Un bureau spécial a fait couler beaucoup d’encre la semaine dernière dans la Berne fédérale. Une «reading room» a été discrètement installée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dirigé par Ignazio Cassis. Dans cette salle ultra-sécurisée, les parlementaires peuvent consulter les accords confidentiels avec l’Union européenne, mais sous de strictes conditions: portables interdits, prises de notes uniquement manuscrites, et signature obligatoire d’une clause de confidentialité.
Cette manœuvre visait à apaiser les tensions sous la Coupole. Car même si les textes restent sous clé, certains élus triés sur le volet y ont déjà eu accès, déclenchant une vague d’indignation. C’est notamment le cas du centriste Benedikt Würth, qui a accompagné un membre du Sounding Board, un groupe d’experts chargé d’épauler le Conseil fédéral dans les discussions avec Bruxelles.
Pour désamorcer la polémique et l'inégalité de traitement, le secrétaire d’État Alexandre Fasel a convié les chefs de partis à désigner deux parlementaires chacun, autorisés à consulter les projets d’accord dans cette salle de lecture. Une ouverture... qui n’a fait qu’attiser le feu. La procédure, jugée opaque, a provoqué un tollé au Parlement, au point d’être désormais examinée par la Commission de gestion (CdG) du Conseil national – organe de surveillance du gouvernement.
«Grenelle fictif» et lettre de protestation
«Le Conseil fédéral ne peut pas simplement former un groupe fictif qui n’est pas du tout prévu de cette manière dans la loi sur le Parlement », dénonce le conseiller national UDC Alfred Heer, également membre de la CdG. À ses yeux, les traités avec l'UE relèvent de la Commission de politique extérieure (CPE), la seule compétente. «Si l’on introduit maintenant une nouvelle procédure sélective, on peut tout aussi bien supprimer les commissions», tacle-t-il. Alfred Heer prévoit de déposer une demande d’enquête à la prochaine séance de la CdG pour vérifier «la légalité de la procédure du DFAE».
Avant même cette initiative, les responsables de la politique étrangère du Conseil national avaient déjà fait part de leur colère dans une lettre adressée au Conseil fédéral, comme l’ont révélé les journaux de Tamedia. Il est inadmissible de «donner des possibilités de consultation sélectives anticipées à certains membres du Conseil», peut-on y lire. Soit tous les élus peuvent accéder au dossier, soit personne.
L’indignation dépasse les frontières des partis. La socialiste Gabriela Suter, également membre de la CdG, abonde: «Il est important d’attirer l’attention du Conseil fédéral sur la manière dont le processus devrait en fait se dérouler.» Si la lettre de la CPE reste lettre morte, elle juge légitime que la CdG enquête sur les pratiques du DFAE.
Ce dernier indique avoir bien reçu la missive des responsables de la politique extérieure. Une réponse à leur intention est en cours de rédaction.
Le pire moment pour Ignazio Cassis
La tempête politique éclate au pire moment pour le ministre Ignazio Cassis. Ce mercredi, le Conseil fédéral a pris une décision hautement sensible: les futurs accords avec l’UE ne nécessiteront qu’un vote populaire – sans approbation des cantons. Un choix explosif, car il augmente sensiblement les chances d’un oui lors du scrutin. Mais c’est le Parlement qui aura le dernier mot.
Cette décision, aussi stratégique que polémique, ne pouvait qu’enflammer les débats. D’autant plus dans un contexte où les élus se plaignent du manque de transparence du DFAE. Les textes des traités ne seront dévoilés publiquement qu’en juin, au début de la procédure de consultation.
«Les partis ne peuvent guère prendre position sur cette décision s'ils n’ont pas vu les contrats», souligne Alfred Heer. Même la lecture sous surveillance ne règle pas le problème: les élus sont tenus au secret, et il est illusoire de lire 1800 pages en une seule consultation.