La guerre brutale en Ukraine fait rage depuis plus de trois ans, et pour l'instant aucune issue n'est en vue. Pendant sa campagne électorale, le président américain Donald Trump avait promis de faire cesser les combats rapidement, mais cette promesse est restée lettre morte. De son côté, son homologue russe Vladimir Poutine a intensifié les attaques, y compris contre des cibles civiles.
La guerre en Ukraine a également des répercussions sur la communauté russe en Suisse. Certains continuent de soutenir les actions de Vladimir Poutine, même s'ils jouissent d'une vie en démocratie occidentale. Mais ce soutien a parfois un coût élevé: plusieurs d’entre eux ont perdu des amis ou se sont retrouvés isolés à cause de leurs convictions politiques.
À l’inverse, d’autres s’engagent ouvertement contre la politique agressive du Kremlin. En première ligne de cette opposition, ils réclament que Poutine soit un jour traduit en justice. Des Suisses d’origine russe témoignent auprès de Blick, racontent ce qu’ils pensent de la guerre, et comment elle a bouleversé leur quotidien en Suisse.
Polina Sommer: une opposition divisée
Installée à Zurich, la designer Polina Sommer s’est imposée comme une voix critique du régime du Kremlin en Suisse. Aujourd’hui, elle dit vivre une désillusion, non pas à cause de Trump, dont elle ne s’attendait qu’à des mensonges et de la malhonnêteté, mais à cause de l’opposition russe elle-même.
«Au début de la guerre, je pensais que nous allions résister avec détermination», confie-t-elle. Mais rapidement, elle constate des divisions profondes: certains membres de l’opposition souhaitent seulement se débarrasser de Poutine, tandis que d’autres, dont elle-même, remettent en cause l’ensemble du système politique russe et soutiennent clairement l’Ukraine.
Arrivée en Suisse en 1994, Polina Sommer a quitté une organisation russe en raison de divergences idéologiques et a fondé sa propre association, Art of Peace. Pour elle, une chose est claire: seule une décision de Vladimir Poutine pourra mettre fin à la guerre. Mais cela ne signifie pas que la mobilisation est vaine. «Au contraire, chaque jour de résistance ukrainienne renforce la pression sur le régime de Moscou», affirme-t-elle.
Marina Okhrimovskaïa: documenter les crimes de guerre
Journaliste et cofondatrice du média en ligne www.forall.swiss, Marina Okhrimovskaïa s’est longtemps intéressée à des thématiques telles que l’éducation, la culture ou encore l’intégration des personnes migrantes en Suisse. Mais depuis le 24 février 2022, ses priorités ont changé: «Désormais, je documente principalement les crimes de guerre perpétrés par la Russie», explique-t-elle.
Elle espère que les Etats-Unis ne tourneront pas le dos à la justice internationale. «Si Donald Trump permet à Poutine d’échapper à un procès, alors lui et ses successeurs se sentiront libres de continuer leurs agressions contre l’Europe et les pays de l’ex-URSS», avertit-elle.
Marina a vécu un tiers de sa vie en Ukraine, un tiers en Russie et le dernier tiers à l’étranger. Elle parle ukrainien, russe et français et apprend actuellement l’allemand. «La connaissance de plusieurs langues et cultures est une richesse», conclut-elle.
Rustam Niyazov: raconter son pays autrement
Analyste d’affaires à Lausanne, Rustam Niyazov a un parcours marqué par l’exil. À l’âge de neuf ans, il fuit la Russie avec sa mère, Aysoltan Niyazova, pour échapper au régime de Vladimir Poutine. Six ans plus tard, lorsque leur identité est révélée, la Suisse a extradé sa mère, croyant à tort qu’elle était recherchée pour des détournements de fonds par Moscou. Elle passe alors six ans en prison, où elle fait la connaissance d’un membre du collectif Pussy Riot. Plus tard, elle rejoint le mouvement en tant que manager pour lutter contre le Kremlin.
Depuis les récentes déclarations de Donald Trump sur le conflit ukrainien, Rustam Niyazov craint un renforcement du soutien envers Moscou. «Deux dirigeants mégalomanes pourraient chercher à s’entraider pour préserver leur pouvoir», estime-t-il. Mais pour contrer les clichés, il essaie de donner une autre image de son pays natal: «Je raconte des histoires positives, car ici, les gens savent faire la différence entre un peuple et son régime.»
Anna K.*: des amitiés perdues
Anna K.*, comédienne amateure vivant dans le canton de Soleure, préfère garder l’anonymat, par crainte de représailles ou de tensions dans son entourage. Elle continue de soutenir la politique de Vladimir Poutine: «Il veille à ce que les Russes se portent bien. Ils vivent même mieux aujourd’hui qu’avant 2022», affirme-t-elle. Sa mère et ses neveux, restés en Russie, bénéficieraient d’un soutien financier important de la part de l’Etat. «Je trouve dommage qu'on n'en prenne pas conscience en Suisse», regrette-t-elle.
Depuis le début du conflit dont elle attribue la faute à l'Ukraine, elle note un recul de ses relations sociales. «Certaines Ukrainiennes ont coupé les ponts avec moi. Avec celles qui sont restées, on ne parle pas de politique.» Pour elle, seule la diplomatie peut mettre fin à la guerre. Et il est hors de question que la Russie restitue les territoires conquis. «La Russie aussi a besoin de sécurité», conclut-elle.
Tatiana S.*: Poutine combat les «nazis»
Tatiana S.*, qui vit dans le canton d’Argovie et travaille dans la finance, souhaite, elle aussi, rester anonyme. Elle a une haute estime du président russe. «Poutine poursuit ses objectifs avec détermination et défend les Russes opprimés dans le Donbass», affirme-t-elle. Selon elle, il ne s’agit que d’une opération de justice visant à neutraliser les «nazis ukrainiens». Elle raconte avoir vécu une expérience marquante à Lviv, à l’ouest de l’Ukraine, lors d’un séjour en 1990. «En tant que Russe, j’ai été insultée, ignorée dans les commerces, cela m’a profondément marquée.»
Tatiana S. est persuadée que la Russie aurait pu conquérir l’Ukraine en trois jours si l’objectif avait été uniquement militaire. «Mais pour Poutine, les vies humaines comptent plus que les territoires», affirme-t-elle. Elle voit en Trump un homme plus pragmatique que ses prédécesseurs: «Il se base sur des faits, sans chercher la confrontation.»
Malgré ses opinions, elle entretient des liens étroits avec plusieurs Ukrainiens, tant sur le plan personnel que professionnel. Elle choisit cependant d’éviter toute discussion liée à la guerre. C’est surtout sa fille de 33 ans qui, selon elle, a ressenti les conséquences de leurs origines: «Toutes ses amies ukrainiennes l’ont laissée tomber.»
*Noms d'emprunt