, avec son épouse, gère le Domaine du Clos du Château à Satigny, était en effet le plus gros acteur de vin bio en vrac au niveau suisse, mais a raconté que les grandes surfaces telles que Coop lui ont préféré des vins étrangers, car moins chers.
Enfin, reste à savoir à quel point le PLR le soutiendra. Une source sème le doute: «On a l’impression que le PLR s’efface? C’est une lecture possible. L’autre, c’est qu’ils savent qu’il va se casser la figure, et qu’ils en seront ainsi débarrassés.»
«Un peu de tempérament»
Bien entendu, les langues se délient à 4 mois de la campagne. Notamment sur les frasques du vigneron, dont les démêlés judiciaires ont défrayé la chronique lorsqu’il a frappé un cambrioleur et un promeneur. Ses supporters lui pardonnent volontiers ces écarts.
«S’il donne des coups de fourche, c’est seulement aux voleurs», lance Yves Nidegger, chef du groupe UDC au Grand Conseil. «Certes, il donne l’impression d’avoir la bagarre assez facile, mais si on y réfléchit, il n’est pas inutile d’avoir un candidat avec un peu de tempérament. Cela nous change des fonctionnaires», toise Pascal Décaillet.
Une gouverance scrutée
Lionel Dugerdil a purgé les deux condamnations pénales qu’il a essuyées. «Aujourd’hui, ces affaires sont connues et traitées et son dossier est vierge, assure Alexandre Chevalier, qui co-préside ad interim l’UDC Genève, pendant que le candidat mène campagne. Nous sommes d’autant plus clean et exigeants avec nous-mêmes que nous savons que nous sommes scrutés de près.»
D’après les informations de Blick, Lionel Dugerdil a transféré la caisse du parti à l’agence bancaire Raiffeisen de Satigny, dirigée par son frère, le député Florian Dugerdil. «L’explication est que les conditions des banques précédentes ne nous convenaient pas, ni en termes de service ni en termes de frais, répond Alexandre Chevalier. Nous avons comparé les offres, et trouvé les meilleures conditions chez Raiffeisen. Je précise que ce n’est pas le frère de M. Dugerdil qui est le gestionnaire du compte.»
Un UDC moins clivant
Pour Yves Nidegger, Lionel Dugerdil pourrait réussir là où lui-même a échoué. «Il est la meilleure opportunité que le parti ait eue jusqu’ici, car il ne clive pas. Contrairement à moi, c’est d’abord un pragmatique, pas un idéologue.»
Yves Nidegger en sait quelque chose. Candidat de l’Entente à l’élection à la Cour des comptes en 2011, l’aile radicale du PLR lui avait préféré la gauche. «Dix ans plus tard, nous sommes dans une même configuration sauf que Lionel Dugerdil, plus rassembleur, a derrière lui les paysans dont il est le candidat naturel.»
D’après lui, certains sont critiques de ce que laisse derrière lui le Vert Antonio Hodgers au Département du territoire. «Certains PDC (ndlr: aujourd'hui Le Centre) et PLR aussi disent «tout sauf un Vert». Les augures sont donc meilleurs que jamais.»
"Pas besoin d'un script"
Une voix critique au sein du cénacle se dit dérangée par ce côté justement peu idéologue et peu intellectuel du candidat, qui, même comparé à Guy Parmelin, «n’aurait pas la même intelligence politique». Cette source nous assure qu’Yves Nidegger est son éminence grise, qui lui prépare certains de ses textes.
«M. Dugerdil n’a besoin de personne pour lui souffler ses idées, conteste Yves Nidegger. Je suis depuis de nombreuses années un peu l’idéologue de la section genevoise, et ce n’est pas particulier à M. Dugerdil, qui n’a pas besoin d’un script pour parler comme les speakerines météo». Au contraire, «Lionel Dugerdil vient aux débats TV hyper préparé, témoigne Pascal Décaillet. Avec Cyril Aellen, c’est celui qui prépare le mieux ses débats».
Ancré dans le tissu local
Pour un observateur averti, «nous vivons une offensive agrarienne. C’est quand même le premier lobby avec les locataires en Suisse. A Genève, cela représente un soutien de base non négligeable. Lionel Dugerdil jouit d’une popularité chez de nombreux petits entrepreneurs et paysans, qui vont se mobiliser pour voter pour lui.»
Une des forces reconnues du candidat UDC est en effet son réseau. Impliqué dans de nombreuses associations du monde rural, il peut compter sur des soutiens dont l’UDC ne disposait pas autant quand Céline Amaudruz présidait le parti. Il est perçu comme un homme d’équipe, ayant un mode d’action plus collectif et populaire que Céline Amaudruz, perçue comme plus individualiste.
Etre plus qu'un lobbyiste
«Nous avons ancré le parti localement à travers de nombreuses sections et associations dans les communes, souligne Alexandre Chevalier. Une dynamique que n’avait pas suffisamment l’UDC sur le terrain et dans les territoires.» Dans le milieu agrarien et celui des PME et des PMI, «il existe une vraie volonté de voir quelqu’un de ce milieu au gouvernement, ajoute le président du parti par interim. Mais il doit être beaucoup plus qu’un lobbyiste, et avoir une vision d’ensemble.»
Cela suffira-t-il? «Le Centre fait 8% aux communales et ils ont un Conseiller d’Etat, note Guy Mettan. L’UDC fait 12%. Il est donc très légitime d’avoir un UDC au gouvernement, mais il y a un programme commun avec le PLR et le Centre dans le cadre de l’Entente. Cela tombe bien, Dugerdil est capable d’être collégial.»