Polémiques, départs, défaites
Derrière les multiples affaires, la fin de l’idéal vert?

Le parti écologiste souffre d’une perte de popularité et d’image. Au-delà du déficit d’exemplarité, on reproche au mouvement sa déconnexion des besoins des classes populaires et rurales, son côté pro-européen et pro-militariste, ou encore son radicalisme décroissant.
Publié: 08.05.2025 à 06:32 heures
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Dernière mise à jour: 08.05.2025 à 12:54 heures
Le mouvement est perçu comme peu connecté aux besoins économiques des classes moyennes.
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste Blick

Rien ne va plus chez les Vert-e-s. Le mouvement en perte de popularité, entaché par une série d’affaires en Suisse romande, a-t-il encore un avenir? Cette série d’affaires est-elle le vernis qui craquelle d’une cause trop lourde à porter, qui affronte trop de vents contraires? 

Les adieux de Hodgers

Ce mercredi 7 mai, le parti des Vert-e-s a vu démissionner l’un de ses piliers genevois, Antonio Hodgers, qui met fin à sa carrière d’élu. Démotivé depuis quelques temps par la vie politique, ayant eu le sentiment de «nager à contre-courant», le Conseiller d’Etat a révélé au Temps avoir vécu une perte de sens, en l’absence d’un «récit collectif» et d’un «désir d’avenir» pour Genève. 

Si les Vert-e-s se montrent malgré tout confiants de repourvoir ce siège, le constat, au niveau cantonal et fédéral, est morose. Le Parti écologiste suisse n’a obtenu que 9,8 % des voix en octobre 2023 à Berne, contre 13,2% en 2019, et a perdu 5 sièges au Conseil national. 

Au Conseil des Etats, une autre grande figure du parti, Liza Mazzone, n’a pas été réélue. Signe que le vent avait tourné depuis #MeToo, sa remarque sur le fait qu’elle a été remplacée à Berne par «deux hommes blancs de plus de 60 ans» n’a pas suscité grand émoi, lui attirant même certaines critiques. Tout comme son comeback en tant que présidente du parti des Vert-e-s, cinq mois après avoir annoncé son retrait définitif de la politique.

Paradoxe du militant

Malgré le recul des Vert-e-s dans de nombreux cantons, une percée à Neuchâtel a ranimé l’espoir ce printemps: Céline Vara a pu se faire élire en mars 2025 au Conseil d'Etat, ressuscitant le parti pour la première fois depuis 2009. 

Deux mois plus tard pourtant, l’affaire des vacances de Céline Vara à Oman a défrayé la chronique, montrant la difficulté pour les politiques verts de mener une vie d’exemplarité qui corresponde à leurs principes exigeants.

Mais le malaise chez les Vert-e-s s’était illustré encore davantage, il y a deux ans à Genève, lors de l’affaire Fischer, quand l’ex-ministre verte s’est trouvée accusée de népotisme, de conflits d'intérêt, et de subvention déguisée en mandat. De même, il y a un an, le scandale des embauches lié à l'affaire Perler éclaboussait le parti, la conseillère administrative (Ville) se voyant accusée de copinage et d’utilisation de fausses adresses. 

«C'est peut-être la fin de l'idéalisme des Vert-e-s en Europe, mais pas des réalités des Vert-e-s, malheureusement, réagit Knut Haanaes, professeur en durabilité à l'IMD à Lausanne, face à la perte de popularité de ces mouvements. Je veux dire par là que nous devrons traiter la question climatique que nous le voulions ou non, et que cela devra se refléter dans les priorités politiques. Si cela ne se fait pas de manière préventive, ce sera de manière réactive, mais cela devra se faire.»

Vert olive

La crise de la question verte se pose bien au-delà de la Suisse, le mouvement se voyant critiqué en Europe pour son refus du nucléaire, pour sa vision trop radicale de la décroissance, ou encore pour son alignement avec le camp des va-t’en guerre.

«Au niveau européen, les Verts se sont trop souvent mués en Verts olive, avec une position militariste. L’aspect écologique est passé au second plan», commente Marc Chesney, professeur fraichement retraité de l’Université de Zurich, où il a fondé le Centre de compétence en finance durable. 

Vert caviar

Mais c’est sa déconnexion partielle avec les classes moyennes qui est une des causes de déclin de ce parti, selon Marc Chesney. «Une erreur des Vert-e-s a été de ne pas mettre en avant la question des émissions carbone des super-riches», dit-il. 

«La possession d’un yacht et d’un jet privé implique des émissions de l’ordre de 10'000 tonnes d’équivalent CO2 par an, alors qu’un habitant suisse en émet de l’ordre de 5 à 10 sur la même période, explique Marc Chesney. Il ne faut pas se tromper de priorité si l’on veut arriver à terme à 1-2 tonnes par an pour converger avec les accords de Paris. C’est ainsi que les Vert-e-s ont perdu la classe moyenne. La protection de la nature ne peut aboutir sans intégrer les questions sociales.»

Quelle croissance?

Outre la question du pouvoir d’achat, devenue prioritaire avec les crises du Covid et la guerre en Ukraine, la question de la décroissance n'a pas pris en pratique, en raison de sa radicalité. «Il ne faut pas forcément défendre la décroissance, répond Marc Chesney, mais il faut des définitions plus précises de ce qui doit croître et se développer, comme par exemple les domaines de la santé et de l'éducation. Par ailleurs, il faut identifier ce qui doit être réduit, comme les activités qui portent atteinte à la nature, qui polluent.»

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«La cause de l’environnement est cyclique, elle évolue au gré des catastrophes nucléaires et climatiques»
François Marthaler, ancien conseiller vaudois écologiste
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La chute de popularité du mouvement ne doit pas décourager les bonnes volontés, estime le Vert François Marthaler, ancien conseiller d’Etat vaudois: «La cause de l’environnement est cyclique, elle évolue au gré des catastrophes nucléaires et climatiques». Mais le socle reste solide, selon lui: «Il y a 20 ans, on disait que l’objectif serait atteint le jour où on n’aurait plus besoin des Vert-e-s. Or il y a encore de nombreux combats à mener, notamment autour du concept de durabilité.»

Nécessité des Vert-e-s

Nombre d’observateurs estiment que ce concept est désormais à l’agenda de tous les partis, et que les Vert-e-s ont perdu le monopole de la question verte. François Marthaler ne le pense pas: «Ces combats ne seront pas repris par les autres partis. Il suffit d’examiner les votes au Parlement.» Certes, admet-il, les socialistes sont en phase avec le concept de durabilité, «mais c’est peut-être moins le cas pour ce qui concerne les technologies ouvertes, principal levier d’une transition écologique». 

Pour l’ancien magistrat, «il est donc nécessaire que les Vert-e-s restent à l’offensive. L’économie circulaire, c’est un sacré défi. Qui va le porter? Serons-nous suivis par la population? Quand on s’est lancés, on ne s’est pas posé ce genre de questions.» 

Un sympathisant des Vert-e-s, devenu critique depuis quelques années, estime qu'ils «ont dilué leur cause dans d’autres causes, comme celle des minorités». Et ce, au moment où la question des inégalités économiques revenait sur le devant de la scène. 

«Quand on ne sait plus comment se soigner, se nourrir et qu’on a peur de la guerre, la question environnementale passe au second plan et on s’intéresse aux rapports économiques et aux rapports de pouvoir, et le mouvement écologiste n’a rien à dire là-dessus.» 

Paysans et pacifistes déçus

Il estime que le parti s’est mis à dos les classes populaires, ainsi que toute la ruralité. Mais aussi les pacifistes – comme lui – qui ne s’y retrouvent plus. 

«Les Verts en Europe sont désormais les premiers va-t’en guerre, alors que l’industrie de la guerre est la plus polluante de toutes». En outre, la position pro-européenne des Vert-e-s déplaît à certains écologistes aspirant à un développement plus local. 

Un parti devenu illisible

«Bref, conclut notre interlocuteur revenu des Vert-e-s, ils sont dans tous les mauvais coups de la gauche». Pourtant, se remémore-t-il, la question des inégalités économiques était centrale pour les premiers partis écologistes européens, qui aspiraient aussi à sortir de l’Otan, et tenaient un discours pacifiste, de démilitarisation. «Aujourd’hui, regrette-t-il, ce parti est devenu illisible.»

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