Le coup de gueule de Christophe Darbellay
«La dévalorisation du français à l'école m'agace. Il en va de la cohésion du pays!»

Christophe Darbellay est devenu en début d'année l'un des plus hauts responsables de l'éducation nationale. Dans une interview, le conseiller d'Etat valaisan parle du recul du français en Suisse alémanique et évoque aussi l'interdiction des portables dans les écoles.
Publié: 02.07.2025 à 06:17 heures
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Dernière mise à jour: 02.07.2025 à 08:23 heures
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Depuis 2017, Christophe Darbellay est le directeur valaisan de l'instruction publique.
Photo: KEYSTONE
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Joschka Schaffner

Le système éducatif suisse est sous le feu des critiques. Dans les cantons, on débat de l'interdiction des téléphones portables, des langues étrangères ou encore de l'école inclusive. 

L'ancien conseiller national valaisan du Centre, Christophe Darbellay, était considéré comme un candidat potentiel à la succession de la ministre de la Défense, Viola Amherd. Sauf qu'il a refusé le poste. Il préside depuis le début de l'année la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP). Avant les vacances d'été, il s'est entretenu avec Blick sur la situation dans les écoles suisses. 

Christophe Darbellay, êtes-vous heureux d'être resté en Valais?
Oui, très. Je suis convaincu que c'était la bonne décision, même si elle n'a pas été facile à prendre. En Valais, j'ai de nombreux projets concrets, une équipe motivée et la possibilité d'assumer des responsabilités sur des thèmes qui concernent directement la population locale. Par ailleurs, nous avons été confrontés à d’importants défis au cours des derniers mois, notamment en raison d’événements naturels survenus dans plusieurs régions du canton. Ces situations nous rappellent combien il est essentiel d'agir sur le terrain.

En mai, vous avez présenté les résultats de l’enquête sur les compétences de base dans les écoles suisses.
Nous disposons désormais de points de référence qui nous permettent d’effectuer des comparaisons. Certains résultats sont très encourageants, tandis que d’autres, comme les performances en orthographe en Suisse romande et les connaissances en français en Suisse alémanique, suscitent davantage d’inquiétude. 

L'apprentissage du français précoce est sous le feu des critiques en Suisse alémanique...
Je vous en prie, ne parlez plus de «français précoce»! Qu'est-ce que ça veut dire? Nous, francophones, n'apprenons pas non plus «l'allemand précoce». Cette dévalorisation m'agace. D'autant plus que l'on entend de plus en plus que les élèves ont un problème avec les langues étrangères. Nous parlons ici de nos langues nationales. Il en va de la cohésion du pays.

L'enseignement des langues n'est-il pas du ressort de la CDIP? De nombreux enseignants demandent une ligne claire.
Nous avons une ligne claire. 

Laquelle?
Depuis 2004, la Suisse s’est dotée d’une stratégie linguistique commune, issue de longues négociations et d’échanges exigeants. Il n’est pas question de la balayer d’un revers de main.

Dans le débat sur les langues, la CDIP se fait plutôt discrète...
Nous travaillons à une position commune. En Suisse romande, il n'est pas question de réduire l'apprentissage de l'allemand ou d'en retarder le début. Ce n'est pas envisageable. Même dans les cantons bilingues, l'enseignement des langues n'est pas contesté. En Suisse alémanique, en revanche, les fronts se sont durcis et certains cantons prennent des décisions inquiétantes. A Zurich, la décision n'a pas encore été prise, mais elle sera déterminante pour l'avenir de la politique linguistique en Suisse.

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En Suisse romande, les directeurs de l'éducation sont unanimes: ils souhaitent une interdiction systématique des téléphones portables à l'école
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Pourquoi?
Car Zurich est le canton le plus peuplé de Suisse, le moteur économique du pays. Il y a des cantons à affinités romandes, comme Bâle ou Soleure, qui demandent de leur côté un compromis. Mais jusqu'à présent, personne n'a montré concrètement à quoi pourrait ressembler un tel compromis.

Ne serait-ce pas à la CDIP de le faire?
La CDIP a élaboré le compromis en 2004 dans un esprit de consensus. Il s'inscrit dans un cadre solide: la Constitution fédérale, la loi sur les langues, les plans d'études communs en Suisse romande et en Suisse alémanique. Il faudrait dix à vingt ans pour adapter l'ensemble du système. Il faut être conscient de cette réalité.

Venons sur un autre sujet qui inquiète les écoles: la numérisation.
Je peux surtout parler pour mon canton. Le Valais a trop peu investi dans la numérisation. Mais nous rattrapons notre retard. Aujourd’hui, savoir utiliser correctement un ordinateur ou un téléphone portable fait partie des compétences de base indispensables.

Est-il judicieux d'interdire les téléphones portables à l'école?
Les problèmes liés à l’usage des téléphones portables à l’école peuvent parfois être très graves. Lorsque des enfants de moins de six ans possèdent déjà un téléphone portable, cela peut avoir des conséquences négatives sur leur développement du langage ainsi que sur leur comportement social. Ces difficultés peuvent également engendrer des troubles du comportement, qui impactent le climat et le déroulement quotidien des activités scolaires.

Entre-temps, trois cantons ont introduit une interdiction générale. Le dernier en date est le Valais. D'autres suivront-ils?
En Suisse romande, les directeurs de l'éducation sont unanimes: ils souhaitent une interdiction systématique des téléphones portables à l'école, sauf dans le cas d'une utilisation pédagogique réfléchie et accompagnée. Il nous faut maintenant une ligne claire, sous peine de voir les tensions s’accroître dans les établissements scolaires. 

Dans le canton de Zurich, le Parlement veut revenir au modèle basé sur les classes de soutien. A Bâle-Ville, elles ont déjà été réintroduites. Le projet d'école inclusive semble avoir échoué...
Les modèles tels qu'ils sont actuellement discutés à Bâle et à Zurich paraissent bons sur le papier. Mais dans la réalité, ils se heurtent à un manque criant de personnel et à une augmentation significative des coûts. En comparaison nationale et internationale, le Valais a un niveau scolaire élevé. Cela tient notamment à notre engagement de longue date en faveur de l’intégration – un engagement constant depuis plus de 60 ans. Il n'en reste pas moins que l'intégration est importante, mais pas à n'importe quel prix. Il y a des situations où il est préférable que l’enfant soit séparé d'une classe.

A quels enfants faites-vous référence?
A ceux qui ont un handicap lourd. Si un enfant présente des troubles du comportement, mais dispose de très bonnes compétences intellectuelles, il ne faut pas l'isoler. Ce sont souvent ces élèves qui pèsent le plus sur notre système scolaire. L’éducation reste avant tout une responsabilité parentale. A l'école, nous devrions davantage miser sur des mesures communes et transversales plutôt que de systématiquement individualiser chaque situation. 

Les élèves de Suisse alémanique n'ont jamais été aussi stressés. Le plan d'étude 21 (Lehrplan) va-t-il trop loin?
On ne peut pas dire que l'école n'est pas assez ambitieuse.

Mais surcharger les élèves ne permet pas non plus d’atteindre les objectifs...
Beaucoup d’élèves s’en sortent très bien, tandis que d'autres n’atteindront peut-être jamais complètement les objectifs fixés. Si l’école suisse est reconnue pour sa qualité, c’est aussi parce qu’elle est exigeante. Mais cela doit toujours s’accompagner d’une réflexion sur le fond: transmettons-nous les bons contenus? Le Plan d’études 21 est encore relativement récent, tandis que le Plan d’études romand a plus de dix ans. Ce recul nous permet désormais d’en tirer un premier bilan.

Et quelle conclusion en tirez-vous?
Pour l’instant, nous n’avons pas encore de réponse définitive, mais nous y travaillons activement.

Des appels à plus d'efforts au niveau national se multiplient dans les salles de classe.
Mais où peuvent-ils exercer une influence?

Dites-le nous...
Dans les cantons, bien sûr. C’est là que les décisions concrètes sont prises. On peut bien aller frapper douze fois à la porte du conseiller fédéral Parmelin, cela ne changera rien. Il est dangereux de transformer l’école en objet de jeu politique comme le fait, par exemple, un président sortant d’un parti central suisse. Fort heureusement, il se retire désormais...

Vous faites référence au chef du PLR, Thierry Burkart. Espérez-vous un changement de cap de la part de son parti?
J'ai de très nombreux collègues PLR, la moitié de ma famille est elle-même PLR. Et dans les cantons, nous avons aujourd’hui des directeurs de l’éducation PLR très compétents, engagés et proches des réalités. Honnêtement, quand ils entendent leur président s’exprimer, ils ne comprennent plus très bien ce qu’il cherche à défendre.

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