Nous payons trop d'impôts... sans le savoir! C'est ce que montrent les calculs du groupe de réflexion Avenir Suisse. La Confédération et les cantons prélèvent en effet bien plus que prévu sur les citoyens suisses. Entre 2010 et 2023, 20 milliards de francs de trop ont été versés dans les caisses de l'Etat.
La raison? Le progrès économique et la hausse de la productivité entraînent une amélioration des salaires réels et font ainsi passer l'ensemble de la population suisse dans des classes d'imposition plus élevées. Au final, ce sont surtout les bas salaires et la classe moyenne qui en pâtissent.
La redistribution vers le bas diminue
Pour Avenir Suisse, c'est une aberration: «L'Etat ne devrait pas taxer davantage ses citoyens de façon disproportionnée sous prétexte que la prospérité augmente», estime Lukas Rühli, économiste et auteur de l’étude.
Ce qui préoccupe particulièrement les auteurs, c'est que cette évolution affaiblit la redistribution du haut vers le bas, principe même du système fiscal. «En Suisse, l'impôt est progressif: plus le revenu est élevé, plus la contribution à l'Etat est importante», rappelle Lukas Rühli. Mais si les salaires réels augmentent en continu, alors l'effet s'inverse: la charge fiscale augmente de manière disproportionnée, surtout pour les bas salaires.
Les baisses d'impôts ne résoudraient rien
Le groupe de réflexion met en garde depuis longtemps contre cette évolution. Il y a deux ans déjà, une extrapolation montrait qu'en raison de cette progression, environ 2,5 milliards de francs d'impôts supplémentaires seraient payés rien qu'en 2020 par rapport à dix ans auparavant.
Faut-il alors baisser les impôts sans attendre? «Non, cela ne corrigerait pas le déséquilibre actuel dans la répartition de la charge fiscale», estime Lukas Rühli. Selon lui, une telle mesure profiterait surtout aux plus aisés en raison de la progressivité de l'impôt. Il juge aussi problématique d'augmenter certaines déductions, car cela ne soulagerait que des groupes spécifiques et nuirait à la cohérence du système fiscal.
La compensation de la «progression à froid» illustre le mécanisme qui devrait s’appliquer: pour atténuer les effets de l'inflation, la Confédération et les cantons ajustent régulièrement leurs barèmes fiscaux. Sans cette adaptation, les contribuables paieraient plus d’impôts simplement parce que leurs salaires augmentent, alors que leur pouvoir d’achat, lui, ne progresse que faiblement, l'inflation absorbant une partie de ces hausses de revenus.
La compensation a du mal à s'imposer
La compensation est actuellement indexée sur l'indice national des prix à la consommation. Avenir Suisse propose plutôt d'utiliser à l'avenir l'indice des salaires nominaux. Cela permettrait de corriger non seulement la progression à froid, mais aussi la progression à chaud. «Ce serait techniquement facile à mettre en œuvre», souligne Lukas Rühli. La Confédération dispose d'ailleurs déjà d’une expérience comparable: pour l'ajustement des rentes AVS, elle se base sur la moyenne entre l'indice des prix et celui des salaires.
Des propositions en ce sens sont actuellement en attente au niveau fédéral et dans plusieurs cantons. Mais leur adoption se heurte à des résistances. «La compensation de la progression à chaud n'a tout simplement pas de lobby», observe Lukas Rühli. A l'inverse, il est bien plus aisé de défendre des intérêts particuliers — comme l’introduction de nouvelles déductions fiscales.
D'autres pays s'orientent déjà vers le salaire réel
Certes, une initiative parlementaire du conseiller national de l'Union démocratique du centre (UDC) Thomas Burgherr, qui demande une compensation au moins pour les impôts fédéraux, est toujours en suspens aux Chambres fédérales. Toutefois, en octobre, la commission compétente du Conseil national a recommandé à la Chambre des cantons de rejeter définitivement l'initiative lors de la prochaine session d'hiver.
Selon la majorité de la commission, la réforme profiterait surtout aux revenus les plus élevés. De surcroît, d’autres pertes fiscales seraient délicates à gérer actuellement, notamment avec la suppression prochaine de la pénalisation du mariage en plus de la valeur locative.
Le Conseil fédéral et les cantons se sont également opposés à plusieurs reprises à un changement de système. Cela ne tient pas seulement à un manque de volonté, selon Lukas Rühli. «C'est plutôt que de nombreux gouvernements cantonaux ne sont pas encore vraiment conscients du phénomène.»
Il pourrait en être autrement, comme le montrent d'autres pays. Depuis plus de 30 ans déjà, la Suède, le Danemark et la Norvège compensent sans problème la progression chaude en indexant les barèmes de l'impôt sur le revenu sur l'inflation et la croissance des salaires.