L’hôtellerie et la restauration outrées
Le Conseil fédéral veut taxer les pourboires électroniques pour remplir les caisses de l'AVS

La ministre des Affaires sociales Elisabeth Baume-Schneider examine la possibilité de prélever des cotisations salariales sur les pourboires versés par voie électronique. Cela pourrait rapporter entre 20 et 50 millions à l'AVS. Les critiques affluent.
Publié: 11.06.2025 à 12:10 heures
Partager
Écouter
1/5
Faut-il prélever des cotisations AVS sur les pourboires versés par voie électronique?
Photo: www.imago-images.de
RMS_Portrait_AUTOR_1047.JPG
Ruedi Studer

L'AVS a besoin d'argent, de beaucoup d'argent. La conseillère fédérale socialiste Elisabeth Baume-Schneider prépare déjà la prochaine grande réforme de l'AVS prévue pour 2030, en mettant l’accent sur des recettes supplémentaires. Outre une hausse des cotisations salariales et une augmentation de la TVA, elle envisage aussi quelques ajustements modestes du côté des revenus.

L’un de ces ajustements fait particulièrement réagir le secteur de la restauration: les pourboires électroniques seront soumis à des cotisations salariales s’ils représentent une part importante du salaire. En principe, c'est déjà le cas aujourd’hui, mais la notion de «part importante» reste floue et la réalité des montants versés se situe dans une zone grise. Jusqu’ici, les autorités ont fermé les yeux.

Cette situation devrait évoluer avec l'augmentation des paiements numériques. «Le développement des paiements électroniques améliore la traçabilité des pourboires», souligne Elisabeth Baume-Schneider dans un document de travail obtenu par Blick, en vertu de la loi sur la transparence.

Jusqu'à 1 milliard de francs de pourboires

Le montant total des pourboires versés en Suisse n’est pas connu avec précision, mais la Confédération l’estime entre 600 millions et un milliard de francs par an, uniquement dans le secteur de la restauration. Selon les documents officiels, cela pourrait générer pour l’AVS des recettes supplémentaires comprises entre 20 et 50 millions de francs.

Les employés de la restauration y gagneraient moins sur le court terme, mais devraient bénéficier de droits à la retraite plus élevés. «Compte tenu des bas salaires dans ces branches, les cotisations supplémentaires permettraient d’augmenter les rentes», explique Elisabeth Baume-Schneider. «A moyen terme, ces gains compenseraient au moins les charges supplémentaires.» Le Conseil fédéral a laissé passer ce mandat d’examen sans opposition.

«Les clients donneront moins»

La conseillère aux Etats UDC Esther Friedli (SG) s’oppose fermement à ce projet. Elle juge la réforme des pourboires «totalement erronée». Sa critique est claire: «Plutôt que de s’attaquer à une réforme qui garantirait l’équité intergénérationnelle et assurerait la pérennité de l’AVS, le Conseil fédéral veut simplement faire payer davantage la population active», déclare la restauratrice. «Je m’y oppose catégoriquement.»

L’association professionnelle Gastrosuisse soutient cette position. «Ce sont d’abord les employés qui en pâtiraient si les pourboires étaient soumis à des cotisations», s’inquiète le directeur intérimaire Patrik Hasler-Olbrych. «Les entreprises risquent d’interdire davantage les pourboires. Les clients donneront moins s’ils savent que ces sommes sont taxées.» Par ailleurs, les employés feraient face à plus de retenues sur salaire et à une imposition accrue, ce qui réduirait leur revenu net et freinerait la progression des salaires dans l’hôtellerie-restauration.

Un projet «irréalisable»

Pour Gastrosuisse, les charges patronales supplémentaires et les tâches administratives pèseraient aussi lourdement sur les établissements. Avec le financement actuel de l’AVS et la hausse des allocations familiales, une nouvelle charge sur les pourboires entraînerait une forte augmentation des prix dans l’hôtellerie-restauration, avec un impact négatif sur la demande.

«Ce projet n’est pas réalisable», affirme Patrik Hasler-Olbrych. «Il est impossible pour un employeur de déterminer précisément le montant des pourboires reçus sans surveiller ses collaborateurs de manière intrusive, ce qui est inacceptable et totalement éloigné des pratiques courantes. Un tel contrôle est inapplicable.»

Le syndicat partage les critiques

Le syndicat Unia appuie également cette critique. «Les pourboires ont tendance à diminuer et ne constituent pas un élément majeur du salaire», explique Philipp Zimmermann, porte-parole d’Unia. Le syndicat recommande donc de conserver la pratique actuelle. «Toute autre solution entraînerait des coûts disproportionnés et, au final, pénaliserait surtout les travailleurs, dont le revenu déjà modeste serait encore réduit.»

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la