En avril dernier, la Suisse romande découvrait que les truites et les brochets surtout, mais également tous les autres poissons de ses lacs, étaient contaminés par des PFAS, substances synthétiques qu’on surnomme aussi «polluants éternels».
Inventés par l’industrie chimique juste avant la Seconde Guerre mondiale, ils sont massivement produits depuis les années 1950. Le téflon des poêles antiadhésives, les mousses des extincteurs d’incendie, les emballages alimentaires des fast-foods ou encore certains textiles, cosmétiques et pesticides exploitent les propriétés fantastiques de ces molécules dont on recense désormais plus de 10'000 variantes. Et il devient scientifiquement incontestable, du moins pour certains types de PFAS, que cette contamination massive et durable des sols et des eaux présente un énorme danger sanitaire.
Victor H. Amstutz, profitons d’avoir un vrai spécialiste des PFAS comme vous pour vous demander votre définition de ces substances...
PFAS, c’est le sigle attribué au groupe de substances per- et polyfluoroalkylées. En général, ça désigne tout composé qui commence par une chaîne de carbone dans laquelle les atomes d’hydrogène ont été partiellement ou totalement remplacés par des atomes de fluor. Ces chaînes carbonées sont de longueur et de composition chimique très variées. On en répertorie aujourd’hui plus de 10'000 différentes. Mais pas une seule n’est d’origine naturelle.
Ils sont donc totalement artificiels, mais aussi qualifiés d’éternels.
Oui, car, dans l’environnement, les PFAS sont extrêmement résistants. A cause de leur structure en chaîne de carbone fluorée, ils ne réagissent quasiment avec rien. Ils ne sont pas métabolisés par les organismes. Ces substances, une fois relâchées dans la nature, vont rester dans l’environnement jusqu’à ce qu’elles se sédimentent dans les couches géologiques.
Artificiels et éternels, ce ne serait pas si grave. Sauf que, depuis quelques années, leur toxicité est scientifiquement démontrée, n’est-ce pas?
Exactement. S’ils n’étaient pas toxiques, ce serait bénin. Mais l’European Food Safety Agency (EFSA) et d’autres grands organismes mondiaux reconnaissent qu’il existe suffisamment d’informations pour affirmer que plusieurs types de PFAS représentent un danger sanitaire et écologique majeur.
Mais comment des molécules quasiment indestructibles, donc très stables, peuvent-elles interagir avec les cellules vivantes au point de perturber des organes comme le foie humain?
Là, on entre dans une des questions les plus compliquées sur les études sur les PFAS. Effectivement, ceux-ci ne sont pas métabolisés dans notre corps, ils ne peuvent pas être transformés par des enzymes par exemple.
En revanche, on sait déjà que ces molécules artificielles interagissent avec des protéines dans nos cellules. Et cette interaction cause par exemple du stress oxydatif, notamment dans les cellules du foie. Et ce stress va favoriser des pathologies comme des cirrhoses et des hépatites. Un autre grand problème, c’est que cette relation entre les PFAS et les protéines n’est pas spécifique: il est démontré qu’ils sont capables d’interagir avec énormément de protéines différentes dans notre corps, pas seulement avec une seule bien définie. En conséquence, ces contaminations peuvent avoir des effets multiples sur la santé.
Est-ce que les chercheurs comme vous ont réussi à décrire précisément ces mécanismes d’interaction entre les PFAS et les cellules vivantes?
Aujourd’hui, nous savons assez précisément quels sont les effets finaux de certains PFAS sur le corps. Mais il est encore difficile de décrire les mécanismes à plus petite échelle, car tout se joue au niveau quasiment atomique. Et c’est beaucoup plus difficile de comprendre les mécanismes biochimiques d’un polluant que d’un médicament. Avec un médicament, on sait à l’avance avec quel type de protéines et d’enzymes il va interagir. Avec un polluant, on n’a pas cet avantage de départ.
En revanche, on parvient à mesurer très précisément le taux de PFAS dans un organisme vivant?
Oui, des méthodes de pointe ont été développées pour monitorer différents PFAS dans les plasmas. Certains d’entre eux se laissent mesurer facilement dans le sang, mais d’autres résistent encore à ces quantifications. De nouvelles techniques sont en cours de développement.
Comment expliquer l’extrême dissémination de ces composés dans la nature?
La cause vient d’une autre caractéristique majeure des PFAS: leur capacité à parcourir de grandes distances. Tout commence en général par une zone de contamination, comme une déchetterie industrielle, voire une déchetterie communale, qui contient des produits à base de PFAS, comme les casseroles à revêtement antiadhésif, des emballages alimentaires, des produits d’hygiène corporelle, des maquillages, des pesticides.
La liste des applications industrielles est très longue. Ces composés sont hélas très utiles. Et depuis ces déchetteries, ces molécules se disséminent dans les sols, l’eau de ruissellement, les eaux souterraines, avant de rejoindre les lacs et les mers, où elles contamineront poissons et fruits de mer.
Et leur extrême résistance explique leur accumulation. Mais ne sont-ils pas tout autant rejetés par les organismes vivants qu’ils envahissent?
Non, parce que ce sont des molécules beaucoup plus faciles à absorber qu’à excréter. On ne comprend pas encore très bien pourquoi, mais c’est un fait. Et en ce qui concerne notre espèce, l’organe qui semble les accumuler le plus, c’est le foie.
45 μg/kg soit 45 microgrammes par kilo de PFAS dans un des 146 poissons pêchés pour analyse dans les lacs romands en 2024. Un tel degré de contamination a surpris les spécialistes. Les autorités sanitaires devraient décider cette année si les truites et brochets domestiques doivent être retirés de la vente.
11 communes alsaciennes limitrophes de l’aéroport de Bâle-Mulhouse doivent interdire jusqu’à nouvel avis la consommation d’eau du robinet aux personnes vulnérables en raison d’une pollution massive du réseau. Ce sont les PFAS des mousses anti-feu répandues par les pompiers de l’aéroport lors de leurs exercices qui sont la cause de cette concentration hors norme dans l’eau.
3 milliards d’euros. C’est sans doute ce que coûtera toute l’opération de décontamination d’un vaste périmètre autour de l’usine 3M, près d’Anvers, en Belgique. Ce site est le pire hot spot de contamination aux PFAS connu actuellement en Europe. Neuf habitants sur dix de cette zone présentent des concentrations comportant des risques pour leur santé.
45 μg/kg soit 45 microgrammes par kilo de PFAS dans un des 146 poissons pêchés pour analyse dans les lacs romands en 2024. Un tel degré de contamination a surpris les spécialistes. Les autorités sanitaires devraient décider cette année si les truites et brochets domestiques doivent être retirés de la vente.
11 communes alsaciennes limitrophes de l’aéroport de Bâle-Mulhouse doivent interdire jusqu’à nouvel avis la consommation d’eau du robinet aux personnes vulnérables en raison d’une pollution massive du réseau. Ce sont les PFAS des mousses anti-feu répandues par les pompiers de l’aéroport lors de leurs exercices qui sont la cause de cette concentration hors norme dans l’eau.
3 milliards d’euros. C’est sans doute ce que coûtera toute l’opération de décontamination d’un vaste périmètre autour de l’usine 3M, près d’Anvers, en Belgique. Ce site est le pire hot spot de contamination aux PFAS connu actuellement en Europe. Neuf habitants sur dix de cette zone présentent des concentrations comportant des risques pour leur santé.
Alors que faire?
Au niveau international, l’initiative européenne REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals), qui encadre donc l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions concernant les substances chimiques, est très prometteuse. C’est un excellent premier pas vers l’interdiction de tous les PFAS dans l’Union européenne. La difficulté, c’est qu’il n’est pas simple de remplacer les PFAS sans que cela ait des conséquences pour les consommateurs des produits qui en contiennent.
Est-il pertinent aussi de mieux informer le grand public sur ce danger en cours?
C’est extrêmement important. Et l’information probablement la plus utile pour la population, ce serait surtout une information préventive signalant quels sont les sites les plus contaminés. Cela permettrait de faire pression en faveur de mesures au niveau de l’agriculture et de l’élevage sur ces sols pollués. Mais tout ou presque reste à faire.
Qu’est-ce qui vous a amené, dans vos études de biologie, à vous spécialiser dans les PFAS?
Pendant ma première année de master, on nous a présenté un documentaire de 2018 sur le sujet, «The Devil We Know». Et ce dossier est devenu à la fois un objet d’étude et une passion.
Cet article a été publié initialement dans le n°23 de L'illustré, paru en kiosque le 5 juin 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°23 de L'illustré, paru en kiosque le 5 juin 2025.