La poignée de main est solide, l’œil rieur et le sourire franc. Roberto Ventrella nous accueille dans son atelier de La Chaux-de-Fonds par un bel après-midi ensoleillé, dix jours après son retour d’Israël.
A le voir si alerte, difficile d’imaginer que cet ancien bijoutier et designer de montres a 86 ans. Et qu’il vient de passer près d’un mois à bord du Mango, l’un des 44 bateaux de la Global Sumud Flotilla, avant d’être arrêté et emprisonné par les forces israéliennes. «Je me sens bien, promet-il. Je m’étais entraîné psychologiquement et physiquement, notamment en nageant tous les jours pendant un mois. Quand tu es en mer pendant longtemps dans ces conditions, tu as de bonnes chances de tomber à l’eau, alors autant être prêt.»
Il y a une vingtaine d’années, au moment de prendre sa retraite après une carrière florissante dans le luxe, Roberto décide de se consacrer aux autres. En 2006, il part donc au Liban en tant que bénévole dans un camp de réfugiés palestiniens. Quatre ans plus tard, il participe à une première marche pour Gaza, déjà dans l’espoir de briser le blocus israélien, et réitère l’expérience au mois de juin dernier. Un souvenir à la fois frustrant et lumineux, qui débouchera sur l’organisation de la flottille.
Arrestation nocturne
Tout ambitieux qu’il soit, le projet n’en reste pas moins lucide: les membres de l’expédition savent pertinemment qu’ils n’ont quasi aucune chance d’atteindre les côtes de la bande assiégée (voir encadré ci-dessous). «La dernière nuit, nous avons commencé à voir toutes ces petites lumières vertes et rouges, face à nous, beaucoup trop rapides pour que ce soit des voiliers, se souvient Roberto. Après un quart d’heure, nous avons compris. Les Israéliens ont commencé à nous bombarder avec de puissants canons à eau, qui ont fait tanguer le bateau.»
Immédiatement, le militant jette son téléphone à l’eau – pour ne pas compromettre ses nombreux contacts et ne fournir aucune information aux Israéliens – ainsi que le bijou fabriqué pour l’occasion, qu’il comptait offrir à la première femme gazaouie rencontrée en cas de réussite. Arrêtés, tous les membres de l’équipage sont ramenés au port d’Ashdod, où ils attendent pendant des heures en plein soleil de connaître leur sort, à genoux et tête baissée.
Privé de médicament
Finalement emprisonné, le Chaux-de-Fonnier se retrouve isolé avec des inconnus. «J’avais complètement perdu la trace de Samuel (Crettenand, ndlr) et des autres. Le jour suivant, je l’aperçois dans une grande cage, comme celle des lions au zoo. Dans la pièce suivante, il y avait Immanuel, mon ange gardien sur le bateau. J’étais tellement heureux de les voir, ça m’a lavé de la honte terrible infligée par les Israéliens. C’est magnifique et très puissant de ressentir de la joie dans ces moments-là.»
Lancée à partir de l’Espagne entre fin août et début septembre 2025, la flottille Global Sumud pour Gaza était composée de plus de 40 bateaux transportant nourriture, fournitures médicales et autres articles essentiels, ainsi que plusieurs centaines de parlementaires, avocats et militants issus de dizaines de pays, dont 19 citoyen-ne-s helvétiques. Elle a traversé la Méditerranée en direction de l’est, faisant escale en Tunisie, en Italie et en Grèce, où elle a été rejointe par de nouvelles embarcations. En cours de route, les gouvernements italien et espagnol ont déployé des escortes navales afin d’assurer la sécurité du convoi.
Global Sumud constitue la plus vaste et la plus récente opération d’un mouvement qui existe depuis plus de quinze ans et vise à contester le blocus imposé par Israël à Gaza. Dès 2010, une première flottille convoyant de l’aide humanitaire et des centaines de militants a tenté de rallier la bande assiégée. Des commandos israéliens ont alors abordé le Mavi Marmara, l’un de ses navires battant pavillon turc, occasionnant une violente confrontation. Bilan: dix militants tués. Une perte tragique qui a suscité une condamnation unanime et crispé les relations entre Israël et la Turquie pendant des années. Compte tenu de ce contexte explosif, certains pays européens, en coordination avec l’Etat hébreu, ont pesé de tout leur poids pour empêcher les militants de réitérer l’expérience. D’autres flottilles ont malgré tout tenté de rallier Gaza en 2011, 2015 et 2018.
Légalement, des navires libres de naviguer sans entrave
Légalement, Israël dispose d’une capacité limitée pour perturber les convois maritimes, ceux-ci étant libres de naviguer sans entrave en Méditerranée. Tout harcèlement et toute interception dans les eaux internationales sont dès lors considérés comme des violations flagrantes de la législation en vigueur. Une réalité dont les commandos israéliens continuent de faire fi. En mai dernier, c’est le navire humanitaire Conscience qui a été touché par des explosions au large des côtes de Malte. En juin, ils ont intercepté le Madleen, avec Greta Thunberg et d’autres militants à son bord, puis, en juillet, le Handala.
Lors de la dernière tentative, les passagers de la Global Sumud ont déclaré avoir été harcelés par des drones à plusieurs reprises au cours du voyage et attaqués avec de violents canons à eau au moment de l’arraisonnement des embarcations, entre le 1er et le 3 octobre. Ces dernières se trouvaient pourtant entre 70 et 80 milles marins des côtes, soit bien avant la limite des eaux territoriales de Gaza. Les 462 militants se trouvant à bord des navires interceptés ont été arrêtés et placés en détention dans le port israélien d’Ashdod, avant d’être expulsés.
Au moment du départ de la flottille, Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la Sécurité nationale, a assimilé tous les militants qui prenaient la mer – ouvertement non violents – à des «terroristes», promettant qu’ils seraient traités comme tels. Une qualification d’autant plus inquiétante qu’une récente enquête du journal «The Guardian» a révélé que sur les 6000 Palestiniens détenus à Gaza au cours des dix-neuf premiers mois du génocide, la grande majorité d’entre eux étaient des travailleurs médicaux, des enseignants, des journalistes, des fonctionnaires et même des enfants.
Lancée à partir de l’Espagne entre fin août et début septembre 2025, la flottille Global Sumud pour Gaza était composée de plus de 40 bateaux transportant nourriture, fournitures médicales et autres articles essentiels, ainsi que plusieurs centaines de parlementaires, avocats et militants issus de dizaines de pays, dont 19 citoyen-ne-s helvétiques. Elle a traversé la Méditerranée en direction de l’est, faisant escale en Tunisie, en Italie et en Grèce, où elle a été rejointe par de nouvelles embarcations. En cours de route, les gouvernements italien et espagnol ont déployé des escortes navales afin d’assurer la sécurité du convoi.
Global Sumud constitue la plus vaste et la plus récente opération d’un mouvement qui existe depuis plus de quinze ans et vise à contester le blocus imposé par Israël à Gaza. Dès 2010, une première flottille convoyant de l’aide humanitaire et des centaines de militants a tenté de rallier la bande assiégée. Des commandos israéliens ont alors abordé le Mavi Marmara, l’un de ses navires battant pavillon turc, occasionnant une violente confrontation. Bilan: dix militants tués. Une perte tragique qui a suscité une condamnation unanime et crispé les relations entre Israël et la Turquie pendant des années. Compte tenu de ce contexte explosif, certains pays européens, en coordination avec l’Etat hébreu, ont pesé de tout leur poids pour empêcher les militants de réitérer l’expérience. D’autres flottilles ont malgré tout tenté de rallier Gaza en 2011, 2015 et 2018.
Légalement, des navires libres de naviguer sans entrave
Légalement, Israël dispose d’une capacité limitée pour perturber les convois maritimes, ceux-ci étant libres de naviguer sans entrave en Méditerranée. Tout harcèlement et toute interception dans les eaux internationales sont dès lors considérés comme des violations flagrantes de la législation en vigueur. Une réalité dont les commandos israéliens continuent de faire fi. En mai dernier, c’est le navire humanitaire Conscience qui a été touché par des explosions au large des côtes de Malte. En juin, ils ont intercepté le Madleen, avec Greta Thunberg et d’autres militants à son bord, puis, en juillet, le Handala.
Lors de la dernière tentative, les passagers de la Global Sumud ont déclaré avoir été harcelés par des drones à plusieurs reprises au cours du voyage et attaqués avec de violents canons à eau au moment de l’arraisonnement des embarcations, entre le 1er et le 3 octobre. Ces dernières se trouvaient pourtant entre 70 et 80 milles marins des côtes, soit bien avant la limite des eaux territoriales de Gaza. Les 462 militants se trouvant à bord des navires interceptés ont été arrêtés et placés en détention dans le port israélien d’Ashdod, avant d’être expulsés.
Au moment du départ de la flottille, Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la Sécurité nationale, a assimilé tous les militants qui prenaient la mer – ouvertement non violents – à des «terroristes», promettant qu’ils seraient traités comme tels. Une qualification d’autant plus inquiétante qu’une récente enquête du journal «The Guardian» a révélé que sur les 6000 Palestiniens détenus à Gaza au cours des dix-neuf premiers mois du génocide, la grande majorité d’entre eux étaient des travailleurs médicaux, des enseignants, des journalistes, des fonctionnaires et même des enfants.
D’autant que le séjour en prison aurait pu mal tourner pour l’octogénaire. «Les Israéliens volent tout, déplore-t-il. Les vêtements, les portefeuilles, et surtout les médicaments. Je suis asthmatique, et ils m’ont pris ma cortisone. Ça m’a vraiment énervé.» Le troisième jour de son emprisonnement, Roberto déclenche une crise, en raison de l’insalubrité de la cellule qu’il partage avec une dizaine d’autres personnes. Après avoir réclamé en vain son traitement – et de l’eau – durant de longues heures, il reçoit enfin un mystérieux médicament israélien, qui lui est retiré peu après.
Servir la cause quoi qu’il en coûte
Malgré la brutalité et l’hostilité des forces israéliennes, le militant assure ne jamais avoir craint pour sa vie. «Je me suis dit que je risquais d’être blessé, mais pas plus. De toute façon, j’étais prêt à mourir. Et s’il m’était arrivé quelque chose, comme de tomber à la mer, ma mort aurait été utile à la cause. C’est ce qui compte.»
En dépit de l’échec apparent, Roberto reste positif. «Je crois beaucoup à tout cet effort fourni avec la flottille. La seule manière que nous avons de changer les choses, c’est la rébellion des peuples. Nos bateaux ont permis d’alerter l’opinion publique du monde entier. Si cette petite femme de rien qu’est Giorgia Meloni, Première ministre en Italie, comprend que les millions d’Italiens qui sortent dans la rue la détestent et ne voteront plus en sa faveur, elle aussi va un peu changer.»
A l’écouter, on réalise très vite que les politiques ne trouvent aucune grâce à ses yeux. «J’ai rencontré Ignazio Cassis une fois à Neuchâtel, il y a quatre ou cinq mois. Il est d’une telle indifférence! fulmine-t-il. Il est passé sans nous regarder, alors que nous étions là pour protester. Avec des gens comme lui, on ne peut pas espérer grand-chose d’un gouvernement.»
Et le fait que la Confédération refuse d’assurer les frais de rapatriement des militants helvétiques n’arrange rien. «Je n’ai aucune sympathie pour Erdogan, souligne Roberto. Mais la Turquie nous a offert des vêtements alors que nous n’avions plus rien, ainsi que notre voyage jusqu’à Istanbul, où nous avons été logés et nourris très confortablement. La Suisse aurait pu nous rapatrier depuis là. Mais non. Ce sont encore les Turcs qui ont payé le vol jusqu’à Genève. La Suisse a purement et simplement trahi ses citoyens.»
Rester le plus vivant possible
Si rien n’est encore arrêté au sujet d’une prochaine action, Roberto sait déjà qu’il y participera. «Quoi que ce soit, j’ai réservé ma place, jure-t-il. Une manifestation, une marche, une flottille, j’en serai. J’espère juste que ce ne sera pas pendant l’hiver, parce que je ne supporte pas le froid.»
Quant à un éventuel repos bien mérité, il ne veut surtout pas en entendre parler. «Je crois que pour survivre dans cette société, j’ai besoin de me remplir de choses qui me donnent la sensation d’être vivant, affirme-t-il. A mon âge, si tu n’as pas de projets de ce type, tu es déjà mort. Il y a de jeunes gens qui le sont, mais ils peuvent encore changer. Moi, je suis très vieux, l’échéance est là, juste devant. Donc, pour avoir une bonne relation avec ma mort, je dois être le plus vivant possible. Arriver à elle en bonne santé mentale et physique.»
Cet article a été publié initialement dans le n°43 de «L'illustré», paru en kiosque le 23 octobre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°43 de «L'illustré», paru en kiosque le 23 octobre 2025.