Le nid tarde à se vider, d'après l'OFS
Quitter le foyer familial? Trop cher et trop angoissant pour les jeunes Suisses

D'après l'Office fédéral de la statistique, les jeunes Helvètes tardent de plus en plus à s'envoler du nid parental. Les raisons sont à la fois économiques et psychologiques, dans un monde toujours plus cher et plus anxiogène.
Publié: 17.10.2025 à 16:28 heures
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Pression financière, loyers élevés, salaires stagnants, manque de confiance et de repères... les jeunes Suisses quittent le foyer familial de plus en plus tard.
Photo: Shutterstock
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Quitter la maison des parents, c'est un peu comme lâcher le vaisseau mère pour se retrouver projeté dans un néant froid et infini. Adieu, l'insouciance, le doux fumet des assiettes chaudes, les factures invisibles, le frigo rempli comme par magie et les chaussettes qui se plient d'elles-mêmes. Si elle peut exalter les envies d'indépendance, cette transition n'est évidemment pas des plus simples, dans un monde toujours plus cher et incertain.

Et les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique (OFS) le prouvent: les Suisses tardent de plus en plus à quitter le foyer familial, dans la mesure où la moitié des jeunes ne se lancent actuellement dans la vie qu'après 23,7 ans, en moyenne, alors que ce seuil était déjà atteint à 21,9 ans en 2005. Le rapport précise en outre que les hommes tendent à vivre légèrement plus longtemps chez leurs parents que les femmes: à l'âge de 20 ans, 30% des femmes et 21% des hommes ont quitté le foyer parental, contre 76 et 63% à l'âge de 25 ans.

Reste à savoir pourquoi les nids suisses se vident plus tardivement depuis quelques années: les jeunes adultes ont-ils peur de s'aventurer dans un monde plus austère et plus anxiogène? Ou est-ce leur porte-monnaie trop léger qui les empêche de déployer leurs propres ailes? La réponse, logiquement, est multifactorielle.

Hausse des loyers et stagnation des salaires

Commençons par s'attaquer aux raisons financières du phénomène. Ainsi que le rappelle le conseiller national socialiste vaudois Benoît Gaillard, porte-parole de l'Union syndicale suisse, le départ du foyer familial représente l’un des événements économiques les plus importants qui interviennent durant la vie.

«Vu le contexte économique qui se dessine depuis quelques années, il ne semble pas étonnant que ce cap soit plus difficile à passer, analyse-t-il. Si on pense aux différences dans l’environnement économique entre la génération actuellement âgée de 35 à 55 ans, et celle âgée de 18 à 35 ans, l’une des premières choses qui vient à l’esprit sont les loyers: dans l’arc lémanique, entre 2000 et 2025, ils ont pratiquement doublé, connaissant une augmentation de 90%. Sans oublier la hausse des primes d’assurance maladie, qui ont plus que doublé (+150%) au cours de ces mêmes vingt-cinq années.»

Aussi notre intervenant rappelle-t-il la stagnation des salaires, qui ne suivent pas le mouvement de ces hausses importantes: «Par exemple, durant ces dix dernières années, ils sont restés en moyenne les mêmes une fois corrigés de l'inflation, précise-t-il. On sait par exemple qu’à l’issue d’un CFC, beaucoup de jeunes salariés gagnent tout juste 4000 francs par mois, ce qui ne permet pas de se loger dans l’agglomération de Lausanne ou de Genève. De fait, cela les incite probablement à rester plus longtemps dans le foyer familial, en début de carrière.»

Davantage de longues études

Plus optimiste, le conseiller national évoque une possible tendance à suivre des études et à se former davantage. En 2022, l'OCDE confirmait effectivement que la proportion des jeunes adultes poursuivant des études supérieures est en hausse constante. Depuis les années 2000, l'OFS note une légère baisse de cette accélération, bien que le taux reste plus élevé qu'auparavant, surtout chez les femmes.

«Ça, c’est plutôt une bonne nouvelle, puisque la Suisse a besoin de professionnels qualifiés, se réjouit Benoît Gaillard. Mais ce que montrent ces chiffres, c’est qu'on n’offre pas suffisamment de soutien pour les phases de vie consacrées à la formation, notamment via les bourses d’études. Résultat: difficile de se former en gagnant un peu d’indépendance.»

Départs manqués et retours au foyer

Or, la pression financière n'est pas l'unique raison derrière ces départs plus tardifs. Jon Schmidt, psychologue FSP et auteur de l'ouvrage «Adolescence en quête de sens», s'avoue peu surpris du rapport de l'OFS:

«En consultation, de nombreux jeunes témoignent de leurs difficultés à trouver la confiance et les ressources nécessaires pour quitter le domicile familial, partage-t-il. Du côté des parents, certains se voient contraints d’assumer plus longtemps qu’ils ne l’auraient imaginé un soutien financier et matériel à leurs jeunes adultes.»

Le psychologue constate en effet que la perte de repères et de sens consécutive à la pandémie de Covid-19, très douloureuse pour la jeune génération, y a clairement contribué. «L'étude américaine 'Going nowhere faster' [«Aller nulle part, plus vite, ndlr»] met en lumière ce phénomène, évoquant ces 'départs avortés' qu'on observe chez les jeunes dits boomerangs, revenus vivre chez leurs parents après une tentative d’autonomisation.» L'étude souligne par ailleurs que, de manière générale, nous avons tendance à rester davantage à la maison, depuis la crise sanitaire.

Moins de repères dans un monde incertain

Mais ce n'est pas tout, puisque Jon Schmidt perçoit une autre hypothèse psychologique, liée au climat anxiogène qui pèse sur le monde depuis plusieurs années: «Nombre de jeunes ont aujourd’hui la sensation de flotter dans un monde devenu plus incertain, plus 'liquide', pour reprendre l’expression du sociologue Zygmunt Bauman, déplore notre expert. Beaucoup de parents, eux aussi, ont perdu confiance dans les institutions et les repères qui structuraient leur propre existence.»

Résultat: le psychologue s'aperçoit que les enfants perçoivent moins de sérénité et de réassurance dans le regard parental au moment de prendre leur envol. «On peut dès lors penser que cette difficulté à quitter le foyer relève à la fois d’une insécurité extérieure — celle d’un monde instable — et d’une préoccupation intérieure, celle de parents peinant à transmettre leur confiance face à l’avenir.»

Une grande proximité avec la famille

Terminons sur une note positive! Le rapport de l'OFS précise encore que, même après avoir déménagé, 61% des 20 à 39 ans restent proches de leurs parents et s'installent à une heure maximum de leur maison familiale. 80% d'entre eux sont en contact avec leurs parents au moins une fois par semaine, qu'il s'agisse d'appels ou de visites, tandis que 35% maintiennent un contact quotidien. L'une des raisons entrant en compte semble donc être plus joyeuse: les jeunes s'entendent bien avec leurs familles... et apprécient la vie à la maison.

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