Après une soirée à rebondissements, c'est l'Autriche qui a gagné la finale de l'Eurovision samedi à Bâle. Elle est suivie par Israël et l'Estonie. La Suisse, après avoir été classée 2e par les jurys professionnels, termine à la 10e place.
Voix de fausset et sourire angélique: l'artiste JJ signe le premier triomphe de l'Autriche à l'Eurovision depuis la drag queen barbue Conchita Wurst il y a onze ans. Avec «Wasted love», qui propulse des aigus de soprano entre deux refrains de ballade avant de culminer en envolée techno, le pays alpin aura fait un choix risqué mais payant: la chanson a obtenu 436 points.
«Cela dépasse mes rêves les plus fous. C'est fou», a-t-il dit après sa victoire, le trophée à la main. «Cela surprend les gens qu'un homme puisse chanter aussi haut», racontait à l'AFP fin avril depuis Vienne l'Austro-philippin de 24 ans lors de sa préparation au concours dans les studios du service public de télévision ORF. Un étonnement virant à la fascination auquel s'est habitué le mélomane ayant grandi à Dubaï avant de faire ses gammes avec des petits rôles à l'Opéra de Vienne.
Même s'il dit apprécier le «monde classique» qui fait rayonner l'Autriche au-delà de ses frontières et où «tout est très strict», JJ – Johannes Pietsch de son vrai nom - veut aussi pouvoir avoir la «liberté de se défouler» et «d'expérimenter». Il a donc jeté son dévolu sur un mélange connu sous le nom de pop opératique, une «approche interdisciplinaire et transgressant les genres» qui «enrichit la pensée et favorise les échanges créatifs», applaudit Andreas Mailath-Pokorny, le recteur de la très sérieuse école où JJ étudie encore l'art lyrique.
Un petit air de «The Code»
Détonnant samedi dans son aérienne performance tout en noir et blanc face aux accords pas toujours subtils des propositions très explicitement sexuelles de la Finlande ou à la franche rigolade des Suédois, JJ innove surtout en tant que contre-ténor.
Même si certains associent son morceau à celui de Nemo, vainqueur l'an dernier. Et que le classique a été entendu à l'Eurovision dès les années 1950 et s'est progressivement fondu dans d'autres styles avec des succès divers, le groupe italien Il Volo ayant réussi à se hisser en 2015 à la troisième place.
Sa mélancolique prestation parle d'une période de sa vie où il a «gaspillé trop d'amour» sans en recevoir. Malheur du couple, gloire en scène: les peines de coeur avaient déjà réussi au pays alpin en 1966, lors de sa première victoire avec «Merci, Chérie» d'Udo Jürgens, un tube de rupture, déjà, repris sur scène depuis par Helene Fischer, la reine de la pop allemande.
«Quand JJ chante, c'est comme si les horloges s'arrêtaient de tourner», commente la drag queen Conchita Wurst à son propos, voyant en ce «professionnel impressionnant», avec qui elle a enregistré un duo, son digne successeur. L'artiste avait offert ses précieux conseils de pro, tout comme la chanteuse Louane, bonne copine, dont JJ avait étudié les textes en cours de français. Du vaste répertoire des 68 précédentes éditions de l'Eurovision, «L'oiseau et l'enfant» de Marie Myriam, qui valut à la France sa dernière victoire en 1977, reste l'une de ses chansons favorites et il l'interprète avec bonheur en version originale.
Un polyglotte à quatre octaves
Son don pour les langues lui vient de sa scolarisation dans un établissement international des Emirats, où son père autrichien, un informaticien, avait monté son entreprise. C'est de lui qu'il a hérité du goût pour le classique, Bach et Mozart en tête, alors que sa mère, originaire des Philippines et cuisinière, écoutait Céline Dion et Whitney Houston. Allemand, anglais, tagalog, arabe et français: JJ peut utiliser ses quatre octaves comme bon lui semble, un atout quand le concours est aussi massivement suivi en dehors du continent européen.
«Sur scène, chacun a sa place», estime le réservé JJ, alors que les personnes gays, lesbiennes et transgenres voient leurs droits régresser dans des pays qui ont quitté la compétition, régulièrement accusée d'être trop arc-en-ciel, comme la Hongrie. «Pas seulement la communauté LGBT+», mais tout le monde, car «la musique est une langue unique que tout être humain peut parler et comprendre». Qu'elle soit pop, classique ou... non-binaire.