La faute à l'Allemagne, mais pas que...
Des milliers de camions supplémentaires vont bientôt déferler sur le Gothard

La Suisse a investi beaucoup d'argent pour pousser les camions à délaisser la route au profit du rail. Mais aujourd'hui ce projet colossal est mis à mal par des coûts élevés, par une conjoncture défavorables et par le mauvais état du réseau ferroviaire... allemand.
Publié: 16.05.2025 à 14:07 heures
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Pour mener à bien le transfert de la route au rail, la Suisse encourage le recours des camions au train.
Photo: Alexander Dietz
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Lucien Fluri

Le nouvelle ne pouvait pas plus mal tomber. Alors que le Conseil national débattait des moyens d'atténuer le problème des embouteillages au Gothard, une annonce a fait l’effet d’une petite bombe: les autoroutes ferroviaires, qui permettaient aux camions de rallier l'Italie depuis la ville allemande de Fribourg-en-Brisgau, vont tirer la prise!

Leur fermeture est prévue pour fin 2025, ont confirmé les exploitants la semaine dernière. Malgré les millions investis par la Confédération, le projet n’est tout simplement pas assez rentable.

L'année dernière, ces autoroutes ferroviaires ont transporté 72'000 camions à travers les Alpes, les tenant à l'écart des routes suisses et plus particulièrement du tunnel routier du Saint-Gothard. Leur abandon met donc sérieusement à mal la politique de transfert de la route vers le rail, que les Suisses ont pourtant fait graver dans la Constitution.

Le transfert modal piétine

Or, les derniers chiffres le montrent: ce transfert a du plomb dans l'aile. Depuis 2022, le volume de marchandises transportées par le rail à travers les Alpes est en recul. En cause? Le ralentissement économique, les coûts élevés et les problèmes sur le réseau ferroviaire allemand qui freinent les convois. En 2024, 25,7 millions de tonnes ont été transportées sur les autoroutes roulantes, soit un million de moins que l’année précédente.

Cette tendance met à mal le projet de nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes (NLFA), que d'aucun considèrent comme le projet suisse du siècle. Pour le mener à bien, des tunnels ont été construits au Gothard, au Lötschberg et au Ceneri. Le réseau ferroviaire a en outre été amélioré et un argent considérable a été investi dans l'espoir d'éloigner les camions de routes.

Et pourtant, le nombre de camions traversant les Alpes est reparti à la hausse: en 2024, ils étaient 960'000 à sillonner les routes alpine, soit 44'000 de plus que l'année précédente. Si l'objectif initial de ramener ce chiffre à 650’000 semblait déjà difficile à atteindre, la fermeture des autoroutes ferroviaires vient de lui porter le coup de grâce.

L'Allemagne empêche la Suisse d'avancer

Comment expliquer cet ultime échec? D'abord, les chantiers et les fermetures de lignes en Allemagne, en Italie et en Suisse, nuisent à la fiabilité du transport ferroviaire. Résultat: de nombreux clients se retirent, et les nouveaux ne viennent pas. L'état déplorable des infrastructures allemandes est particulièrement pointé du doigt.

La Confédération le dit elle-même: «L'augmentation massive des irrégularités au niveau de l'exploitation de l'infrastructure, en particulier sur les lignes allemandes d'accès à la Suisse, comporte le risque de transferts rétroactifs durables du rail vers la route.»

Le transport de camions est également rendu pénible par le goulet d'étranglement sur le Rhin qui ralentit la circulation ferroviaire en Allemagne. A ce titre, la ligne entre Bâle et Karlsruhe devait être élargie à quatre voies. Mais le projet patine et les travaux ne devraient pas commencer avant les années... 2040. Outre les problèmes d'infrastructure, une mauvaise conjoncture et la hausse des prix chez CFF Cargo ont poussé bon nombre de clients à privilégier la route.

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Sans les mesures en vigueur aujourd'hui, il y aurait environ 800'000 camions de plus chaque année sur les routes alpines suisses
Office fédéral des transports
»

Face à l'ampleur du problème, le président sortant du Centre Gerhard Pfister, a décidé d'intervenir au Parlement. Le conseiller national zougois, qui préside également l'association suisse de l'industrie du ciment, a notamment taclé les CFF, leur reprochant d'avoir augmenté les prix «en très peu de temps» et «de façon parfois disproportionnée». Il redoute des «conséquences dramatiques pour la politique des transports», et pour les émissions de CO2, qui augmenteront inexorablement si le rail est délaissé.

Invasion de camions

De son côté, la Confédération se veut plus rassurante et assure que les chiffres vont s'améliorer à moyen et long terme. La stratégie de transfert est un succès, martèle l'Office fédéral des transports: en effet, près de 70% des marchandises transportées à travers les Alpes passe par le rail, ce qui est nettement plus qu'en France ou en Autriche. «Sans les mesures en vigueur aujourd'hui, il y aurait environ 800'000 camions de plus chaque année sur les routes alpines suisses», précise l'office fédéral.

La Confédération reconnait toutefois l'existence d'un problème à plus court terme. Pour rectifier le tir, elle souhaite collaborer avec la France pour améliorer la ligne ferroviaire sur la rive gauche du Rhin et permettre à davantage de trains d'emprunter les axes de la NLFA. Une partie des fonds initialement destinés aux autoroutes roulantes pourrait être réalloué à des aides en faveur du transport ferroviaire de conteneurs et de semi-remorques.

Car le potentiel est encore loin d’être épuisé. En 2024, 50’000 trains de marchandises ont traversé les Alpes suisses, avec pas moins de 25 millions de tonnes de marchandises à leur bord. Une fois toutes les lignes d’accès modernisées, ce nombre pourrait grimper à 66’000 trains et à 47 millions de tonnes de marchandises.

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