Le F-35 est un engin très convoité. En plus des Etats-Unis, au moins 15 pays ont commandé cet avion de combat moderne. L'entreprise américaine Lockheed Martin, dans le Maryland, a plus de 3000 commandes à délivrer. Et les prix varient beaucoup, notamment parce qu'il existe une multitude de packs différents.
Les Suisses en savent quelque chose: pour le même avion, ils débourseront 100 millions de francs de plus que les Allemands. Berlin a-t-il discrètement tiré les ficelles à Washington pour obtenir un meilleur prix, aux dépens de la Suisse?
La décision du Conseil fédéral d’acheter le F-35 américain a suscité la colère des gouvernements et des constructeurs aéronautiques européens. Pourtant, plusieurs pays européens – l’Allemagne, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie et la Norvège – ont eux-mêmes opté pour ce chasseur furtif ultramoderne, qui échappe aux radars.
Un prix Allemagne-Suisse différent
A la base, Lockheed Martin avait adressé à l'Allemagne une facture nettement plus élevée. Joachim Weber, expert en sécurité à l'Université de Bonn, avait comparé les paquets suisse et allemand. Il a ainsi déterminé que l’Allemagne devait payer environ 266 millions de francs pour chacun des 35 jets commandés. Soit 100 millions de francs de plus que le prix initial de la Suisse.
Les médias allemands n'ont pas tardé à réagir: la ministre de la Défense du SPD, Christine Lambrecht, qui a entre-temps été destituée, s'est fait incendier. On lui a reproché de s'être laissée marcher dessus par les Américains et de jeter l'argent des contribuables par la fenêtre. La question des prix a aussi pris une dimension politique, provoquant une intervention de la gauche au Bundestag. Mais la réponse est restée vague: Berlin affirme ne pas avoir être informé des coûts ni du mandat de prestations lié à l'achat suisse. Quant aux détails du calcul des prix, ils sont classés «à usage officiel uniquement» – autrement dit, confidentiels.
L'Allemagne a-t-elle fait pression?
Après l’annonce mercredi du Conseil fédéral selon laquelle la livraison des F-35 pourrait coûter jusqu’à 1,3 milliard de francs de plus que prévu, malgré un prix fixe convenu, une question s’impose: cette hausse est-elle due à l’inflation, à l’augmentation des coûts de production ou d’énergie? Ou alors, est-ce dû à autre chose? Peut-on imaginer que le ministère allemand de la Défense, mécontent, ait exercé une pression sur les Etats-Unis pour qu’ils réajustent les prix – et que la Suisse en fasse indirectement les frais?
Interrogé par Blick, un porte-parole du ministère allemand de la Défense a évité toute comparaison directe: «Une comparaison avec les achats d'autres nations n’est pas possible», a-t-il déclaré, invoquant des raisons contractuelles. Il a également appelé à «faire preuve de compréhension» face à l’absence de précisions sur les prix et les modalités d’achat.
Mais pour les spécialistes, il y a anguille sous roche. «Il se passe énormément de choses en coulisses dans ce business», affirme à Blick Hansjörg Egger, expert en aviation et ancien membre des Forces aériennes suisses. S'il admet qu'il est difficile de faire une comparaison directe des prix en raison des différents forfaits, il estime d'un autre côté que «la différence de prix est très flagrante». Il ne rejette pas la possibilité d’une renégociation.
Ralph D. Thiele, président de la société politico-militaire allemande et d’Eurodefense Allemagne, n’écarte pas la possibilité d’une intervention. «Tout est envisageable. Le ministère allemand de la Défense ferait même bien de le faire», estime-t-il. Selon lui, le constructeur pourrait céder à une telle pression: «Après tout, Lockheed Martin souhaite encore vendre d’autres appareils.»