Des millions sont en jeu
UBS propose des produits dérivés risqués, ses clients se font plumer

Des clients d'UBS ont perdu beaucoup d'argent dans des opérations spéculatives hautement risquées. Qu'est-ce qui rend ces produits si dangereux? Et comment la grande banque réagit-elle?
Publié: 18.05.2025 à 21:57 heures
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Dernière mise à jour: 18.05.2025 à 22:51 heures
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Les produits financiers dérivés permettent de faire ce que l'on ne peut pas faire à la table de roulette, à savoir perdre plus que ce que l'on a misé.
Photo: Getty Images
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Beat Schmid

Un drame se joue actuellement chez UBS et plus précisément dans la gestion de fortune mondiale de la grande banque, appelée Global Wealth Management (GWM).

Cet énorme département, qui compte environ 10'000 conseillers à la clientèle, conseille les riches du monde entier, une clientèle aisée qui a placé au total des milliers de milliards de dollars sur les comptes et dans les dépôts de la banque. Depuis quelques années, le GWM est dirigé par Iqbal Khan, qui a partagé la direction avec l'Américain Rob Karofsky l'année dernière. Tous deux sont également considérés comme des candidats à la succession du CEO Sergio Ermotti.

Une violente tempête a été déclenchée par les diverses annonces tarifaires du président américain Donald Trump. Il n'a pas seulement froissé des partenaires commerciaux proches comme la Suisse, il a aussi déclenché une réaction en chaîne sur les marchés financiers: les cours des actions se sont d'abord effondrés dans le monde entier. Ensuite, les investisseurs ont fui le dollar, ce qui a mis les emprunts d'Etat américains sous pression. La monnaie américaine s'est alors effondrée et a perdu en peu de temps 10% par rapport au franc.

Cela a à son tour entraîné un crash dans les zones sombres des marchés financiers, celui des produits dérivés, où l'on négocie des instruments financiers tels que des options, des contrats à terme et des swaps.

«Des armes de destruction financières»

Les produits dérivés ne sont pas une invention récente: Thomas d'Aquin avait déjà écrit un traité sur les contrats à terme au 14e siècle, dans le cadre du commerce de textiles en provenance de Toscane. Au cours des dernières décennies, le marché a explosé, des produits de plus en plus complexes ont été imaginés par le monde de la finance. Parce que ces instruments recèlent des risques cachés, le légendaire investisseur Warren Buffett a un jour qualifié les produits dérivés «d'armes de destruction financières massives», et «potentiellement mortelles».

La banque UBS proposait également à ses clients du Global Wealth Management des produits dérivés à haut risque – principalement en Suisse. Ils sont commercialisés sous différentes appellations telles que Range Target Profit Forwards ou Conditional Target Redemption Forwards. Ces produits permettent de faire des paris sur l'évolution durant une période donnée de paires de devises ou des métaux précieux comme l’or ou le palladium. Le tout avec un fort effet de levier.

Les paris négociés entre la banque et le client prévoient l'achat de montants en dollars à des moments prédéfinis dans une fourchette de prix déterminée. Un tel pari pose problème lorsque le cours tombe en dessous du seuil – ce qui s'est produit à plusieurs reprises après le «Liberation Day» du 2 avril dernier, ce qui a entraîné des appels de marge, également appelés «margin calls».

De nombreux clients d'UBS se sont retrouvés piégés, comme le rapporte Nicolas Ollivier, avocat et partenaire du grand cabinet Lalive avec des bureaux à Zurich, Genève et Londres. Il est spécialisé dans la représentation de clients lésés et a déjà représenté l'une des plus célèbres victimes d'investissement de Credit Suisse, le politicien et milliardaire géorgien Bidsina Ivanichvili.

Nicolas Ollivier a une demi-douzaine de cas sur la table concernant des produits dérivés spéciaux à terme. Le juriste a fait examiner les produits par une équipe externe de spécialistes en options. A l'aide d'un cas concret, il peut démontrer à quel point les produits sont dangereux pour les clients, mais également à quel point ils sont rentables pour la banque.

Selon ses analyses, Nicolas Ollivier est arrivé à la conclusion que la banque encaisse au moins autant que le client pourrait gagner au maximum. Si un pari – appelé contrat – prévoit un gain maximal de 50'000 dollars pour le client, la banque en encaisse autant. «En revanche, les risques sont répartis de manière totalement asymétrique», explique l'avocat.

Des clients exposés à beaucoup plus de risques que la banque

Dans le cas concret, le produit prévoyait que l'investisseur pouvait gagner 54'000 francs dans le meilleur des cas. Nicolas Ollivier et ses spécialistes financiers ont calculé que les chances de réaliser ce gain étaient de 56,2%: «Mais le problème, c'est que le client peut perdre beaucoup plus». En effet, avec ce produit spécifique, le client prenait le risque de perdre au total 2,9 millions de francs. La probabilité d'être confronté cette perte était extrêmement élevée, de 43,8%.

«Aucun investisseur professionnel n’achèterait un tel produit», déclare Nicolas Ollivier. Le client n’y a souscrit que parce qu’il n’avait aucune idée d'à quel point les risques étaient inégalement répartis. Dans les petites lignes et lors des entretiens de vente, on informe bien les clients qu’ils peuvent «tout perdre», explique Nicolas Ollivier. Mais il y a peu d’éléments concrets pour comprendre comment les chances et les risques sont répartis. La documentation présente généralement des courbes de cours sur des périodes beaucoup trop courtes, sans inclure de cas où le cours passe sous le seuil de perte.

«Ces produits structurés reposent sur l’hypothèse de conditions de marché stables. Or, les données historiques montrent qu’il y a régulièrement des chutes de marché. Par le passé, de tels reculs ont à plusieurs reprises dépassé les seuils de perte – ce qui a entraîné des appels de marge et des pertes importantes pour les clients», explique l’avocat Nicolas Ollivier.

Le nombre total de clients concernés reste inconnu. UBS ne fait aucun commentaire à ce sujet. L’autorité de surveillance des marchés financiers garde également le silence sur le cas décrit. Ce que l’on sait, c’est que ces produits ont été particulièrement promus dans la région de Suisse orientale – y compris auprès de clients qui ne possèdent pas de fortunes en millions et qui relèvent plutôt du segment des petits clients. Un point névralgique regroupant de nombreuses victimes fortunées se trouve à Saint-Moritz dans les Grisons, où le responsable Suisse du Wealth Management d’UBS, August Hatecke, serait personnellement chargé de s’occuper des clients concernés. Il relève directement d’Iqbal Khan, le co-responsable de la gestion de fortune mondiale.

La banque est actuellement en train d’examiner des moyens d’accommoder les clients concernés. Une porte-parole d’UBS déclare: «La volatilité extrême des marchés au cours des dernières semaines a eu un impact sur certains placements. La grande majorité de nos clients disposent de portefeuilles d’investissement diversifiés, ce qui leur a permis de traverser cette période volatile relativement bien. Nous examinons d’éventuels effets inattendus avec les clients concernés.»

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