Le jour où tout a basculé
«Marvin est différent, mais c’est toujours un grand frère génial»

La vie de la famille Bailly a changé du tout au tout il y a six ans, lorsque leur fils Marvin est tombé d’un tracteur. Alors qu'il progresse de jour en jour depuis ce terrible accident, la famille tente d’avancer, notamment avec un grand événement, ce 21 et 22 juin.
Publié: 06:01 heures
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Kevan participe ici aux 10 kilomètres de Lausanne avec son grand frère Marvin, bouclés en 1h06.
Photo: Blaise Kormann
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

«C’était le samedi de Pâques. Une journée agréable. Il faisait beau.» Jamais Sylvianne Bailly n’oubliera un seul détail de ce 20 avril 2019, le jour où la vie de cette famille paisible et aimante du Gros-de-Vaud a changé pour toujours. Sébastien, le père, est viticulteur-œnologue. Sylvianne est employée de commerce et, ensemble, le couple profite de ce samedi ensoleillé pour travailler autour de la maison, où il y a toujours quelque chose à faire. Leurs trois fils sont «par là», comme on dit, mais Marvin, l’aîné, alors âgé de 17 ans, a une activité sympa avec la Jeunesse de Bottens: la chasse aux œufs.

L’occasion de retrouver les copains, de boire un verre ou deux, de vivre sa vie d’ado. Ses petits frères Kevan et Yorrick sont trop jeunes pour être avec lui. «J’étais tranquille pour Marvin, c’était au village», explique Sylvianne, qui se revendique d’une éducation plutôt stricte pour ses trois fils. Le couple va alors manger chez des amis le soir et, en rentrant, aperçoit des voitures de police. 

«Je me dis tout de suite qu’il a dû se passer quelque chose...» dit la maman. Son mari lui répond que ce n’est sans doute rien. «Je ne dis plus jamais cette phrase maintenant», glisse-t-il. Un temps. Il reprend. «Ces lumières bleues ont assombri notre vie pour toujours.»

L'accident qui bouleverse tout

Au sol gît leur fils aîné, tombé du tracteur de la Jeunesse. Le choc est violent. L’incompréhension totale. «C’est impossible de se préparer à ça.» Le pronostic vital de Marvin est immédiatement engagé et il le restera pendant près d’une année. 

Rapidement, la solidarité s’organise autour de la famille. «Les premiers jours, on ne pouvait pas ouvrir notre porte sans qu’il y ait un repas préparé pour nous derrière. Et dès qu’on avait besoin de quelque chose pour Kevan et Yorrick, comme tout simplement les emmener à l’école, il suffisait d’un téléphone, au maximum deux.» 

«
Sa force, c’est son regard. C’est comme ça qu’il séduit tout le monde
Sylvianne Bailly, maman de Marvin
»

La vie de la famille est bouleversée, l’inquiétude permanente. Et, après de très longs mois, arrive la certitude que Marvin vivra. Mais qu’il ne sera plus jamais le même. Aujourd’hui, six ans après l’accident, Marvin vit à Plein-Soleil, au-dessus de Lausanne. «C’est son nouveau chez-lui. Il connaît tout le monde», expliquent Sylvianne et Sébastien, qui rendent visite à leur fils deux fois par semaine en moyenne. 

«Et entre ses grands-parents, ses frères, la famille, les amis, c’est très rare qu’il ne voie personne une journée. En tout cas jamais deux de suite.» Marvin a 23 ans, mange et boit avec une sonde et communique avec une tablette, laquelle lui permet de s’exprimer. 

Et le jeune homme est taquin. A la question «Comment te sens-tu aujourd’hui?», le garçon répond en appuyant sur «Au revoir», comme pour signifier que l’entretien est terminé, avant d’éclater de rire, l’œil brillant. «Sa force, c’est son regard. C’est avec lui qu’il séduit tout le monde», sourit Sylvianne. 

Les moments de complicité entre Marvin et sa maman Sylvianne sont innombrables.
Photo: Blaise Kormann

Assis à côté de Marvin, Kevan cherche constamment le contact et le trouve facilement. «C’est mon grand frère et il le sera toujours. On était très soudés, Marvin, Yorrick et moi, on s’entendait très bien. Aujourd’hui, Marvin est différent de la personne qu’il était avant, mais c’est toujours un grand frère génial», explique celui qui suit actuellement une formation de plâtrier.

D'énormes progrès

Marvin, lui, se trouvait en deuxième année d’apprentissage en ébénisterie lorsqu’il est tombé de ce foutu tracteur. Depuis, la fratrie doit avancer, les parents aussi. Pas le choix. Les coups de blues sont fréquents et Kevan, lui, est allé jusqu’à la dépression. 

«Mes parents ont géré la situation du mieux qu’ils le pouvaient et ils ont été admirables. Je n’ai pas souffert d’un manque d’attention de leur part, bien au contraire. C’était normal qu’ils soient concentrés sur Marvin. A un moment, j’avais surtout envie qu’ils ne s’intéressent plus à moi», glisse le jeune homme, qui a surmonté ses tourments. «Il y a eu une période où je ne trouvais plus de sens à tout ça. J’avais besoin d’en passer par là pour, aujourd’hui, être pleinement convaincu que cela vaut la peine de continuer.»

De son côté, Sébastien a continué son travail dans les vignes, mais s’est découvert une vocation, malheureusement forcée, de neurologue. «J’ai dû lire 10'000 pages sur le cerveau. Je voulais tout comprendre, savoir ce qui se jouait dans la tête de mon fils. Quelquefois, ça étonne les médecins quand je sors devant eux une expression de spécialiste, mais c’était indispensable pour moi. Ça me permet aussi de pouvoir comprendre leurs explications et quelquefois aussi de les relancer, de leur demander une précision.» 

Et, surtout, de pousser l’entier du corps médical et des assurances à continuer la lutte pour permettre à Marvin de progresser, toujours plus. «Oui, bien sûr, c’est un enjeu énorme. Quand je vois où en est Marvin par rapport au début, on ne peut tout simplement pas lâcher.» 

Jusqu’où son fils peut-il aller dans son processus de récupération de ses facultés? «Personne ne peut le dire. S’il reste comme il est aujourd’hui, nous l’accepterons. Mais il évolue.» Aujourd’hui, Marvin peut jouer au Uno, élaborer une stratégie et gagner la partie. «Il adore mettre des +4!»

Un quotidien très lourd

En entendant ces mots, Marvin rigole, capte l’attention. «On a l’impression qu’il est là avec nous à 100%. Et des fois, c’est plus compliqué… On peut communiquer avec lui, mais pas de manière fiable et continue, c’est vraiment le problème», explique sa maman, qui ne se décourage pas et prend chaque progrès de son fils comme une victoire sur la vie. 

«Peut-être même qu’un jour il pourra revenir à la maison, qui sait… On a passé quatre jours de vacances à Lucerne tous ensemble, pour voir.» Le verdict? «C’est tout simplement trop lourd au quotidien. J’ai mal vécu l’après, car j’aurais aimé qu’il reste avec nous. J’aimerais qu’il soit là tout le temps, mais la réalité, c’est qu’aujourd’hui c’est impossible.»

Marvin en pleine séance de rééducation physique.
Photo: Blaise Kormann

Sébastien, Sylvianne, Kevan et Yorrick doivent donc avancer, s’accrocher et vivre leur vie du mieux qu’ils le peuvent. «Le monde du handicap est angoissant, sombre, mais peut aussi être joyeux et merveilleux», souffle le papa. En face de lui, Marvin rigole. Il a l’air heureux. Sylvianne sourit, lui prend la main. Marvin regarde sa maman, l’œil brillant. Pas un bruit ne vient troubler ce moment de quiétude. Pas besoin. C’est l’amour d’une mère qui se fait entendre.

«Le système suisse a du bon et du moins bon»

En découvrant le monde du handicap du jour au lendemain, la famille Bailly s’est retrouvée plongée dans les méandres de l’administration et du système de santé suisse. «Ce que je peux dire, c’est qu’il y a du bon et du moins bon, assure Sébastien, qui a fait ses (grands) calculs. Deux ans et demi après l’accident, j’ai essayé d’estimer toutes les dépenses engendrées pour Marvin, tout compris. Je suis arrivé à une somme colossale. Sans les assurances, on n’aurait jamais pu payer tout ça, bien évidemment. Donc oui, il y a une certaine forme de reconnaissance.» 

Sylvianne, elle, a eu le bon réflexe en souscrivant dès leur petite enfance une assurance pour chacun de ses trois fils. «Le genre de choses dont vous vous dites que ce ne sera jamais utile, mais que vous faites quand même...» Voilà pour le positif. 

La partie la plus compliquée à gérer: le suivi administratif. «Vous ne pouvez même pas avoir idée de la paperasse et de tout ce qu’il y a à remplir. Et pour ce qui est des services sociaux, l’opacité est difficile à accepter. Nous avons eu des personnes géniales à nos côtés, d’autres correctes et d’autres à oublier. Ces changements permanents nous ont pesé.»

La Roue qui Marche, les 21 et 22 juin

«Ma femme dit que c’est un peu ma thérapie...» Sébastien Bailly a fondé une association conséquente, nommée La Roue qui Marche, afin de «créer un pont» entre le monde des valides et celui du handicap, qu’il a découvert abruptement il y a six ans. 

«J’ai vite constaté que les gens qui venaient nous demander des nouvelles de Marvin étaient souvent très gênés. Il y a un malaise, des mondes qui ne se connaissent pas, des réalités que l’on ne veut pas voir.» Alors Sébastien monte un comité et met sur pied un grand bastringue, qui aura lieu les 21 et 22 juin sur le sentier Handicap & Nature à Villars-Tiercelin, pas loin de la maison.

L’idée: sur deux jours, accumuler le plus de kilomètres possible (avec un objectif symbolique de 2 millions de mètres), à pied, en chaise roulante, avec des béquilles... «Chaque mètre comptera. On veut que ces deux mondes, qui n’en sont qu’un en fait, se rencontrent, cohabitent, rigolent ensemble, se découvrent. Celle ou celui qui peut faire 1 mètre, très bien. Son apport sera comptabilisé au même titre que celui qui vient marcher 2 kilomètres.» 

Les bénéfices n’iront pas à la famille Bailly, mais à trois associations en lien avec le handicap. «Je ne voulais pas créer une structure de plus. Ces associations sont bien en place, elles sont utiles et elles connaissent leur boulot. L’argent récolté pendant ce week-end ira pour elles.» 

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