Dis No diffuse une campagne de prévention
«Si la pédopornographie reste taboue et invisible, elle ne peut être combattue»

Dans une grande campagne lancée le 27 octobre, l'association Dis No et Action Innocence souhaitent prévenir le fléau de la pédopornographie en apportant de l'aide aux personnes qui en consomment ou pensent à en consommer.
Publié: 26.10.2025 à 12:28 heures
|
Dernière mise à jour: 27.10.2025 à 08:39 heures
Partager
Écouter
1/5
Une large campagne de prévention, diffusée dès le 27 octobre par Action Innocence et Dis No, vise à sensibiliser la population au fléau de la pédopornographie et propose de l'aide aux usagers.
Photo: Action Innocence/Dis No
Capture d’écran 2024-09-17 à 11.24.33.png
Ellen De MeesterJournaliste Blick

La vidéo, diffusée dès le 27 octobre, fait résolument froid dans le dos. On y découvre le quotidien ordinaire d'un père de famille, d'apparence tout à fait banale, dans un décor parsemé de détails familiers, du toast brûlé aux repas mouvementés avec ses deux jeunes enfants. Sauf qu'en fin de soirée, quand sa femme quitte le canapé pour aller se coucher, l'homme reste en retrait, le regard rivé sur son téléphone et clique sur ce qu'on devine être un contenu pédopornographique. Le plan suivant opère un saut dans le futur: l'homme est seul dans une maison vide et sombre. Il a tout perdu.

Dans sa grande campagne dédiée à la prévention de la pédopornographie, l'association Dis No, avec le soutien d'Action Innocence, souhaite sensibiliser la population à un véritable fléau: celui de l'usage des contenus pédopornographiques, incroyablement taboue, mais, hélas, bien plus répandue qu'on le pense.

«Nous avons constaté une augmentation importante des appels lancés par des personnes ayant consommé des images à caractère pédopornographiques ou tenté de le faire, explique Hakim Gonthier, directeur de l'association. En 2024, ceux-ci ont représenté plus de 70% de toutes les demandes enregistrées. Action Innocence, qui finance la campagne, observe également que les jeunes sont toujours plus nombreux à y être exposés et à les visionner. Enfin, des chiffres le confirment: Fedpol relève en effet plus de 15’000 dénonciations d’images à caractère pédopornographique, en 2024.»

La vidéo de la campagne est incarnée par un personnage de père de famille, aux prises avec une consommation de matériel pédopornographique.
Photo: Dis No/Action Innocence

Le but de la campagne: encourager les personnes qui utilisent ou sont tentées d'utiliser ces contenus à sortir de l'ombre pour demander de l'aide, afin d'endiguer le phénomène et protéger les enfants ou adolescents des violences sexuelles. Dis No possède effectivement une ligne téléphonique confidentielle et gratuite, destinée à accueillir la parole des personnes concernées, afin de leur proposer une écoute non-jugeante et des solutions. «Car ce qui est tabou est invisible, souligne Hakim Gonthier. Et ce qui est invisible ne peut pas être combattu.» 

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Des contenus de plus en plus accessibles

Selon notre intervenant, cette augmentation peut s’expliquer par l’accessibilité de ce matériel sur des plateformes populaires comme Instagram et TikTok: «On pense souvent qu’il n’est présent que sur le dark web, mais ce n’est pas le cas, pointe-t-il. Il existe évidemment des moyens pour lutter contre leur diffusion, dont le signalement ou la plateforme Click and Stop, mais la disponibilité reste conséquente.»

Naomi Setiawan, criminologue pour Dis No, rappelle en outre que l’intelligence artificielle facilite la production d'un nouveau type de matériel, qui se développe, en parallèle, avec le détournement d’images standard d’enfants présentes sur Internet. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles de nombreux parents renoncent à montrer le visage de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Tous ces types de contenus sont évidemment proscrits par la loi et punissables.

«La campagne s’adresse autant aux personnes qui sont déjà aux prises avec une consommation qu’à celles qui rencontrent ce type de matériel en ligne et ne savent pas comment réagir, rappelle la criminologue. Le message est ‘stop’, afin de sensibiliser un public large au fait que les adolescents et les enfants représentés dans ce type de contenu sont des victimes réelles d'abus sexuels.»

Si vous rencontrez des contenus à caractère pédopornographique sur Internet, n'hésitez jamais à le signaler, soit auprès de Fedpol, la police (117), les plateformes Take it Down ou Click and Stop.

Le but de la campagne: protéger les enfants et les adolescents des violences sexuelles en sensibilisant la population à la pédopornographie.
Photo: Dis No/Action Innocence


Comment en arrive-t-on là?

En découvrant une telle campagne, centrée sur un protagoniste incarnant «Monsieur-tout-le-monde», on ne peut s'empêcher de s'interroger quant aux parcours ou traumas qui peuvent mener à consommer ce type de contenus. «Le fait d’avoir soi-même subi des abus est l’un des facteurs possibles, mais ceux-ci sont très nombreux et variables», note Hakim Gonthier. Impossible, donc, d'émettre des constats généraux.

Certaines personnes, en outre, ne comprennent pas d'où leur vient leur attirance pour ces contenus. Elles éprouvent une peur d'elles-mêmes, une perte de repères et la crainte de ce qu’elles seraient capables de faire, puisqu’elles ont déjà franchi cette limite-là: «L’un des moyens de se remettre sur le bon chemin est justement d’en parler, dans un cadre où cette parole peut être accueillie et écoutée, résume le directeur de Dis No. Nous constituons un premier espace pour aborder ces questionnements et les décortiquer.»

Car sans de telles plateformes d'aide, la personne reste enfermée dans le tabou: «La situation risque alors de s’aggraver, depuis la consommation vers la diffusion, voire la production de ce matériel, déplore notre intervenant. Le but de Dis No est d’interrompre l'engrenage dans lequel se trouvent ces personnes.» 

Les répondants constatent effectivement qu'au moment d'appeler la ligne téléphonique, les personnes concernées peuvent être submergées d'émotions: «Demander de l’aide, dans ce genre de situation, représente une grande étape difficile à franchir, pointe Hakim Gonthier. En effet, ces personnes portent une honte par rapport à ce qu’elles ont fait et ressentent donc une forte peur du jugement. Celles qui n’ont pas encore été interpellées par la police peuvent également craindre que cela arrive. Souvent, elles nous appellent après avoir pris conscience de la gravité de la situation et expriment le souhait de mettre en place des mesures pour empêcher que cela ne se reproduise, pour se protéger, ainsi que leur entourage.»

Facteurs de risque et facteurs protecteurs

Dès qu'une personne contacte l'association, les répondants suivent un certain protocole, dans le but d'évaluer la situation: «Dis No s’adresse à un groupe à risque, soit aux personnes susceptibles d’avoir un comportement répréhensible, précise Naomi Setiawan. Lorsqu’on reçoit un appel, il s’agit d’identifier la demande et de clarifier le besoin: y a-t-il eu consommation, celle-ci est-elle connue des autorités, quel est le contexte général de la personne? Il convient de repérer les facteurs de risque qui peuvent favoriser un passage à l’acte, comme une consommation de substances, le manque d'empathie, la solitude, des distorsions cognitives poussant la personne à se justifier dans ses actes ou à ne pas réaliser son positionnement par rapport à un mineur… Il existe aussi des facteurs protecteurs rassurants, comme l'accès à un soutien dans l'entourage ou un certain degré de conscientisation et de responsabilisation, face à ses actes.»

Et ensuite? La criminologue évoque un travail sur la motivation au changement et, lorsque c'est nécessaire, une orientation vers un réseau de soins thérapeutiques spécialisé: «On a clairement besoin de professionnels formés et sensibilisés à ces questions, ajoute-t-elle. Nous sommes un premier lieu d’écoute, mais il faut aussi encourager le domaine de la santé ou du social à construire des outils pour y faire face.» 

«C'est un problème de santé publique»

À terme, le directeur de Dis No souhaite faire passer un message aux autorités: «Il existe un déni social massif alors que, pour faire exister un espace de parole et permettre aux personnes concernées de recevoir de l’aide, il faut une prise en charge financée correctement. Cela implique une prise de conscience plus globale: il s’agit d’un problème de santé publique, qui concerne donc les autorités et requiert un soutien concret de la part de l'Etat.» 

Pour l'heure, seuls Action Innocence, l'OFAS et le canton de Vaud subventionnent Dis No, alors que leur action s'étend sur l'ensemble de la Suisse romande. 

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus